La victoire de Le Pen est-elle totalement impossible ?

par Jordi Grau
vendredi 5 mai 2017

Chacun votera en son âme et conscience. Ceci n’est pas un énième article visant à culpabiliser ceux qui refusent de voter Macron. Je veux seulement montrer que certains de leurs arguments sont discutables….

Hommage à ceux qui refusent de voter pour Macron

La vraie gauche – celle qui veut réellement plus de démocratie et de justice sociale – est divisée sur la conduite à tenir. Certains disent qu’il faut voter Macron pour donner le moins de chances possibles à Le Pen de passer. D’autres disent qu’il faut voter blanc ou s’abstenir. Comme j’ai tenté de le montrer dans un précédent article, il y a de bons arguments dans les deux camps. Il faut donc éviter la tentation d’insulter ou de culpabiliser ses « adversaires » et préparer la suite. Car, quelle que soit l’issue des élections du 7 mai, il faudra être uni pour lutter contre le gouvernement.

Aujourd’hui, je vais expliquer pourquoi j’ai finalement décidé de voter Macron. Mais auparavant, j’aimerais que ma démarche soit bien comprise. Il ne s’agit en aucun cas, pour moi, de faire subir une sorte de chantage moral à mes rares lecteurs. Je continue de respecter ceux qui vont s’abstenir ou voter blanc. Je pense même qu’il est salutaire qu’il y ait des gens pour rappeler à quel point Macron a été, est et sera nuisible à notre pays. Même si l’ultralibéralisme de Macron et le national-libéralisme de Le Pen ne sont pas équivalents, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit de deux maux de grande ampleur. Ni Macron ni Le Pen ne sont de vrais démocrates. Ni Macron ni Le Pen ne se soucient réellement des pauvres et des salariés. Par ailleurs, il est bon de rappeler que la montée du FN est en grande partie due aux politiques menées depuis ces dernières décennies par le PS, le RPR, l’UMP…. et par Macron lui-même. Tout ceci est bien expliqué par l’historienne Ludivine Bantigny dans ce billet.

Ainsi, les électeurs n’ont de leçons de morale à recevoir de personne, et surtout pas des politiciens et des médiacrates qui appellent aujourd’hui à « faire barrage à Le Pen », alors que tous leurs actes et leurs discours ont favorisé la montée du Front National. Cela étant dit, on n’est pas obligé d’être entièrement convaincu par le discours de ceux qui vont s’abstenir ou voter blanc.

 

Des arguments à double tranchant

Il me semble en effet qu’un certain nombre de ces arguments, et non des moindres, peuvent être retournés. En voici quelques uns.

En votant massivement pour Chirac, on avait cru qu’il se sentirait redevable envers les électeurs de gauche. Il n’en a rien été, comme l’a montré notamment l’inflexibilité du gouvernement en 2003 face au mouvement de défense des retraites. Ne répétons pas la même erreur. Il faut que Macron passe avec une faible majorité pour être délégitimé au moment des législatives.

L’argument est intéressant. Il est certain que voter massivement pour Macron ne va pas l’amener à adoucir sa politique ultralibérale et antidémocratique. Mais s’il passe avec 55 % de voix au lieu de 60 %, sera-t-il moins légitime pour autant ? On peut penser, au contraire, que beaucoup d’électeurs vont avoir très peur d’un succès du Front National aux législatives, et qu’ils vont voter dès le premier tour pour un candidat macroniste, comme ils l’ont fait pour les présidentielles. Du point de vue de la France insoumise, ce serait un peu dommage, tout de même.

Marine Le Pen n’a aucune chance d’être élue. C’est mathématique. On n’a jamais vu aucun candidat l’emporter avec un tel écart d’intentions de vote dans les sondages à quelques jours des élections. Certes, les sondages peuvent se tromper, comme on l’a vu en 2002, par exemple. Mais pas à ce point ! Une remontée de 10 % en deux ou trois jours, ce n’est tout simplement pas possible.

Voilà un raisonnement raisonnable, mais qui n’a rien de mathématiques. Les mathématiques sont des sciences démonstratives, qui s’appuient sur des raisonnements logiques et non sur l’expérience. Ici, on a affaire à un raisonnement purement empirique, qu’on appelle une induction. Faire une induction, c’est tirer un énoncé général de cas particuliers dont on fait l’expérience. En l’occurrence, on a constaté que, jusqu’à présent, aucune élection n’a démenti à ce point des sondages effectués quelques jours auparavant. Et de ce constat, on induit qu’il en sera de même à l’avenir. J’ai bien écrit induit, et non déduit. Ni la logique ni les mathématiques ne peuvent nous permettre de déduire l’avenir d’expériences passées. La plupart du temps, certes, nous avons raison de faire des inductions, mais il peut arriver qu’elles nous induisent en erreur (sans jeu de mots). Avant l’invention des montgolfières et des machines volantes, il paraissait inconcevable que l’être humain pût s’élever dans les airs. Il y avait sûrement beaucoup de gens pour dire : « On n’a jamais vu une telle chose. Donc l’être humain ne pourra jamais voler, à moins d’un miracle de Dieu ou du diable. » L’histoire a montré ce que valait cette prédiction.

Une victoire de Marine Le Pen est donc très improbable, mais pas totalement impossible. Elle l’est d’autant moins que beaucoup de gens s’abstiendront de voter, non pour affaiblir la légitimité de Macron, mais parce qu’ils penseront que ce dernier sera sûrement élu. À force de répéter que Marine Le Pen n’a aucune chance, on va peut-être – paradoxalement – lui donner une mince chance de réussir !

La propagande pour le vote Macron est omniprésente, y compris dans des médias classés à gauche, comme Mediapart. Face à un tel bourrage de crâne, il faut être courageux pour garder son indépendance et continuer à vouloir s’abstenir ou voter blanc. Même dans les familles, les discours catastrophistes ou culpabilisateurs ne manquent pas. Tout est donc fait pour que Macron l’emporte largement dimanche 7 mai.

Encore une fois, voilà un argument à double tranchant. Trop de propagande tue la propagande. Écœurés de voir leur liberté si peu respectée, de nombreux électeurs s’obstineront peut-être à refuser le vote Macron, voire décideront de s’abstenir alors qu’ils auraient peut-être voté Macron sans cela. Il se pourrait bien qu’un tel phénomène ait joué en 2005, au moment du référendum sur le traité constitutionnel européen. La presse écrite et audiovisuelle, dans une quasi-unanimité, faisait campagne pour le oui. Les grands partis d’alors – l’UMP et le PS – avaient uni leurs voix pour promouvoir le traité. Sarkozy et Hollande avaient même posé ensemble pour Paris Match. Mais cette campagne s’est avérée contreproductive. Le non l’a largement emporté. Apparemment, les simples citoyens n’en pouvaient plus de la « pédagogie » que les « élites » médiatiques et politiques leur infligeaient quotidiennement.

Dans le débat qui l’a opposée à Macron, Le Pen a été tellement mauvaise – superficielle, menteuse, vulgaire – qu’elle s’est totalement discréditée. Qui peut encore vouloir voter pour elle ? Même ses fans sont déçus….

Il se pourrait au contraire que Marine Le Pen ait bien fait de s’inspirer de Trump, son grand ami américain. Alors qu’elle est – comme ce dernier – issue de la grande bourgeoisie, elle a fait figure de tribun de la plèbe en face d’un pur produit de l’énarchie. Ses mensonges, son agressivité, son manque de professionnalisme et de bonnes manières font qu’on peut se reconnaître en elle. Macron, au contraire, donne l’image d’un homme bien élevé, lisse, quasi aristocratique. Il est la parfaite incarnation de l’establishment (ou de l’établissement, comme dirait Jean-Marie Le Pen), comme pouvait l’être Hilary Clinton face à Donald Trump. Ce qui, en d’autres temps, pouvait être un atout majeur, pourrait bien s’avérer fatal. Nous ne sommes plus à l’époque de Giscard et de Mitterrand, ni même à celle de Chirac. Le régime politique actuel s’est tellement discrédité que tous les candidats doivent prétendre incarner un renouveau profond. Même Macron tente de passer pour anti-système. Seulement, à ce jeu-là, il est encore moins crédible que Marine Le Pen.

 

Je ne prétends pas avoir nécessairement raison. Tout ce que je dis, c’est que les arguments des gens qui refusent de voter Macron ne sont pas entièrement convaincants. J’estime – peut-être à tort – que la victoire de Le Pen n’est pas impossible, même si elle est peu probable. Mais ce n’est pas moi, encore une fois, qui jetterai la pierre à mes concitoyens qui voteront blanc ou s’abstiendront. Le vote Macron n’est, au mieux, qu’un moindre mal. Quel que soit notre futur président, il sera notre ennemi, et il faut se préparer dès maintenant à le combattre.


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