Laïcité, intégration, confusion

par Orélien Péréol
mercredi 18 décembre 2013

Parler d’intégration à propos de Français, certes issus de l’immigration récente, coloniale, mais qui sont français depuis trois ou quatre ou cinq générations est hors de propos. Cela ne parle pas du tout de ce qui se passe vraiment. Et ça ne passera pas dans ce groupe de Français, tout aussi français que les autres.

Il nous faut de toute urgence revenir à cette idée rassembleuse de laïcité (arbitrage de l’Etat dans une indifférence positive envers les religions) et quitter cette laïcité nouvelle, inversion de la laïcité (commandement étatique aux citoyens de professer publiquement un athéisme, quoiqu’ils en pensent par ailleurs).

La polémique au sommet de l’Etat qui éclate à propos du foulard islamique dans les écoles et de la loi qui l’interdit est interprétée dans la conjoncture actuelle des difficultés du gouvernement et du président. Ces interprétations sont légitimes. Il y est principalement question des grandes valeurs, laïcité, intégration, pacte républicain.

En même temps, cette polémique prend racine dans une inversion du sens de la laïcité contenue dans cette loi sur l’interdiction des signes religieux à l’école (15 mars 2004), dite bien souvent sans ambages sur ou contre « le voile islamique ».

Auparavant, la laïcité était un attribut de l’Etat, la laïcité était étatique et seulement étatique. Il ne pouvait y avoir de groupes laïques ou de citoyens laïques. La laïcité était l’obligation faite à l’Etat de ne prendre ses décisions que par des raisons sans transcendance, et non par des raisons découlant de croyances. La laïcité était l’obligation faite à l’Etat d’arbitrer les religions entre elles et les religions avec l’Etat, dans une neutralité bienveillante, un peu à la manière des psys. Autrement dit, la laïcité de l’Etat était la garantie du vivre ensemble, elle était contrainte pour l’Etat et liberté pour le citoyen (qui a le droit de s’associer), elle était contrainte pour l’Etat en but de la liberté du citoyen.

La loi du 15 mars 2004 a mis fin à cette laïcité et à donner le nom de laïcité à son exact et incompatible inverse : la laïcité est devenue une laïcité du citoyen. L’Etat s’est permis, au nom de la laïcité, de créer un comportement (dit laïque) à des citoyens.

Ce faisant, l’Etat se comporte comme un Etat religieux. Un Etat religieux passe commande aux citoyens de se montrer comme ci comme ça, respectueux de la religion d’Etat. La laïcité devient une religion. Alors qu’elle était un arbitrage, par un Etat au-dessus et en dehors des religions, elle devient une religion parmi d’autres, en conflit, en concurrence avec les religions, sûre que la puissance de l’Etat amènera les citoyens pratiquant une religion à corriger leur religion pour se conformer à ce nouveau commandement étatique. Cette religion nouvelle, appelée « laïcité » impose de faire profession d’athéisme dans l’espace public. Elle a un commandement : il établit une « sphère privée » et une « sphère publique » et oblige de réserver la religion au privé, à l’entre soi et d’en débarrasser l’espace public.

Commandement de schizophrénie. Commandement intenable, il faudrait abattre tous les édifices religieux dont la vue, dans cette acception de la laïcité athéisme d’Etat.

 Ce faisant, nous avons produit plusieurs évolutions qui s’accomplissent sans qu’on les voie : 1/ une augmentation des problèmes de compatibilité de l’esprit religieux des citoyens avec le « vivre ensemble » qui en est fortement abimé, une augmentation en intensité (chaque citoyen se sent plus fort dans sa conviction pour imposer ou tenter d’imposer son point de vue) et augmentation en surface (de nouveaux problèmes apparaissent sans cesse, nourrissant de nouvelles polémiques et nécessitant, dans cette inversion de la laïcité, de nouvelles lois) 2/ une confusion générale puisque le nom de laïcité est gardée et donnée à son contraire.

Prétendre que la loi du 15 mars 2004 fonctionne et est acceptée relève d’une courte vue. Certes, il n’y a plus de jeunes filles pour réclamer de porter un foulard à l’école, mais le travail de cette loi dans la société ne se limite pas à son effet dans le domaine qu’elle se donne. Ainsi, aucun problème n’est résolu, il y a sans cesse des heurts, il faut de nouvelles lois, et ce n’est pas fini.

Confusion : les parents accompagnant les sorties scolaires sont agents de l’Etat pour le temps de la sortie et ne doivent pas montrer leur religion (contrairement aux élèves), car l’Etat ne peut se rapprocher d’une religion quelconque et doit pratiquer dans tous ses employés et tous ses actes cette neutralité bienveillante qu’est la laïcité.

Pendant ces presque dix ans, nous avons intégré, tous, cette nouvelle laïcité, cette inversion de la laïcité. Dans la polémique actuelle, tout le monde se situe dans la laïcité athéisme d’Etat et du citoyen. Ce serait, de tout temps, un élément central du pacte républicain. La polémique se développe à propos du fait de savoir si ce pacte, ainsi défini, est rompu ou s’il ne l’est pas (si le gouvernement a envisagé ou non de revenir sur la loi du 15 mars 2004).

Il est grand temps d’exprimer nos fondamentaux et de revenir à la laïcité arbitrage de l’Etat, garantie de la liberté d’une société vivante et qui peut bouger. Et pour le dire tout-à-fait autrement, nous sommes en République (détermination d’un intérêt général) et aussi en démocratie (crédit à chaque citoyen de sa parole, volonté et liberté).


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