« Le Brevet des collèges en progrès » : de l’apologie de la vengeance à l’examen de ses dangers
par Paul Villach
mercredi 28 juin 2006
Les sujets que l’Éducation nationale donne lors des examens en disent plus long que toutes ses instructions officielles. L’exercice de français, choisi par les cinq académies du Sud de la France pour le Brevet des collèges, le 26 juin 2006, montre une fois de plus une belle application à rendre répulsive cette discipline.
Il faut, en effet, beaucoup chercher pour réussir à dénicher un texte aussi pauvre et inintéressant : outre la piètre idée qu’il donne de l’art d’écrire, il ne livre aucun repère pour cadrer le sujet de rédaction qu’il est censé introduire, abandonnant le candidat aux inévitables lieux communs sur le thème de « la vengeance mauvaise conseillère » qu’on lui demande de développer.
Un texte mal écrit
Extrait d’un livre publié par Actes-Sud en 2004, Le soleil des Scorta, d’un certain L. Gaudé ; la page, savamment mise hors contexte comme d’habitude, présente, dit seulement le chapeau introductif, « un homme qui revient après une longue absence dans son village du Sud de l’Italie » : il est juché sur un âne et avance dans la chaleur en ruminant une vengeance qui l’habite depuis quinze ans. Pourquoi ? Nul ne le saura. Le récit se limite à une ennuyeuse description de ce cheminement sous un soleil de plomb et de ses ruminations vengeresses de matamore.
- Répétitions et redondances ne cessent pas de dire que l’homme et la bête avancent, qu’il fait très chaud, mais que la mer qu’on aperçoit, comme l’homme lui-même, est « immobile ».
- Les images, tantôt, tiennent du cliché : l’âne, « mètre par mètre », « engloutit les kilomètres », la mer « (ne sert qu’à réfléchir) la puissance du soleil », « le petit village blanc », tant espéré, « s’offre au regard dans sa totalité » avec ses maisons serrées.
- Tantôt, ces images rivalisent dans l’emphase saugrenue : il fait si chaud... que les mots prononcés « s’évaporent » ; « la terre peut (bien) siffler, et les cheveux (de l’homme) s’enflammer », sa volonté de vengeance est si farouche que rien ne peut l’arrêter, même pas le soleil qui peut « tuer tous les lézards des collines » ; et quand bien même, pressentant sa venue, le village qui tarde à apparaître, aurait « reculé jusque dans la mer », le vengeur n’hésiterait pas à plonger...
- Ce genre de description sans fin qui fait dire que l’auteur « tartine », ne se soucie même pas d’exactitude. Et alors ? s’indigneront certains, et la liberté de création ? Certes, on ne la conteste pas et on concède volontiers à l’auteur, au vu de ce qu’il écrit, le droit de faire de son âne qui avance un pince-sans-rire. Mais il faut n’avoir jamais vu un ânier à dos d’âne battre, mécaniquement, de ses jambes, à chaque pas, les flancs de sa bête, pour oser soutenir par deux fois que le « cavalier » ne bouge pas ! Car, on ne sait pourquoi, l’ânier est bizarrement élevé au rang de « cavalier ». Sancho Pança en aurait été flatté.
Un texte inutile à la réflexion proposée
Ce texte, au surplus, ne livre aucune information susceptible d’éclairer le sujet de la rédaction, le projet de vengeance de l’individu : celui-ci est, lui aussi, parfaitement mis hors-contexte. On objectera que le candidat est d’autant plus libre d’imaginer le contexte de son choix. Pour quel résultat ? Outre que « le village du Sud de l’Italie » mentionné suffit à l’évocation de clichés, comme ceux de la mafia, mêlés à ceux de la « vendetta corse », façon Mérimée, un élève de troisième, laissé ainsi sans repère précis, a-t-il autre chose que des lieux communs à enfiler pour montrer que la vengeance est « mauvaise conseillère » ? Le texte proposé est donc déficient à un second titre : il ne sert même pas à offrir un cadre utile à la réflexion. On ne saurait mieux dévaloriser aux yeux des adolescents non seulement l’art d’écrire, mais encore la raison d’écrire, puisqu’on peut très bien mal écrire et que de toute façon, ça ne sert à rien et, en tout cas, surtout pas à réfléchir .
Sur la voie de la reconnaissance d’un principe de droit ?
Le choix de ce sujet est enfin amusant pour qui suit depuis des années les divagations de l’Education nationale dans l’enseignement du français. Il y a dix ans, en 1996, la noble institution républicaine, dans les mêmes académies du Sud de la France, demandait à ses candidats de faire exactement le contraire, c’est-à-dire l’apologie de la vengeance et de la justice privée ! À cette fin, une page du roman d’André Chamson, L’Auberge de l’abîme - qui est un vigoureux plaidoyer contre la justice privée et la vengeance - , avait été mise hors contexte et habilement détournée pour amener les élèves à chanter les vertus de la tripe vengeresse : ils avaient eu à raconter la suite d’un meurtre commis par un officier au début du récit, dont on leur avait soigneusement caché un aspect essentiel, l’excuse de légitime défense. Un officier, rentrant chez lui dans les Cévennes, après la déroute de Waterloo, est, en effet, arrêté par trois paysans armés : ils le soupçonnent à tort d’être un de ces agents recruteurs napoléoniens qui ont décimé les provinces françaises. Prenant peur, il s’ouvre un passage à coups de révolver et tue un des hommes avant de se réfugier dans une grotte. Les villageois s’organisent en milice et l’attendent le fusil braqué à l’entrée de la grotte d’où il ne peut que ressortir. Le corrigé officiel voyait d’un bon œil que l’officier s’en sortît... blessé ou mort : les fraîches imaginations adolescentes ne furent pas en reste, s’en donnant à cœur joie, à quelques exceptions près, sans plus se préoccuper du principe républicain selon lequel « on ne peut se faire justice soi-même ». On voit que l’École est en bonne voie en amenant ses élèves à dénoncer, cette fois, les mauvais conseils de la vengeance, mais elle n’en est pas encore à leur enseigner le principe de droit qui distingue la démocratie du caprice de la jungle.
L’Éducation nationale a tout de même changé son fusil d’épaule en dix ans, il faut l’en féliciter ! Mais ne peut-elle pas mieux faire ? N’est-on pas en droit d’attendre qu’elle pousse l’audace jusqu’à apprendre aux élèves les principes qui fondent la République ? Sinon qui le fera ? Il lui restera alors à redécouvrir, pour l’enseigner ensuite à ses élèves, que l’art d’écrire a ses exigences et que, d’autre part, la raison d’écrire, malgré le succès de tant de mauvais exemples, trouve sa noblesse dans ce partage d’expériences humaines qu’un auteur ose à tout hasard proposer à ses lecteurs, s’ils le veulent. Rendez-vous dans dix ans ! Paul VILLACH