Le citoyen face aux abus de pouvoir

par Josiane Fischer
mardi 18 décembre 2007

L’administration ou le politique qui, pour étouffer des critiques gênantes, fait passer un simple citoyen pour pédophile, sectaire ou fou ? Non ce n’est pas Midnight Express, ce ne sont pas non plus les procès staliniens ou maccarthystes... mais c’est en France aujourd’hui que cela se passe. Le citoyen se trouve tout à fait démuni devant l’intimidation administrative, policière et judiciaire, et les institutions ne savent pas le défendre des abus de pouvoir, en particulier au niveau local.

C’est à ce constat désolant que nous amène le colloque « Le citoyen face aux abus de pouvoir », tenu à la Sorbonne début juin 2007, animé par le chroniqueur judiciaire Pierre Rancé, avec la participation de diverses personnalités.

Un constat qui vient tristement confirmer ces propos de M. Alvaro Gil-Robles, commissaire aux Droits de l’homme, sur le respect effectif des Droits de l’homme en France suite à sa visite du 5 au 21 septembre 2005 :

« J’ai l’impression que la France ne se donne pas toujours les moyens suffisants pour mettre en œuvre un arsenal juridique relativement complet, qui offre un haut niveau de protection en matière de Droits de l’homme. Il semble ainsi exister dans certains domaines un fossé qui peut s’avérer très large entre ce qu’annoncent les textes et la pratique. Cette remarque générale traverse le présent rapport qui aborde les principales insuffisances en matière de respect des Droits de l’homme, et les grands défis auxquels la France doit faire face aujourd’hui. »

Voici les extraits les plus saisissants de ce colloque et quelques commentaires personnels.

Nous sommes tous concernés par ces dérives insupportables. Demain, ce sera peut-être vous, vos proches ou votre voisin, qui serez le pédophile, le sectaire ou le fou, pour peu que par vos opinions ou vos activités associatives ou politiques, vous gêniez votre mairie ou bien une administration.


Introduction

Frédéric Tiberghien, conseiller d’Etat, présente la notion d’abus de pouvoir ou d’abus de droit et les raisons de la résurgence de cette problématique depuis quelques décennies :



Trois témoignages saisissants de vérité

Christophe Grébert, blogueur à Puteaux (92) et qui est désormais engagé dans les municipales de 2008, raconte comment il a été victime depuis plusieurs années de la mairie de Puteaux qui voit en lui un opposant gênant : intimidation par détournement des forces de police municipale, « slapping » judiciaire à outrance, mais surtout diffamation par laquelle la mairie de Puteaux a essayé, en vain, de le faire passer pour un pédophile :


François Ameli, avocat et citoyen engagé, résidant à Asnières-sur-Seine (92), raconte comment lui-même et quelques autres à Asnières ont été victimes de diffamations massives et répétées de la mairie (des tracts diffusés par dizaines de milliers aux frais du contribuable...). S’appuyant notamment sur des notes douteuses des Renseignements Généraux, la mairie a tenté avec acharnement de faire passer pour « secte » ces opposants qui la gênaient dans ses projets urbanistiques :


Jasna Stark, avocate, raconte comment, il y a 10 ans à Paris, elle et sa mère furent victimes d’une détention psychiatrique abusive insupportable pendant 24 heures, des policiers ayant détourné l’étrange procédure d’internement provisoire à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police de Paris, à des fins d’intimidation, probablement sous la pression de voisins influents en délicatesse :



Des pistes complémentaires de réflexion et d’action

Alexandre Dorna, professeur à l’université de Caen et élu local, analyse le pouvoir politique local comme porteur par essence de l’abus de pouvoir. Par sa structure oligarchique et « pseudo-pluraliste », par la manière dont est organisé le processus politico-administratif, le pouvoir municipal est analysé comme un potentat de fait, sans possibilité de contre-pouvoir réel et où le respect de l’esprit démocratique au niveau local ne dépend finalement que de la personnalité du maire. Alexandre Dorna esquisse des mesures institutionnelles pour démocratiser la vie politique locale : lutte contre le cumul de mandats et le carriérisme politique, instauration d’une proportionnelle intégrale, renforcement du statut de l’opposition :




Christian Charrière-Bournazel, bâtonnier désigné de Paris, revient sur la directive anti-blanchiment, disposant que l’avocat doit dénoncer à Tracfin son client sans le lui dire. Il oppose à cette évolution la nécessité de protéger le secret dans une société qui se veut toujours plus transparente, face à un pouvoir politico-administratif qui automatiquement s’engouffre dans la moindre brèche ouverte sur le front des libertés individuelles :



Séverine Tessier, présidente de l’association Anticor, analyse l’abus de pouvoir comme corruption du pouvoir légitimement constitué, forme de corruption ultime de la démocratie représentative, avec l’exemple des abus observés en Polynésie française. Au-delà de la prise de parole et de l’engagement politique du citoyen, au travers notamment des actions d’Anticor, Séverine Tessier trace trois axes de réponse : institutionnelle, législative et éthique, en développant notamment l’idée de jury citoyen en complément aux dispositifs existants (en particulier pour les Chambres régionales des Comptes) qui s’avèrent finalement impuissants. Remarque : le développement de Séverine Tessier sur l’inefficacité des Chambres régionales des Comptes se trouve cruellement confirmé par l’actualité à Asnières-sur-Seine, où la mairie a tout simplement décidé de ne pas publier le récent rapport de la CRC qui l’épingle gravement sur sa gestion de la ville avant les prochaines municipales. L’opposition municipale n’y peut rien... :



Serge Portelli, magistrat, évoque les risques d’abus liés en particulier aux modalités de nomination et d’avancement des magistrats, et l’idée problématique de régime disciplinaire des magistrats. Il constate que le Conseil supérieur de la magistrature, bien que globalement « monocolore », voit ses avis défavorables systématiquement ignorés par le gouvernement. Cette situation aboutit à des phénomènes d’autocensure par le magistrat sur tous les dossiers ayant un enjeu politique, selon des mécanismes similaires observés dans la presse. Plus pernicieusement, les procédures sont détournées pour que des affaires sensibles restent en sommeil au niveau du parquet, sous contrôle politique, sans que soit saisi le juge d’instruction et sans que les avocats puissent accéder aux pièces. Ce qui s’inscrit dans un mouvement global, jugé dangereux, de pleins pouvoirs progressivement donnés au procureur de la République et de « caporalisation » du parquet :



Synthèse et conclusion

Frédéric Tiberghien synthétise les différents indicateurs de l’abus de pouvoir et souligne le risque d’une illusion de démocratie : une oligarchie s’est installée dans les faits, en particulier au niveau local, avec une concentration institutionnelle du pouvoir municipal autour de la personne du maire, dernier « tyran » qui peut instrumentaliser l’administration à son profit. Le risque de non-droit se trouve accru par le recours de plus en plus large aux nouvelles technologies. Frédéric Tiberghien esquisse des axes de progrès : accroître l’information en particulier sur certains services publics fonctionnant dans une opacité suspecte, donner une capacité de contrôle et d’enquête aux citoyens et à l’opposition, limiter les cumuls et déprofessionnaliser les mandats locaux, améliorer la réactivité de la réponse judiciaire dans son indépendance, protéger les garanties dans la fonction d’avocat :



Interviews

Plusieurs interviews ont été présentées lors de la conférence, en particulier l’intervention de Yannick Noah qui renvoie chacun d’entre nous à sa responsabilité de citoyen, décrit tout à la fois comme lâche, suiveur, mais aussi capable de résistance :



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