Le droit au logement, chez moi ou chez les autres
par Jules Boncors
jeudi 29 novembre 2007
Véritable enjeu pour l’extension des droits fondamentaux les conditions de mise en oeuvre du droit au logement opposable révèlent le paradoxe de la société française qui se tourne vers un Etat souvent englué dans sa propre bureaucratie pour régler des problèmes sociaux, mais locaux.
Cette décision s’appliquera dès 2008 pour les personnes les plus en difficulté.
Il est difficile de connaître avec exactitude quels vont être les impacts de cette loi sur les attributions de logements sociaux.
L’expérience écossaise avec une première application pragmatique de l’Housing act de 1996 a conduit à attribuer 40 % des logements sociaux aux bénéficiaires de ce nouveau droit lors de la première année de son application.
40 % c’est un chiffre énorme, il représente l’ordre de grandeur des attributions effectuées au profit des salariés des entreprises privées ayant des revenus modestes.
On imagine l’effet domino qui pourrait en résulter pour les autres catégories de demandeurs de logement sociaux, même si nous ne disposons pas actuellement d’une évaluation réelle de l’impact attendu de la loi sur chaque territoire.
Fait marquant, partout en Europe où la question de l’application éventuelle de ce droit se pose, les collectivités territoriales s’en emparent, craignant une application inappropriée de telles dispositions par l’Etat ou même par la Région (le Lander) dans le cas de la ville de Cologne en Allemagne.
Rien de tout ça en France où les autorités locales en appellent précisément au rôle exclusif de l’Etat pour loger les ménages les plus en difficulté dans la moindre commune de France.
Dans un pays où le local a plutôt bonne presse et le rôle de l’Etat est plus souvent décrié, cette situation paraît tout a fait paradoxale.
Elle exprime sans doute la propension des collectivités territoriales à se désengager du social dès que l’occasion leur en est donnée.
Vous constaterez que s’il y a beaucoup de villes pauvres qui en appellent à la solidarité nationale visant à compenser la dureté de la situation qui est la leur, il est plus difficile de trouver des communes riches si l’on excepte Neuilly-sur-Seine objet de toutes les attentions.
Même Paris serait devenue une ville de pauvres, si l’on écoute ses principaux élus.
Je doute en fait qu’il soit question d’argent en ces domaines et les rapports successifs sur la question ont bien montré que les collectivités (ce sont souvent les départements qui sont en charge) préféraient payer des hôtels jusqu’à 3 000 € par mois pour une famille plutôt que de libérer ou de construire les logements nécessaires.
Alors de quoi s’agit-il si ce n’est là aussi d’acceptation sociale ?
Notre organisation territoriale dont les limites (communales) défient les lois du bon sens et ne constituent plus des espaces de responsabilités pour leurs décideurs dans certains domaines essentiels de la vie de nos concitoyens et notamment pour ce qui concerne le logement, l’emploi et les transports.
Nous nous trouvons donc dans un contexte qui de facto, et parfois au corps défendant des élus eux-mêmes permet de rechercher dans le royaume d’à côté la solution à ses propres problèmes... sociaux.
Les citoyens le plus souvent agissent localement pour qu’il en soit ainsi.
Tout se passe comme s’il y avait un citoyen national : généreux, solidaire et ouvert plutôt favorable à l’extension des droits fondamentaux, et un citoyen local voire hyperlocal défenseur de ses acquis territoriaux qui a du mal à faire le lien entre la générosité des principes et la situation sociale difficile de celui qui se trouve à sa porte. Bizarre...
L’Etat doit donc jouer son rôle et tout son rôle dans ces affaires, et je note que la commission Attali envisage l’expropriation des communes qui ne réaliseraient pas un nombre de logements sociaux suffisants.
Une sorte de monde à l’envers où l’Etat doit agir centralement pour régler des questions très locales.
Espérons simplement que de nouveaux équilibres se créeront dans l’attente d’une réforme institutionnelle sur les limites territoriales, permettant une application réelle du droit au logement.
Espérons également que cette application ne sera pas dévastatrice pour les ménages aux revenus modestes, mais intégrés socialement, qui doivent également pouvoir disposer d’un itinéraire résidentiel conforme à leurs besoins.
Il me semble enfin qu’il y a un droit encore plus fondamental que le droit au logement, c’est celui d’avoir une adresse même si c’est dans une caravane ou une tente le long du périphérique.
Cette question là a fait l’objet d’un travail extrêmement précieux réalisé par ATD Quart Monde pour faire reconnaître, par les instances européennes le droit à l’adresse de familles défavorisées bafouées par l’Etat français qui, méconnaissant leur lieu de résidence déjà ancien, s’est entêté à indiquer sur leurs cartes d’identité "sans domicile fixe".
Il paraît qu’ils n’auraient pas pu obtenir de permis de construire à ces adresses et que donc le droit des murs se serait imposé au droit des hommes.