Le métier des Le Pen

par JCBeaujean
lundi 23 mars 2015

Cela fait plus de quarante ans que les immigrés prennent le travail des Français. N'importe quel travail, d'ailleurs. Aucune conscience professionnelle. Sans compter les allocs. L'alloc, chez les Le Pen, ce serait plutôt l'allocution familiale. Mais le travail ? Ces gens-là ont-ils un métier ? Si oui, ils font le travail de qui ?

Dans la France d'avant-Le Pen, glorieuses sixties, les immigrés faisaient souvent un travail d'arabe. Je m'explique : dans toutes les grandes villes du pays, on pouvait trouver des Arabes qui travaillaient dur sur les docks, sur les chantiers de construction – quans ils ne bâtissaient pas les structures, ils faisaient partie des équipes qui démolissaient les anciennes -, ils étaient même charpentiers, couvreurs, peintres en bâtiment. On en voyait occupés au ramassage des ordures ménagères ou au nettoyage de la voirie. Ils travaillaient aussi comme fossoyeurs ou gardiens de nuit. On les a appelés en masse à venir travailler sur des chaînes de montage, pour fabriquer des voitures ou du matériel électroménager. Beaucoup se sont mis à fournir la main d'oeuvre flexible dont les agences d'intérim naissantes ont eu un pressant besoin dès le début des années 70.

Ces mêmes années d'avec-Le Pen ont vu ces millions de Français berbères, kabyles ou arabes accéder à des métiers qualifiés tels que plombiers, machinistes SNCF, mécaniciens, infirmiers, postiers, opérateurs de téléphonie, cuisiniers, secrétaires... Bien sûr, ils sont aussi devenus épiciers, chauffeurs de poids lourds, coiffeurs, barmen ou women, teinturiers, employés de banque ou fonctionnaire administratif, maîtres nageurs, glaciers, ascensoristes, laitiers, jardiniers, manucures, masseurs kinésithérapeutes, techniciens de maintenance.

Beaucoup ont pu exercer pratiquement tous les métiers, acquérir toutes les formations diplomantes possibles... Devenir médecins, chirurgiens, ingénieurs, tout autant que conducteurs de bus ou de travaux, voire hauts fonctionnaires ou policiers. Certes, quelques professions ne se sont guère ouvertes à eux, notamment celles de la représentation, représentation nationale, représentation commerciale, représentation télévisuelle.

Qu'importe. Ces millions de familles d'origine française dont les ancêtres récents ont été visités puis arrachés à leur terre natale pour les besoins de la classe possédante des républiques successives, de 1830 à 1974, sont aussi vétérinaires, cordonniers, ouvriers agricoles, employés de maison, enseignants, soldats ou puéricultrices, travailleurs sociaux, de jour ou de nuit, précaires. Travailleurs non déclarés ou à la recherche d'un emploi. Tous font partie du peuple, de ces gens qui réalisent "l'oeuvre de civilisation", la vraie, la discrète, l'invisible. A l'image de ce travail jamais chanté, jamais remarqué que font les femmes à travers le monde.

Ces Français-là ne sont plus discernables, malgré les apparences que veut bien leur donner la famille FN depuis plus de quarante ans. Ils sont le citoyen lambda aussi bien que l'homme de la rue, la rue où l'on fait la fête ou la révolution, cette rue qu'ils ont tous contribué à bâtir, celle de la Cité qu'ils ont tellement enrichie. Pas celle des gens de salon qui attendent toujours avec impatience qu'on la finisse, leur rue à eux, et qu'on la borde de trottoirs confortables, réservés à leurs boutiques de luxe, à leurs servants médiatiques, leurs flics et leurs vigiles. Ces rues interdites au sans-abri, au sans-domicile-fixe dont plus personne ne veut connaître "l'origine". Qui donc se souciera, sur un trottoir, de dénoncer l'Arabe assis sur le Français-de-souche ?

C'est bien la preuve par le caniveau : là où l'on n'est plus qu'un homme abandonné, sans dignité, la stigmatisation ethnique ou religieuse n'a plus de raison d'être. Le château de Montretout se contrefout des sans-toit.

Il faut pourtant bien que le Système qui a permis d'en arriver là survive. Alors les grands salonards bourrent leurs poubelles avec les bons vieux produits jamais périmés : salades de gauloiseries aux souvenirs mal épluchés. Regardez-les, les ptits bleus bien marinés, arpenter les grands boulevards, ouvrir grand leur cabas et faire les bennes des beaux trottoirs. Et si c'était ça, le métier des Le Pen ? Cuisiner les restes des maîtres avec la même vieille recette aux appellations d'origine contrôlée ?

Changeons de trottoir, retrouvons la mémoire.


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