Le Ministre de l’indignation inutile

par Michel DROUET
vendredi 22 mai 2015

C’est le qualificatif que je donne à Stéphane Le Foll, Ministre de l’Agriculture et porte-parole du Gouvernement qui s’est fendu d’une déclaration indignée à propos de M. Varin, ex patron de PSA et de sa retraite chapeau de 300 000 euros par an.

C’est vrai que dans le cynisme, on ne fait guère mieux : après avoir renoncé à une retraite chapeau il y a deux trois ans sous la pression médiatique et celle des syndicats, il a réussi à magouiller pour au final en obtenir une.

Fallait-il pour autant que M. Le Foll surjoue l’indignation, juste pour dédouaner le gouvernement qui n’a jamais rien fait pour mettre un terme à ce genre de goinfrerie ?

Nous sommes loin des discours de campagne, en particulier celui, célèbre, du Bourget, lorsque le candidat Hollande parlait avec des trémolos dans la voix de son ennemi : la finance !

Rien n’a changé !

S’indigner officiellement, relève de la plus pure hypocrisie et le pays continue de fonctionner comme avant. Il y a les maîtres et les esclaves et au milieu de tout cela, une classe politique incompétente quand elle n’est pas de connivence. Et ne parlons pas de ceux qui aspirent à arriver aux responsabilités, les exemples récents de magouille autour de la rémunération d’assistants parlementaires européens ou du compte en Suisse de l’ancien roi déchu, victime d’un parricide sont là pour nous alerter.

Le premier cercle

Ses membres n’ont aucune légitimité, on ne les connait pas, ou peu. A l’abri de leurs conseils d’administrations, de leurs banques, de leurs fonds d’investissements exotiques, de leurs agences de notation, ils dirigent de fait l’économie mondiale et peuvent décider du jour au lendemain de retirer leurs billes après avoir pompé toutes les liquidités d’une entreprise parce que le rendement financier se situait en dessous des deux chiffres. C’est ce qui se passe actuellement avec l’entreprise Zodiac dont le carnet de commande est garni mais qui n’a plus l’argent pour acheter les matières premières.

« La finance s’est affranchie de toutes les règles, de toute morale, de tout contrôle. Si la finance, c’est l’adversaire, alors il faut l’affronter avec nos moyens, et d’abord chez nous, sans faiblesse… » C’est ce que disait M. Hollande au Bourget. Qu’est-ce qui a changé depuis ?

Les complices

Une fois le pouvoir conquis dans les urnes, la principale préoccupation de ses détenteurs, quel que soit le parti, consiste à faire en sorte de le conserver, d’où les renoncements successifs aux promesses électorales déclamées avec passion dans les meetings ou les anaphores télévisuelles. La réalité est là et les foudres dont on menaçait la finance, les banques, les retraites chapeaux et autres moralisations de la vie publique s’en trouvent fortement édulcorées pour ne pas dire enterrées.

Ces complices s’organisent entre eux et jouent le jeu de la fausse indignation en reprochant aux uns de ne pas mettre en place la politique qu’ils n’ont pas eu le courage de promouvoir eux-mêmes. Le jeu médiatique est désormais bien rôdé, et quand ils reviendront au pouvoir, ils s’évertueront à abroger les « réformes » votées par les précédents, à défaut d’en mettre en œuvre de nouvelles. C’est dire la vacuité des ambitions politiques !

Ce système est endogamique, c’est-à-dire qu’il n’est pas ouvert aux citoyens et qu’il favorise l’ascension sociale exclusivement au sein de la caste, en permettant d’échapper à la condition sociale des manants. Il n’est que de constater le faible nombre et le vide sidéral des textes concernant le cumul des mandats, l’absence de simplification du paysage des collectivités, ou bien les reclassements des perdants dans les fromages de la république (Conseil d’Etat, Conseil Economique et social, Préfectorale, direction de grandes entreprises, etc…) pour s’en convaincre.

Toute cette caste de privilégiés de la République attend sagement des jours meilleurs ou bien profite généreusement des subsides de l’Etat en attendant la retraite en pantouflant au frais des contribuables.

Voilà comment de candidat décidé, de syndicaliste convaincu, d’énarque ou de patron de la télévision publique ou de l’Ina, on en vient à oublier ses promesses, à taper dans la caisse pour son confort, à siéger dans des instances rémunératrices, à oublier de déclarer ses comptes en Suisse ou à minorer son patrimoine pour échapper à l’impôt, tout cela pour rester dans la lumière et profiter du système en faisant « carrière ». Etonnez-vous après cela de la faiblesse du politique et des corps intermédiaires et leurs compromissions envers l’économie et la finance. 

Le fric, le flouze, le pèse, la fraîche, les artiches,....

Face à un pouvoir faible et inopérant, ceux qui détiennent le vrai pouvoir en profitent grassement : l’immoral système de retraite chapeau a encore de beaux jours devant lui. Le « cadeau de bienvenue » tend également à se développer (4 millions d’euros pour le patron de Sanofi, sans doute pour compenser le préjudice moral qu’il aura à fermer des laboratoires en France…), sans oublier les goinfres qui veulent le beurre et l’argent du beurre (cf l’affaire Proglio à Thales), les indemnités de rupture ou bien les rémunérations exorbitantes. Pourquoi se gêner ? Juste une petite indignation convenue du porte-parole du gouvernement qui veut dédouaner son patron et hop, on passe au scandale suivant !

Les déserteurs, ce sont ceux qui ne se résignent pas à payer des impôts alors qu’ils font leur carrière en France. Chanteurs, acteurs, sportifs, patrons de groupes de distribution,… goûtent les joies des montagnes Suisses, des mornes plaines Belges ou bien des conditions climatiques de Saint Barth ou des grands espaces de la Patagonie. Invités permanents des médias, à l’occasion de la sortie du disque ou du film, ou de la victoire dans une compétition dans laquelle ils portent les couleurs du pays, ils n’hésitent jamais à profiter du système, de la carte vitale quand cela est utile, en oubliant ce qu’ils doivent à leur pays d’origine.

Les fraudeurs quant à eux, se trouvent parmi ceux qui exercent des professions qui permettent de dissimuler des sommes gagnées au fisc. Parfois, le système est organisé par les vendeurs de caisses automatiques qui permettent à des commerçants peu scrupuleux de minorer leurs recettes déclarées. Parfois, c’est dans le BTP que l’on retrouve ces pratiques, organisées sous couvert de « travailleurs détachées », ou bien chez des « entreprises » organisées exclusivement autour du travail au noir. Il est toujours intéressant de voir les billets de 50 euros défiler aux caisses des magasins de bricolage, pour payer la note d’hôtel, de restaurant, ou le plein de carburant. A quand le paiement obligatoire par carte ou chèque à partir d’un certain montant pour éviter cela, M. Le Foll ?

Les autres

Les autres, c’est vous qui avez choisi ou non de rester dans la légalité avec parfois un prix à payer, celui de l’emploi précaire, mal payé, de l’instabilité, celui du rognage des retraites ou des couvertures sociales, celui du soupçon à la fraude. C’est ainsi que Pôle emploi a déployé 200 contrôleurs pour faire la chasse au fraudeur, parce qu’un chômeur de longue durée est forcément un fraudeur. Comprenez-bien, avec les 40 Milliards du pacte de responsabilité gracieusement offert aux entreprises, il n’y a plus de raison de chômer !

Faire la chasse aux chômeurs pour quelques dizaines de millions est sans doute plus rentable politiquement que de faire la chasse aux rémunérations exorbitantes, aux exilés fiscaux, à la fraude fiscale et sociale des entreprises. Le message est clair : ceux qui rapatrient leurs comptes suisses ont droit au calme feutré des bureaux moquettés de Bercy pour plaider leur cause, ceux qui ne recherchent pas activement un emploi verront leurs indemnités suspendues immédiatement.

Mais j’allais oublier le dernier satisfecit gouvernemental : la diminution du nombre d’assujettis à l’impôt sur le revenu en oubliant de préciser que le rendement de cet impôt a augmenté grâce aux prélèvements supplémentaires opérés sur les « classes moyennes ».

Pour ma part, je rêve d’un pays où tout le monde pourrait participer aux dépenses collectives en fonction de ses revenus, que ces revenus soient intégralement déclarés, et en France.

Nous en sommes encore loin et entre le premier cercle, les complices, les fraudeurs, déserteurs, autres profiteurs et les autres, les manants, les roturiers, les assistés, c’est-à-dire vous et moi, les frontières sont bien en place.

Il n’y a aucune chance que les choses s’améliorent et ce ne sont pas quelques emportements médiatiques surfaits de M. Le Foll qui y changeront grand-chose. Il serait bon qu’il s’impose une cure de silence durable sur ces sujets.


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