Le national et le local

par Michel DROUET
mercredi 26 mars 2014

Loin des débats nationaux, des commentaires des médias avec leurs analyses politiques globalisantes et des envolées lyriques des ténors des partis politiques , il existe une autre vie : celle du quotidien des citoyens, des collectivités territoriales et de leur complexité, et également celle du microcosme politique local qui a tendance à reproduire localement les comportements nationaux en attendant de faire partie de l’élite.

Les barons locaux et leurs carrières

Derrière tout cela, il y a des trajectoires politiques individuelles, des enjeux locaux partisans et une idée du service rendu au citoyen qui n’est pas totalement désintéressée.

Elu local est souvent devenu un métier qui s’inscrit dans la durée et au service d’intérêts politiques partisans avant d’être un mandat au service de la population.

D’où me vient ce constat désabusé ? Sans doute en premier lieu de mon expérience professionnelle au service de collectivités territoriales avec une analyse critique qui s’est développée de manière régulière dans le temps avec la pratique, et qui se trouve confortée depuis que je suis en retraite.

Il s’est nourri encore davantage à la lecture d’un article de la presse locale (Ouest-France du 26 mars), lequel nous indique que 36 conseillers généraux en Ille et Vilaine ont été candidats aux récentes élections municipales sur les 53 que comporte le Conseil Général de ce Département.

En première analyse on pourrait se dire qu’il s’agit là d’un effet du cumul des mandats et ce n’est sans doute pas faux. Depuis longtemps on constate une professionnalisation de la politique qui traduit certes une ambition qui n’est pas seulement celle de servir mais qui répond à des égos personnels, mais qui est aussi plus prosaïquement l’ambition de gagner sa vie avec des indemnités dont on sait que le cumul peut nourrir son homme (moins souvent la femme).

En seconde analyse (ou bien est-ce un effet collatéral du cumul) il existe une conscience politique collective et c’est là que l’on peut rejoindre le débat national. Il s’agit de faire gagner ses couleurs, qu’elles soient de droite, de gauche ou autres…

Loin de moi l’idée de dire que la conscience politique passe après l’aspect carrière ou alimentaire, mais il faut bien dire que lorsqu’on est entraîné dans cette dynamique, que l’on soit élu soi-même ou proche du système, l’esprit critique a tendance à s’émousser.

Voilà ce qu’on pouvait percevoir jusqu’à présent.

Poursuivre sa carrière à tout prix

Aujourd’hui, les choses changent, et cette analyse doit être revue à la lumière des évolutions prévues ou prévisibles du système des collectivités territoriales, compte tenu par ailleurs de la baisse des dotations de l’Etat qui viseront à la disparition ou à la fusion des collectivités entre elles. Ce qui est prévu, c’est la baisse du nombre des élus à terme, soit par fusion (départements/régions, par exemple), soit par diminution des compétences (communes vers les intercommunalités par exemple).

Dans ce contexte, et pour revenir au constat évoqué plus haut (36 conseillers généraux candidats aux élections municipales sur 53) on peut sans doute percevoir la crainte des conseillers généraux dépossédés prochainement de leurs mandat (et de leurs indemnités) qui se réfugient sur d’autres mandats afin de poursuivre leur « carrière » en se projetant sur l’intercommunalité, à titre de complément.

On ne pourra pas leur reprocher de ne pas anticiper en cherchant une assurance personnelle de continuité de leur vie professionnelle/politique. Une valeur refuge, en quelque sorte. Par contre on pourra leur reprocher de mettre en avant l’intérêt collectif au second plan.

On notera également que certains Présidents de Conseils Généraux ambitionnent désormais un mandat de sénateur, signe que cela sent le brûlé du côté des départements, dont les compétences pourraient être dévolues aux régions ou aux intercommunalités.

Les dérives du système

Ce cumul, même provisoire, en attendant les réformes citées plus haut, est porteur de dérives. Comment penser raisonnablement que le Conseiller Général fait abstraction de son mandat local lorsqu’il s’agit de voter le programme des routes départementales, l’implantation d’un nouveau collège ou les dotations allouées à l’intercommunalité dans laquelle sa commune se trouve. Nous ne sommes pas loin d’une forme de trafic d’influence dans lequel le conseiller général cumulard vote avant tout pour garantir sa réélection locale en attirant les subsides du Conseil Général au détriment d’un intérêt départemental, quasi-inexistant.

Ce cumul conseiller général/conseiller municipal revêt une importance différenciée selon que la circonscription est rurale ou urbaine. Conseiller Général est en effet un mandat reconnu en zone rurale, ce qui n’est pas le cas en zone urbaine. Faites le test et demandez le nom du conseiller général d’un canton en ville, vous ne serez pas déçus : 9 chances sur dix qu’on vous donne le nom du conseiller municipal élu du quartier.

Les conseillers généraux/conseillers municipaux en ville ont donc une autre fonction qui est celle de provoquer un rapport de forces au Conseil Général pour que la ville centre ou l’intercommunalité dans laquelle elle est incluse obtiennent davantage de subsides au nom des charges de centralité, mais aussi, absorbent, à terme les compétences départementales : c’est ce qui se profile avec la création des Métropoles (loi MAPAM de 2013).

Pour faire le lien…

D’un côté donc, les grandes envolées médiatiques et lyriques nationales sur les résultats du premier tour des élections municipales et de l’autre la petite cuisine locale qui ne fait pas la une des médias et qui n’est jamais analysée par les commentateurs, tant dans ses aspects individuels (le côté carriériste des élus) que collectifs (les quasi-trafics d’influence).

Pour l’instant, personne ne fait le lien entre ces deux dimensions et la conduite de la politique nationale, sauf pour sanctionner le gouvernement en place, quel qu’il soit.

La rupture annoncée entre le jacobinisme actuel et la dépendance financière des collectivités territoriales vis-à-vis de l’Etat va profondément changer la donne. La rareté des subsides étatiques va obliger les collectivités territoriales à opérer une révolution sans précédent. Elles n’y sont pas encore prêtes, parce que les élites politiques locales retardent sans cesse les échéances au nom des avantages personnels acquis (le cumul et la professionnalisation).

Le citoyen est maintenu dans l’ignorance de la situation et n’est jamais consulté : L’information du citoyen, voilà l’enjeu réel de ces prochains mois pour éviter le rejet des reformes nécessaires du système territorial français. 

 


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