Le pari de la citoyenneté

par Xavier DUMOULIN
mercredi 24 janvier 2007

Le spectacle assez désolant des grands shows politiques conduit à s’interroger sur l’éthique du débat public. A gauche la citoyenneté reste une valeur essentielle. Si la République ne vit pas sans le citoyen, la gauche peut-elle garder son identité en oubliant les principes qui fondent l’engagement militant ?

Relégué au simple rang de supporter, le militant, cette figure jadis emblématique du mouvement ouvrier, pèse-t-il encore de manière éclairée sur la destinée humaine ? On pourrait en douter dans une société où les coteries ont remplacé les militants et où le vedettariat et la notoriété sont l’horizon de la façon d’être des élites. Cette politique de l’image mine le modèle républicain.

L’américanisation de la politique avance à marche forcée. Y échapper, nous expliquent les esprits dociles, relève d’une impossible gageure. Allez donc aborder la politique fiscale, exposer la vision d’une République européenne ou bien contester l’approche du philosophe Habermas devant des "présentateurs" d’émissions à destination de spectateurs, fascinés autant que façonnés par la force des images et des émotions. Le canal citoyen se fait bien trop rare dans la société de l’audimat et de la dérision.

Néanmoins y a-t-il d’autres voies que celle de la raison en politique ? Là encore, rien n’est simple. La citoyenneté ne se décrète pas. Elle s’apprend à l’école de la République, se nourrit d’une exigence et d’une expérience puisées dans la vie sociale, toujours enrichies car sans cesse éprouvées dans l’espace public. Les débats participatifs de la campagne présidentielle sauront-ils mettre en jeu cette pédagogie pour renouveler ce rapport à la politique ou se réduiront-ils à un gadget à finalité médiatique ?

Il arrive que la pente de la facilité soit aussi glissante à gauche quand le slogan tient lieu d’argument et traduit l’allégeance quasi religieuse à un candidat, à un leader, à un parti ou à une chapelle politique. Ce réflexe clanique prend alors le pas sur l’adhésion réfléchie qui devrait être celle de tout homme de bonne volonté, héritier des lumières. Cette fidélité quasi religieuse, peut être touchante, sincère et sublime -quand elle est vraiment désintéressée- mais n’en constitue pas moins un vestige inquiétant d’une mentalité archaïque et sectaire. N’est-il pas calamiteux, ce réflexe d’excommunication janséniste, ce manichéisme particulièrement affirmé dans certains courants de l’extrême gauche ? Ce trait de caractère est sans doute hérité du guesdisme puis des relations compliquées au sein de la gauche française entre courants réformistes et révolutionnaires. Une candidate illustre cela jusqu’à la caricature, mais il y a bien d’autres modèles. Cette dérive sectaire se conforte souvent dans une approche dogmatique qui ne s’encombre pas de la complexité du réel et se dispense d’un appareil de réflexion critique. En substituant le sentiment (fidélité, pureté, intransigeance, etc.) à la raison, elle permet d’éviter les débats de fond (qui reposent sur la réflexion, la lucidité et le courage) et nourrit un attachement aveugle envers les gardiens du temple assurés d’une rente de notoriété et d’un matelas de voix. L’intransigeance verbale, gage de la pureté doctrinale et de l’intégrité morale, offre un supplément d’âme à tous nos contempteurs de la gauche réformiste. Les différences d’approches entre Jules Guesdes et Jean Jaurès ou entre Guy Mollet et Pierre Mendès France ont illustré en leur temps ce conflit de méthodes entre le radicalisme verbal impuissant et l’action réformatrice déterminée (la posture maximaliste masquant souvent l’inaction ou le défaitisme, quand elle ne cache pas sciemment des entreprises peu honorables). "Comprendre le réel pour aller à l’idéal", disait Jaurès. Avec ces coeurs purs installés dans la fonction tribunitienne, le capital industriel et financier n’a pas vraiment de quoi s’inquiéter ! Cette critique du gauchisme doit rester cependant toute relative. On trouve aussi à la gauche de la gauche des esprits intrépides et généreux auprès desquels il y aurait beaucoup à apprendre en théorie et en pratique. Au sein du PS, les écuries présidentielles ont par ailleurs longtemps fonctionné sur des ressorts assez écartés des principes d’action socialistes et le capital mondialisé a été tout aussi bien épargné par les gestions social-libérales.

Une posture réaliste, ouverte et critique devrait pourtant s’imposer à tous les militants de gauche désireux d’offrir une alternative aux citoyens de ce pays. N’avons-nous pas le plus grand besoin d’unir nos esprits critiques et nos voix pour refuser l’allégeance aux idées libérales ? Celles-ci campent dans l’air du temps et sont encore trop hégémoniques face aux conceptions socialistes et républicaines jugées péremptoirement ringardes au motif -jamais avoué- qu’elle n’épousent pas la pente idéologique du néolibéralisme. Et jusque dans la critique de ce néolibéralisme, une posture citoyenne ne saurait faire l’économie d’une analyse serrée d’une situation concrète et souvent complexe. Dans le grand arc-en-ciel de la gauche, il y a souvent loin des discours aux réalités et de l’intention aux actes. Foin des passions, des dogmatismes et des querelles d’épiciers. Notre désir d’avenir citoyen n’est-il pas autrement exigeant ?


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