Le service minimum ou la fin de la grève

par Caleb Irri
mercredi 7 mai 2008

Le service minimum dont le gouvernement préconise la mise en place est une aberration.

Tout d’abord, il faudrait revenir sur le droit de grève, qui fait partie intégrante des possibilités légales de la contestation. Elle est censée paralyser une production (de biens ou de services) dans l’optique de revendications sur les salaires, ou sur les conditions de travail. Concrètement, il s’agit d’arrêter le travail sur un temps donné, afin, d’une part, de faire entendre son mécontentement et, de l’autre, d’exercer une pression financière (et parfois médiatique) sur l’employeur. Les jours de grève ne sont pas rémunérés, mais l’entreprise touchée perd également de l’argent, car la plus-value créée par le travail des employés et vendue aux clients n’est plus réalisée : c’est là que réside le seul véritable contrepoids des salariés. Il montre au patron que l’employé est de fait la véritable force productrice de l’entreprise. Sans le second, le patron n’est rien.

A présent, qu’en est-il de la grève après la mise en place du service minimum ?

Il y a plusieurs possibilités d’éviter les grèves ou, tout au moins, de les étouffer rapidement. Bien sûr, je n’évoquerai ni l’emploi de la force armée ni de l’interdiction pure et simple de ces manifestations, nous n’en sommes heureusement pas rendus à cette extrémité. Mais d’autres moyens plus simples et apparemment plus pacifiques sont utilisés.

Il y a tout d’abord la technique que l’on rencontre dans Les Raisins de la colère, où le nombre de postulants est si élevé que chacun est prêt soit à bousculer son « adversaire » pour lui prendre la place, soit à accepter un salaire si misérable que l’on ne se pose pas la question de respect des droits. Cette technique n’est utile en France que pour le travail au noir et, heureusement, les masses ne sont pas encore si pauvres qu’elles puissent revenir à cet état de fait. Toujours est-il que dans le cas d’une trop grande demande d’emplois par rapport à l’offre, l’employeur peut facilement annoncer : « pour ceux qui ne sont pas contents, la porte se trouve ici ; on en a dix qui seront ravis de bosser à votre place ». Et, là, nous nous rapprochons de la réalité.

Ensuite les employeurs ont d’autres possibilités, à savoir l’étouffement d’un mouvement comme dans La Bête humaine, où les employeurs espèrent venir à bout d’une grève par épuisement physique des grévistes : il est supposé que les finances de ces derniers seront à sec avant celles du patron. Ce qui arrive parfois, surtout quand le patron c’est l’Etat. Et c’est également dans ce cas qu’une autre méthode est couramment employée, une arme antigrève redoutable : les médias.

Pas besoin d’être un investigateur précis et chevronné pour savoir que les médias sont dirigés par de grands patrons très riches, ayant parfois quelques accointances avec le pouvoir en place, et possédant de nombreuses entreprises employant de nombreuses personnes susceptibles un jour ou l’autre de se lancer dans un mouvement de grève. On en a des exemples presque quotidiens.

Ces médias, on le comprend aisément, ne peuvent ni taire les grands mouvements ni parler de tous les petits, et se rendent là où l’intensité est la plus forte. Ce qui, soit dit en passant, fait parfois faire à des grévistes certains coups d’éclat médiatiques comme des prises d’otages, abus condamnable, mais presque compréhensible pour certaines situations désespérées. Enfin, c’est ainsi, et on sait qu’un mouvement social dont on ne parle pas est déjà un échec. Un poids de plus dans la balance pour le camp des patrons. D’autant que les chiffres des manifestants, du nombre de grévistes, des incidents provoqués et des pertes annoncées sont transmis par ce même canal qui me semble logiquement suspect de partialité.

Une dernière technique enfin, qui rappelle l’idée du service minimum et que j’ai vu employer à la RATP, consiste à payer des salariés « réservistes » plus cher que les salariés grévistes, afin qu’ils remplacent les absents. La grève n’est pas perçue par les usagers, et les tensions créées entre les employés sont très fortes, et découragent souvent les grévistes.

Je ne parlerai pas des liens très forts unissant certains syndicats au patronat ni des caisses noires de l’IUMM ni même des propositions de soudoyer les salariés afin qu’ils refusent la grève, car ils sont douteux sur le plan légal, et ne font que prouver que la grève est une force dont on essaie de se débarrasser.

Personne bien sûr n’oserait aller si loin dans la terminologie car le droit de grève est une caractéristique quasi traditionnelle de la démocratie, mais c’est de tout temps que dure cette hypocrisie : la grève gêne car elle permet de montrer par les faits que l’argent gagné par le patron n’est que le fruit du travail de ses employés. Pour paraître démocratique (et rester en place), les gouvernements ont accepté la grève, mais cherchent toujours à la rendre inoffensive : le service minimum est la fin du droit de grève en pratique tout en conservant ce droit en théorie.

Depuis presque vingt ans, la plupart des grèves se sont situées dans la fonction publique, et le reste dans des corporations assez bien encadrées : pourquoi ? tout simplement car ces grèves mettaient les usagers en difficulté, que cela créait de sérieux problèmes au fonctionnement quotidien du pays. Le peuple, même mis en colère par les grévistes, finira toujours par demander des comptes aux gouvernants, pas aux employés. En plus, le chaos entraîné par les agents de conduite ou les transporteurs d’essence est très médiatique et ne peut donc passer inaperçu. On devait régler ça.

Mais, aujourd’hui, il faut tout d’abord déposer un préavis de grève, ce qui implique une organisation difficile au niveau des employés, et aussi un temps d’adaptation non négligeable pour l’employeur, qui dans ce monde d’intérim ne tarde pas à trouver des solutions limitant la portée du mouvement.

Avec le service minimum, il ne sera même plus question de grèves : si elles ne gênent personne, elles ne seront pas écoutées. On ne les relaiera plus dans les médias, et elles deviendront de fait inutiles : on ne fera plus grève.

Encore une chose à propos de l’école : je m’étonne qu’il faille plusieurs années d’études pour obtenir le droit d’éduquer des enfants, qu’il soit si difficile d’obtenir une place en crèche ou à la garderie, alors qu’apparemment les agents municipaux sont tout à fait aptes à s’occuper d’enfants. Pour ma part, je ne confierai pas mes enfants à des gens qui n’ont a priori aucune compétence pour les garder, et je suis consterné par le fait que personne n’en ait encore fait mention.


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