Le sondage permanent

par C’est Nabum
samedi 5 décembre 2015

Une question sans fondement.

La prochaine période sera propice à la prolifération de questionnements multiples, d'interrogations essentielles et de photographies forcément instantanées, l'échéance présidentielle arrivant au galop. On appelle cela : « Sondage d'opinion », une pratique introspective de masse beaucoup plus facile à obtenir qu'une coloscopie. Il faut avouer que la Sécurité Sociale semble plus soucieuse des dépenses publiques que certaines cellules secrètes de l'Élysée ou de partis prétendument Républicains.

Nous sommes sondés pour un Oui et plus rarement pour un Non. On nous demande de dévoiler à des inconnus ce qu'on nous honore de bien vouloir qualifier d'opinion. Néanmoins la question vaut plus que la réponse. Le questionneur a plus à y gagner que le sondé. Et il convient de satisfaire à l'attente implicite du questionneur qui se fait un malin plaisir à percevoir une tendance dans un flot de convergences improbables.

On se moque des mots et du peuple, ce souverain qu'on ne méprise jamais autant que lorsqu'on feint de s'intéresser à ce qu'il pense ! Nos fins statisticiens, après bien des études supérieures et nécessairement scientifiques, maîtrisent les nombres avec un tel degré d'expertise qu'ils les appellent chiffres, pour leur faire dire n'importe quoi et en priorité ce qu'on attend d'eux. Le chiffre se plie aux intentions du financeur :il a cette aimable délicatesse.

Il serait bon de signaler à ces doctes représentants de nos élites intellectuelles qu'une opinion qui se respecte, se fonde sur des connaissances précises. Elles se sont construites grâce à une étude sérieuse du sujet, l'écoute de spécialistes ayant des points de vue contradictoires. L'opinion a besoin de fondations solides et d'un débat d'idées. Elle ne surgit pas d'un claquement de doigt, après un coup de téléphone ou d'une rencontre impromptue. L'opinion prend son temps : ce qui va à l'encontre des envies du sondeur.

Évidemment, c'est exactement le contraire qu'on nous impose. Une question surprend un quidam qui se voit, dans l'instant, propulsé dans la formidable famille de l'échantillon représentatif. Flatté par cette distinction qui lui confère immédiatement une autorité incontestable, notre individu lambda répond à brûle-pourpoint à n'importe quoi et son contraire. Il se dresse sur ses ergots, gonfle son ego et répond tout de go en devançant les attentes du questionneur adroit.

De ces réponses alambiquées, l'éminent représentant de la caste mathématique donne à comprendre les grandes tendances de ce serpent amer qu'on nous présente sous le vocable réducteur d'opinion publique, lointaine cousine de la salubrité et du salut. Fort de ces données sans fondement, passées à la moulinette des variables de correction flanquées de leurs cousines saisonnières , notre spécialiste en expertise sociale et politique nous explique enfin ce que nous pensons sans même y avoir songé !

Les gouvernants, en mal d'ancrage réel dans le pays, utilisent ces outils pour comprendre ce pouls de la nation, eux qui n'ont plus jamais plus l'occasion de le prendre, eux qui sont totalement dépourvus de cœur. Ils se vantent alors de répondre à nos attentes, de devancer nos craintes, d'anticiper nos inquiétudes, d'expliquer nos réactions, de justifier des mesures qui vont à l'encontre de nos intérêts. Merci à eux, nous leur en sommes particulièrement reconnaissants.

Il y a quelque temps déjà, par opportunisme ou par stratégie, une candidate malheureuse au poste suprême, avait évoqué la démocratie participative et des comités de citoyens pour participer à l'élaboration des lois : de simples gens que l'on formerait sur un dossier particulier afin de construire des propositions en dehors de la dictature des hauts-fonctionnaires.

L'idée a fait un flop, tout comme cette dame qui, depuis, a su rebondir. Son vainqueur d'alors se targuait de mesurer avec une gourmandise étonnante l'opinion de ses « loyaux sujets ». Une multitude de sondages éclairèrent le bon monarque qu'il fut alors et qu'il espère redevenir. Il fonda ses réactions à l'aune des sondages alors que d'aucuns les pensaient intempestives. Le candidat qu'il est redevenu après un échec cuisant, agit de même et n'émet une idée que lorsqu'elle a été validée par un sondage. L'homme tient lieu de girouette ; il anticipe les sautes d'humeur de l'opinion. Rappelons les casseroles qu'il traîne à propos de ces sondages frauduleux et gardons-nous de croire que le président actuel se prive de telles pratiques.

Il serait grand temps que s'élève dans ce pays un mouvement de masse pour refuser à tout jamais de répondre aux questions creuses de ces questionneurs nuisibles. Nous avons une bien trop haute opinion de la politique pour la comparer à la lessive ou aux couches-culottes. Les sondages et leurs commanditaires ne font rien mieux que d'entretenir cette confusion qui les sert si bien. Hélas, nos élus, dépourvus d'opinion, aiment à sonder celle de ceux qu'ils s'empressent de trahir.

Sansopinionnement vôtre.


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