Le statut pénal du Président sauvera-t-il Sarkozy ?

par emile wolf
samedi 12 mai 2012

Beaucoup parlent du statut pénal et de l’immunité du Président de la République. Personne ne l’expose avec plus de précision que les deux premiers alinéas de l’article 67 de la Constitution :
« Le Président de la République n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité, sous réserve des dispositions des articles 53-2 et 68.
Il ne peut, durant son mandat et devant aucune juridiction ou autorité administrative française, être requis de témoigner non plus que faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. Tout délai de prescription ou de forclusion est suspendu
. »
 

Les réserves concernent la cour pénale internationale (article 53-2) et la destitution pour manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat (article 68). Toutefois l’article 68 est au point mort. Il nécessite une loi organique d’application qui pourrit dans les archives du secrétariat de l’Assemblée depuis plus de cinq ans. L’hyper Président, au-dessus de tout soupçon, qui sut abuser de son mandat pour précipiter l’adoption du traité de Lisbonne a perdu de vue ses propres réformes constitutionnelles de Juillet 2008. L’adepte du devoir de mémoire cultiverait-il l’hypocrisie ?

Ainsi l’application de cet article, comme celle de l’article 11 concernant le référendum d’initiative populaire, l’article 71-1 créant le Défenseur des droits et la nouvelle version de l’article 73 accordant une mini-autonomie législative ou réglementaire aux collectivités territoriales des départements et régions d’outre-mer, sont passées à la trappe. Ces articles font figure de leurre et ont donné bonne conscience aux dix parlementaires du PS qui votèrent, en Congrès, la révision constitutionnelle. Pour information celle-ci fut adoptée par 539 voix pour une majorité requise de 538, le 21 juillet 2008.  

Les lecteurs l’auront compris, le texte de l’article 67 issu de la révision constitutionnelle de février 2007 distingue l’irresponsabilité du président pour les actes accomplis en tant que tel et l’action judiciaire gelée pour la durée de la mandature au cas où les actes répréhensibles ne résulteraient pas de l’exercice du mandat présidentiel confié par le suffrage universel. 

Le titre 2 de la constitution et les quinze articles qui le composent définissent avec précision la teneur et les limites du mandat présidentiel. S’il arrive que le mandataire outrepasse cette définition, il devient ipso facto justiciable et ne bénéficie plus que du gel de l’action judiciaire et de sa prescription, en bref du report de celles-ci.

C’est pourquoi, dans sa réponse au sujet de la formation d’une commission d’enquête parlementaire concernant les sondages facturés pour plus de 3,28 millions d’euros à l’Elysée, Madame Alliot Marie, Garde des Sceaux, rappelle le vendredi 6 novembre 2009, au Président de l’Assemblée nationale : «  Je me dois toutefois d’appeler votre attention sur le fait que cette commission d’enquête n’entre pas dans le cadre défini par la Constitution  ».

Vous le constatez le Garde des Sceaux n’oppose pas l’alinéa 1 de l’article 67. Il ne prétend pas que le Président a agi sous le couvert de son mandat. Avec sobriété, il se borne à mettre en avant l’alinéa 2 «  Le Président ne peut durant son mandat faire l’objet d’une action, d’un acte d’information, d’instruction ou de poursuite. »



Cet arrêt de « l’instruction » perdure selon l’alinéa 3 dudit article : «  Les instances et procédures auxquelles il est ainsi fait obstacle peuvent être reprises ou engagées contre lui à l’expiration d’un délai d’un mois suivant la cessation des fonctions. » 

Ceci n’empêche nullement d’engager une procédure contre M. Sarkozy dès le 16 juin prochain pour prise illégale d’intérêts et détournement de biens. Ce, pour autant que l’instruction puisse le convaincre d’avoir utilisé le budget de la Présidence pour payer des sondages dans l’intérêt de l’UMP, le parti dont, selon le Titre IX des statuts de ce mouvement, il est resté le Président « inactif » pendant la durée de sa mandature.

Sale affaire !

Jusqu’à la publication du rapport de la Cour des comptes, dénonçant un poste sondages de plus de 3 millions € en 2008 dont certains font double emploi avec ceux des médias, tout se passe comme si l’Elysée commande et paie les études nécessaires à l’UMP pour préparer les élections municipales, cantonales, européennes et régionales sur son budget de fonctionnement. Les annexes 33 et 32 des rapports n° 1967 (14 10 2009) et n° 2857 (14 10 2010) du député Jean Launay, rapporteur spécial de la commission des finances de l’Assemblée, consacrent une partie aux sondages élyséens et présentent le tableau des factures et l’intitulé du service les justifiant. Ces informations permettent de les visualiser sur le site des instituts qui les ont produits.

Il apparait que nombre d’entre eux ne concernent pas le Président de la République. Quand ces enquêtes ne portent pas sur la cote des personnalités de tous bords ou sur les projets du Gouvernement, elles s’intéressent aux élections régionales, cantonales et municipales ou à celles du Parlement européen. Une mine d’or pour définir et, au fil du temps, affiner la stratégie électorale.

Il est alors évident aux yeux du simple quidam que de tels sondages sont plus utiles aux instances de l’UMP qu’à l’arbitrage entre les pouvoirs et au fonctionnement régulier des pouvoirs publics. Cette évidence de la méconnaissance du devoir de loyauté génère un conflit d’intérêts entre Sarkozy, Président de la République, et Sarkozy, Président de l’UMP.

Pour illustrer cette affirmation l’étude IFOP réalisée entre le 11 et 13 mars 2009 pour le compte apparent du JDD, établit en page 6 et 22 des comparaisons avec une enquête identique effectuée entre le 6 et 9 janvier 2009, pour l’Elysée, sur un échantillon de 1053 franciliens et le même sujet Karoutchi‐Pécresse, qui n’est parue nulle part. Comment l’IFOP utiliserait-il, sans l’accord de son client, une étude réalisée pour et payée par ce dernier qui confidentielle ne nécessitait aucun dépôt à la commission des sondages puisqu'elle n'était pas destinée à être publiée ?
  
L’astuce présidentielle est tout aussi culottée que les emplois fictifs de Chirac et Juppé. Pour éviter des frais à l’UMP, elle consiste alors à signer un mini contrat, très simplifié, avec un Conseiller, Patrick Buisson par exemple, « chargé de juger de l’opportunité, dans le temps et dans les thèmes, des sondages à réaliser » faisant ainsi croire que le Conseiller, doté de cette carte blanche, décide seul. Il convient ensuite d’utiliser, non seulement la société du conseiller écran pour commander les enquêtes voulues mais encore, pour certains événements, les services de Média écran pour en publier certaines. Il devient alors très difficile de déceler quand et quel type de sondage privé intéresse la Présidence et, pour les instituts de sondages, à qui les destinait Publifact, la société de Buisson, devenue Publiopinion après la publication en 2009 du rapport de la Cour des comptes, lequel mit la puce à l’oreille de la commission des finances de l’Assemblée.

La manœuvre fonctionne à merveille jusqu’à ce que, Monsieur Karoutchi en soit une seconde fois victime ! « Les Franciliens et les élections régionales » un sondage remis par Opinion Way le 8 janvier 2009 dans l’après‐midi au Figaro aurait été réalisé le 7 et le 8 du mois.

Selon, le site et les multiples déclarations de Monsieur Karoutchi : le 17 décembre 2008, dans l’hémicycle du Palais Bourbon, le député socialiste Julien Dray lui annonce la publication du sondage début janvier avec les résultats exacts. Non content, le mardi 6 janvier au matin, circulent sur les bancs des députés UMP les résultats de ce sondage apparemment non encore réalisé !

Avec une équipe pareille d’extralucides, plus besoin de sondage, l’avenir de la France est tout tracé par Sarkozy pour Sarkozy avec le soutien innocent de Bercy qui puise dans la poche des tributaires.

Monsieur Karoutchi du Gouvernement Fillon se fâche. Il saisit la Commission des sondages, l’organe régulateur qui veille à leur loyauté et régularité. La suite n’est pas connue.

S’il est confirmé par l’enquête, à supposer qu’il y en ait une, ce que présumait une partie des parlementaires, le soupçon que N.Sarkozy n’a pas agi en qualité de Président mais de Chef de Parti en commandant de tels sondages, son action n’est alors pas couverte par l’irresponsabilité pénale prévue au premier alinéa de l’article 67 de la Constitution. 

Dieu merci, soupirent les partisans de François Hollande ! Le nouveau Président a promis de faire disparaître cette immunité. Ce qui n’est pas exact.


Le propos de Monsieur Hollande concerne l’alinéa 2 et en conséquence l’alinéa 3 de l’article 67 mais cet élu a toujours préservé l’alinéa 1 c’est-à-dire l’irresponsabilité pénale du Président pour les actes accomplis en cette qualité. En somme, prudence cauchoise : une demi-mesure qui va dans le sens de l’équité sans vraiment l’atteindre.
 


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