Le surmoi et Agoravox
par Michel Koutouzis
samedi 7 novembre 2009
Au pire faisant totale abstraction du texte proposé, au mieux s’attachant à un mot, une phrase, une expression, les internautes partent dans un long voyage en leur surmoi. Une monotone répétition de leurs certitudes, une incroyable quête de références, de points d’appuis à leur opinion que la toile désormais leur permet. Démarre ainsi une traversée référentielle, qui dure toute la nuit, ornée de quolibets, de platitudes censées savantes, d’anathèmes, d’approbations se nourrissant les une les autres, traversée qui éloigne à chaque remarque un peu plus du sujet. Il y a des combats de coqs singuliers, des prises conceptuelles de la Bastille, des affirmations pompeuses…
Tout cela serait sans importance, après tout, s’exprimer sur la toile évite le questionnement sur soi, sur sa solitude, sur les carapaces protectrices que chacun construit pour être. Cependant, l’aspect agressif, ordurier, hautain et méprisant et surtout l’incapacité de hiérarchiser l’important du futile ne sont pas forcément cathartiques. Ils indiquent plutôt que dans cette logo-diarée, les mots perdent tout leur sens. Le sens disparu, ne reste que l’exhibition. Ce qui me paraît le plus inquiétant, c’est l’aspect flicard de certains commentateurs. Ils ne cherchent pas le sens d’un texte, mais partent sur des recherches puériles concernant l’identité de l’auteur.
D’abord, autant leur dire qu’internet, qui a beaucoup d’atouts et joue le rôle de facilitateur, est aussi un outil paresseux, répétitif et puéril, comportant des dangers inhérents que l’on enseigne à tous les professionnels des « sources ouvertes ». Par ailleurs dans ce monde de mots et de références, tout n’est pas arrière pensée, comme certains semblent le penser. On n’écrit pas toujours pour défendre, propager, combattre une cause ou une idée. On le fait pour diffuser réflexion et savoir, pour communiquer. Les discussions sur l’Autre et avec les autres, l’expérience et le vécu ont leur dynamique propre subjective certes, mais unique. Pour continuer à communiquer sans avoir une sensation amère de gaspillage, il est nécessaire de participer à des échanges dialectiques avec tous ceux qui ne sont pas d’accord, et non pas recréer des forteresses de certitudes et d’anathèmes. C’est tout le sens de la parole, de la séduction, et, tout compte fait, de l’apprentissage. Je ne sais qu’une chose, disait Platon, c’est que je ne sais rien.
Et si les commentateurs, si fiers de leurs certitudes, commençaient par là ? N’est-ce pas d’ailleurs le sens même d’Agoravox ? Voilà un mot de synthèse, grec et romain à la fois, indiquant un lieu contradictoire de liberté ; Il est rejoint par celui de citoyen. Ce dernier n’est pas un simple habitant de la cité mais un homme libre. Libre, c’est à dire, pour les grecs, qu’il a le privilège de penser. Oui, penser est un privilège. Pourquoi le sacrifier à l’autel de nos certitudes ?