Les Français sont-ils toujours cartésiens ?

par jca
mercredi 11 décembre 2013

Les Français sont-ils toujours cartésiens ?

Parlant des Français, il est souvent fait référence à leur esprit cartésien. Méritent-ils toujours ce qualificatif ? Beaucoup de faits récents permettent d'en douter.

L'écotaxe a largement occupé l'espace médiatique. Parmi les objectifs affichés figurait la volonté de transférer une partie du transport routier vers le chemin de fer et/ou les voies navigables. Faudrait-il encore que ces voies soient opérationnelles ...

 

 

Les Français sont-ils toujours cartésiens ?

Parlant des Français, il est souvent fait référence à leur esprit cartésien. Méritent ils toujours ce qualificatif ? Beaucoup de faits récents permettent d'en douter.

L'écotaxe a largement occupé l'espace médiatique. Parmi les objectifs affichés figurait la volonté de transférer une partie du transport routier vers le chemin de fer et/ou les voies navigables. C'est certainement un louable objectif et l'application d'une taxe est une procédure très incitative. Les Alsaciens qui ont vu déferler sur la route Strasbourg Mulhouse une horde de camions de toutes nationalités du jour au lendemain alors qu'était appliquée outre Rhin une taxe poids lourds peuvent en témoigner très concrètement.

Le succès de l'opération dépend évidemment des voies alternatives disponibles.

Qu'en est-il du fret ferroviaire ?

En 2007, afin de réduire les émissions de gaz à effet de serre engendrées par la route, le Grenelle de l’environnement fixait pour le fret ferroviaire un objectif de 25 % en 2022 et l’Etat déboursait 7 milliards d’euros pour mettre en place « un nouveau transport écologique de marchandises » ; en 2009, environ 14% du fret empruntait le rail. Qu'est il advenu ? Si on s’en tient à Fret SNCF, la filiale historique de transport ferroviaire de SNCF, Geodis, est passé de 55 milliards de tonnes kilomètre transportées en 2000 à 21,1 milliards en 2012 ; le déficit d'exploitation a crû de manière abyssale. La crise a sévi, notamment dans les industries, grosses clientes, mais elle ne peut expliquer cette désaffection ; l'efficacité du service est sérieusement mise en cause. Pour mieux comprendre, citons un exemple ponctuel : un industriel de Château-Gontier (sous préfecture de la Mayenne) qui faisait venir régulièrement par train des marchandises lourdes de Nantes (100 kms) en 24 heures il y a une vingtaine d'années, se trouve désormais confronté à un délai d'une semaine, quand tout va bien et que des wagons ne disparaissent pas ! Suite à des "réformes et améliorations", les wagons transitent désormais par la gare de triage de Villeneuve Saint Georges avant de faire marche arrière sur 300 kms ! Au total, les wagons prennent l'air sur plus de 700 kms ! C'est inconciliable avec une gestion moderne du matériel et avec le temps de livraison par camion de l'ordre de 2 heures ! Le réseau s'est profondément dégradé et des lignes ont été fermées. Toujours à Château-Gontier, on vient de condamner définitivement la voie ferrée qui reliait Sablé à Segré, Chateaubriand et Nantes[1] en mobilisant le viaduc qui traverse la Mayenne pour faire une voie de contournement routier de la ville. Un bel exemple de transfert rail-route !

Les exemples sont multiples et le fret ferroviaire n'est plus en mesure aujourd'hui sans un effort massif de plusieurs années de prendre le relais du transport routier. Le ferroutage reste encore embryonnaire et des entreprises comme TAB et T3M restent des modèles innovants ... à suivre. Les tout récents changements dans la gouvernance de l'entreprise y parviendront peu être.

Le transport fluvial ne bénéficie pas d'une situation plus avantageuse. Beaucoup de Français n'en prennent pas conscience : nos ancêtres ont fait un travail monumental pour construire en France un réseau de canaux irriguant tout le territoire (en même temps qu'il construisait le réseau ferroviaire et ... faisait la guerre, hélas), long de 7 000 kms, à considérer par rapport aux 38 000 kms du réseau européen. Qu'en avons nous fait ? Dans le meilleur des cas, des voies pour le tourisme fluvial. L'exemple du plan incliné d'Arzwiller, aux portes de Saverne, en Alsace sur le canal de la Marne au Rhin en est une illustration caricaturale : pour franchir les Vosges, les concepteurs ont creusé un tunnel long de 4,9 kms suivi par une succession de 17 écluses sur deux kms ! Le franchissement de cette passe prenait une journée entière ; pour s'en affranchir, un ascenseur pour bateau a été construit ; un travail de haute technicité, inauguré en 1969. Cette même année, on a compté 5 790 mouvements de péniches. Dix ans plus tard, ce nombre était tombé à 2 900, pour atteindre 270 en 1999 ! Le site est devenu une attraction touristique pour vanter le génie français et l'installation elle-même ne sert quasiment plus qu'à accueillir des touristes en goguette. Ce n'est pas le seul aménagement fluvial qui a connu un destin aussi funeste : le canal de la Martinière en Loire Atlantique sensé faciliter le transport fluvial dans l'estuaire de la Loire n'a pratiquement jamais été utilisé. Plus généralement, c'est hélas le sort de tous les canaux en France.

L'opposition déterminée des écologistes à l'achèvement de la mise à niveau du canal Rhin Rhône sur quelques kms dans la vallée du Doubs pour ouvrir le passage aux péniches de grand gabarit laisse perplexe. Cette opposition a constitué le grand fait d'armes de Mme Voynet qui en a récolté les fruits en devenant député, ministre et sénateur ! Imaginons toutes les conséquences économiques et écologiques que pourrait avoir un tel axe fluvial ! Pendant ce temps, les Allemands achevaient la liaison Rhin Danube largement utilisée...

Un grand projet d'aménagement fluvial a failli voir le jour récemment : la liaison Seine-Mer du Nord. Alors que le projet est acté, que les financements ont été négociés et que les travaux étaient sur le point de débuter, une décision d'arrêt a été prise.

Dans ce sombre bilan, il est tout de même réconfortant de constater que le trafic fluvial sur la Seine connaît un certain rebond, notamment avec le développement du port de Nogent, en amont de Paris. Des projets sont élaborés pour redonner vie à la liaison Saverne-Strasbourg. Globalement, le trafic fluvial a connu une expansion de 9% en 2010.

Du côté du cabotage maritime, la situation est tout aussi désastreuse puisqu’il ne reste plus aujourd’hui qu’une cinquantaine de caboteurs, à comparer aux 2 000 en activité en Allemagne malgré un rivage côtier beaucoup plus réduit qu’en France. On est en train de réaliser la « route des estuaires » du Havre à Bordeaux, en passant par Nantes, un itinéraire royal pour accueillir un flux de camions alors que la voie normale de liaison devrait être la voie maritime. Pourquoi a t’on besoin de tunnels aussi importants sous les Alpes avec le cortège d’accidents que l’on connaît et le saccage de vallées, alors que le cabotage entre Gènes (Barcelone et, plus généralement, tout le bassin méditerranéen) et Marseille, relayé par le transport fluvial permettrait de remonter toute la vallée du Rhône vers l’Europe du Nord.

En réalité, rien n'a été conçu pour limiter le transport routier, bien au contraire. On en est resté aux projections du Commissariat au Plan qui prévoyaient, il y a une quarantaine d'années, un triplement du transport routier entre 1980 et 2025, respectivement de 138 à 365 milliards de tonnes, le fret ferroviaire restant à un niveau constant de 65 milliards de tonnes. Les dernières décisions autorisant la circulation des camions de 44 T depuis le 1er janvier de cette année sur le territoire vont également dans ce sens.

Les transports en commun connaissent un sort plus flatteur dicté par la volonté de limiter les déplacements en voitures individuelles ; de nombreux aménagements lourds ont effectivement été réalisés dans ce sens, en toute logique. Trop beau ! Les taxes sur les transports collectifs viennent de subir deux augmentations successives en un an passant de 5 à 7% puis à 10 %, soit un doublement. Où se niche donc le cartésianisme à la française ?

L'interrogation déborde très largement les secteurs du transport et on pourrait aisément alimenter une longue liste d'anachronismes. Celui de l'énergie, par exemple, n'y échappe pas. En mars de cette année, le réacteur n°1 de la Centrale de Fessenheim a été arrêté afin de procéder aux travaux exigés par l’ASN (Autorité de Sureté Nucléaire) dans la perspective de prolonger la durée de vie de l’équipement d’une dizaine, voire d’une vingtaine d’années. Ces travaux sont particulièrement lourds (moyen de refroidissement supplémentaire -3M€- renforcement du radier -15M€). Et le Président de la République vient de décider de fermer la Centrale avant la fin de 2016 ! Ou bien la Centrale présente des risques avérés comme le soutiennent certains écologistes et aucun délai ne saurait être accepté pour lancer la longue procédure de mise à l’arrêt définitive (l’ancien directeur de l’ASN a évoqué une durée de 5 ans), ou bien la centrale ne présente pas de risque comme l’atteste la haute Autorité de la Sureté Nucléaire et la décision d’arrêter dans 3 ans devient complètement inconséquente, sauf à dénier toute compétence aux membres de l’Autorité... Etrange comportement !

La plus objective raison de s'interroger sur le cartésianisme des français est fournie par l'inclusion du principe de précaution dans la constitution dont la rédaction elle même est quasi incompréhensible et énonce des principes contradictoires. L'application de ce principe conduit à des comportements abracadabrantesques ! Une belle illustration est fournie par les oppositions manifestées vis à vis des relais téléphoniques et des dangers des ondes hertziennes. Aucune expérience scientifique ne justifie cette inquiétude dénoncée par les plus hautes instances scientifiques du pays. Cela n'a pas empêché des tribunaux de condamner un opérateur pour la pose d'un relai au motif qu'il faisait courir un possible rixe d'exposer des citoyens à un risque ... potentiel ! Le culte de la peur, en vogue chez les enfants qui s'amusent "à se faire peur", a contaminé notre société ! Un livre récent du Professeur Tubiana dénonce à juste titre ces attitudes.

Ces cultes de la peur, du pessimisme, essentiellement promus par des écologistes extrémistes, sont aux antipodes d'une culture cartésienne.

Il faut bien s'y résoudre, notre culture cartésienne a sombré !



 


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