Les gouvernés doivent (se) gouverner

par Emmanuel Glais
jeudi 22 mai 2014

C'est parce que je suis simple citoyen (en réalité seulement électeur) et non président ou ex-président, que je parle du politique, et ne fais pas de la politique. Je me revendique de la pensée de Rousseau, écrivant au tout début du Contrat social  : « J’entre en matière sans prouver l’importance de mon sujet. On me demandera si je suis prince ou législateur pour écrire sur la politique. Je réponds que non, et que c’est pour cela que j’écris sur la politique. Si j’étais prince ou législateur, je ne perdrais pas mon temps à dire ce qu’il faut faire ; je le ferais, ou je me tairais. »

C'est bien à nous, pauvres manants, de disserter du politique. Afin d'essayer de comprendre comment on pourrait se prémunir de la tambouille des politiques. 

Démocratie Réelle
Extrait d’un tract Démocratie Réelle

Je nous trouve comme la mouche se heurtant une fois, dix fois, cent fois et plus encore à la vitre du Velux entrouvert. Elle ne voit pas d'autre solution que d'insister, de persister toujours dans la même voie... There is no alternative pense t-elle.

Pourtant l'espace entre le battant et son cadre pourrait faire passer cent mouches à la fois ! Mais la mouche, petite, n'a pas nos yeux, notre perspective, notre recul et surtout notre entendement. Celui-là est notre principal atout, et l'unique espoir pour nous sortir de l'ornière qui caractérise notre destin collectif.

Tout comme la mouche n'aurait qu'à perdre dix centimètres d'altitude pour trouver la sortie, et rejoindre le grand air qu'elle n'aurait jamais dû quitter, nous n'aurions qu'à tourner le guidon vers le côté pour sortir de l'ornière. Mais il faut le faire avec le bras ferme et en sachant où l'on va, car l'ornière est profonde.

Si on disait à la mouche que le Velux n'est pas le problème, après l'avoir affronté mille fois, le croirait-elle ?

Quand on dit aux hommes, en tout cas, qu'ils ne sont pas irrémédiablement destinés à être partagés entre gouvernés et gouvernants, ils se rient de nous.

Pourquoi ne sont-ce pas les seuls gouvernants qui rient de cette idée ?

J'admets que du côté des gouvernés, cette idée ne coule pas de source. Elle ne découle pas de l'observation directe.

Nous les gouvernés nous sommes un immense corps social avec des milliers de cerveaux et un seul corps. Nos volontés multiples sont comme de centuples-siamois avec plusieurs volontés pour deux pauvres pattes. Nous aimerions tous aller ailleurs mais jamais au même endroit...

Nous voulons tous qu'il en soit autrement. Être mieux gouvernés, gouvernés par d'autres, plus ou moins de lois, augmenter ou baisser la vitesse sur les routes, dégraisser l'Etat ou l'étoffer, accélérer les réformes ou faire une pause.

A l'aune de nos perceptions et expériences, se sont forgées nos opinions, diverses. Chacun à une vision parcellaire, voire partisane. Il faudrait changer ceci, casser cela et inventer tel ou tel truc.

Bref, nous voulons tous du plus, du mieux, mais chacun veut du différent différemment.

Pourtant.

Qui osera mettre en cause la sacro-sainte opposition gouvernés-gouvernants ? Qui dira que les gouvernés doivent (se) gouverner ? Qui osera avoir confiance à la fois en lui-même et en son voisin, mais surtout dans le dialogue qui pourrait les enrichir tous les deux ?

N'est-ce pas là le dénominateur commun sur lequel bâtir ? Si nous avions confiance en nous, le peuple. Si nous n'avions pas peur de la diversité de la société, de ses opinions, si nous croyions aux vertus du dialogue, de la franche expression. Si nous croyions véritablement en la démocratie, à la légitimité de la majorité de trancher, à la possibilité de trouver des ententes a minima mais non pas scandaleuses comme les ententes d'en haut, des consensus enrichis des désaccords criards qui in fine permettent de trouver, grâce à la sérénité du bon sens populaire ou la mollesse du consensus, les meilleurs décisions. Les décisions les plus sages eu égard à chaque situation donnée, dans chaque espace-temps. Car les décisions les plus acceptées sont les plus applicables.

Pour cela il faut cesser de vouloir changer le peuple, et prendre le peuple tel qu'il est1. C'est le tort, je crois, de maints gauchistes entêtés. Certains craignent même de l'entendre, certains qu'ils ne trouveront que peu de paroles sensées. Hors tous les problèmes sont situées dans le peuple : toutes les solutions aussi.

Dans un contexte économique contraint, l'idée d' « expertise citoyenne » fait heureusement son chemin, renforcée par les bêtises d'ingénieurs (l'histoire des trains plus larges que les rails, dernièrement).

En parallèle à cette vision du peuple-ressource et potentiel, il faut augmenter le scepticisme vis-à-vis des autorités compétentes ou personnages charismatiques. Ceux-là ne parlent le plus souvent que pour défendre leurs propres intérêts.

Le thème de l'oligarchie se démocratise : tant mieux ! La démocratie doit triompher de l'oligarchie.

Défendons que ce n'est plus la majorité qui doit obéir à la minorité – élue et non-élue – mais la minorité nominale des oligarques qui doit se soumettre à la volonté générale. C'est donc la majorité, sujet après sujet, qui doit faire la loi. Nous devons, nous tous, tous ceux qui le veulent sans vouloir le pouvoir, écrire les lois et surtout les Constitutions. C'est en nous donnant nous-même nos lois que nous nous libérons, comme l'écrivait Rousseau !

La nature politique des hommes est complexe et ne se divise pas entre gens de gauche et gens de droite, pas plus qu'entre progressistes et conservateurs ou entre décroissants et croissants. Si l'on regarde dans le détail on peut difficilement placer toutes nos sensibilités dans des cases.

Quand nous croyons en la démocratie, lors de l'élaboration d'une loi répondant à une nouvelle problématique, nous pensons que la meilleure solution du moment s'obtient point par point par la discussion, la volonté de trouver le bien commun, irréductible à des catégories inamovibles.

Auparavant, je ne votais pas car je trouvais ça stupide de remettre sa voix dans les cordes vocales d'un autre. Démocratie Réelle, l'initiative citoyenne qui présente des candidats tirés au sort (parmi les volontaires) m'a fait changer d'avis. Je fais maintenant la distinction entre élire et voter. Désormais, je veux voter, mais voter uniquement (pour exiger de voter) les lois.

Mille obstacles freinent cette idée. C'est le problème du corps unique aux mille cerveaux. Il faut que nous réussissions à convaincre et coordonner ce corps unique du peuple gouverné et mal satisfait de son sort, pour que nous arrêtions de répéter années après années, « nous avons voté, et puis après ? » et que nous prenions enfin sur nos deux jambes coordonnées, gauchistes et droitiers, ensemble, le chemin de la liberté collective, au-delà du battant de fenêtre entrouvert contre lequel nous nous heurtons depuis des temps immémoriaux.

Faisons comme si l'on avait confiance en nous, essayons quelque chose. Ou bien on risque de ne jamais rentrer dans l'histoire...

 

1 C'est ce que fait Rousseau, au tout début du Contrat social  : « Je veux chercher si, dans l’ordre civil, il peut y avoir quelque règle d’administration légitime et sûre, en prenant les hommes tels qu’ils sont, et les lois telles qu’elles peuvent être. »

 


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