Les implications du « non » irlandais et le moyen d’en sortir
par elisabeth
mercredi 16 juillet 2008
Si l’on en croit M. Vedrine, peu connu pour son eurosceptiscisme, et grand connaisseur tant de l’UE que du droit international, tous les traités européens doivent obtenir une double unanimité (et non majorité) pour être considérés comme valides, et il est impossible, en vertu de la Convention de Vienne de 1969, qui régit les traités internationaux (et le traité de Lisbonne, en est un, selon le Conseil constitutionnel) de revenir sur des règles adoptées par tous les contractants.
Autrement dit, et je me fis là encore aux propos de M. Vedrine, mais aussi à ceux de plusieurs députés tant de la "majorité" que de "l’opposition" (politiquement parlant, car les élus du peuple bien sûr sont égaux en droit, et en principe ne s’opposent pas à la réussite du pays), même si un accord était trouvé avec l’Irlande, le traité serait toujours "mort" car comme il y avait vingt-sept signataires, il faut vingt-sept ratifications. Un peu comme à l’ONU, ou chaque Etat a une voix, et la règle de l’unanimité étant celle qui prévaut, un seul pays peut empêcher les autres non d’avancer... mais de violer sa personnalité juridique, c’est-à-dire sa souveraineté, et les conditions dans lesquelles cet Etat consent à une perte de souveraineté, vis-à-vis du droit international.
J’entends ici et là certains parlementaires, et chefs de gouvernement et d’Etat, s’offusquer de voir l’Irlande capable de rendre caduc un traité. Mais à ce que je sache, ne sont-ce donc pas les parlementaires de chacun des vingt-sept Etats membres, qui ont décidé d’inscrire dans le traité de Rome (traité fondateur) la règle de la double unanimité ?
Ne sont-ce pas aussi ces mêmes parlementaires et chefs d’Etat et de gouvernement, qui ont fait campagne pour le "oui" au traité de Maastricht, lequel inscrivait que tout traité européen devait, pour être considéré comme valide, suivre la règle de la double unanimité ? Règle qui prévaut pour tout traité international ?
Ne sont-ce pas également les différents gouvernements et les parlementaires, qui successivement, se sont prononcés pour le traité d’Amsterdam, et de Nice, lesquels n’inscrivaient aucun changement en la matière ? Preuve que les "gouvernants"’ de 27 nations acceptaient cette règle, qui peut paraître aujourd’hui injuste, mais qui n’en a pas moins été acceptée... En France d’autant plus fortement, que les citoyens eux-mêmes ce sont exprimés sur Maastricht, et ont donc entériné cette règle de la double unanimité ?
N’est-ce pas le Parlement national qui a ratifié la Convention de Vienne en 1969 ? La Convention européenne des droits et libertés fondamentales ? N’est-ce pas la France qui, par ailleurs, a proposé la Déclaration universelle des droits de l’homme...Trois textes qui engagent les Etats à respecter la démocratie, donc le résultat d’un référendum, à œuvrer dans un Etat de droit, c’est-à-dire à consentir à s’engager envers ces trois textes, pour en respecter l’essence, le fond comme le contenu ?
Ces diverses ratifications parlementaires, n’étaient-elles donc que des artifices ?
J’ajoute qu’à l’heure où l’on examine la Constitution, en vue de la réviser, le "non" irlandais" pose évidemment la question de la pérennité de la révision constitutionnelle réalisée en février 2008.
Comment la France peut-elle être cohérente si, dans sa Constitution, est inscrit un article qui rappelle qu’elle respecte le droit international (donc le droit international et européen)... Mais que dans le même temps, on trouve dans cette Constitution la révision nécessaire pour l’adoption du traité dit de Lisbonne... Lequel est considéré juridiquement mort, du point de vue dudit droit international, comme vis-à-vis du propre droit européen de l’UE ?
Comment, conformément au traité de Nice, qui dès lors est le seul "valide", l’UE pourrait-elle "respecter l’identité de ses Etats membres" (donc les Constitutions nationales), et les parlementaires français considérer la France crédible sur le plan international et européen, si, à la première occasion, l’UE et la France violent les traités de Maastricht, de Rome, de Nice, d’Amsterdam... Par confort personnel ?
Pense-t-on sincèrement que les citoyens et "l’élite" vont retrouver un lien, si l’UE qui prétend défendre hautement la démocratie, et le droit... Stigmatise la première (un référendum, comme une élection, c’est un acte politique. Il n’a pas à être "jugé". Et encore moins sanctionné !) Et viole le deuxième ?
A l’heure actuelle, la seule règle qui régit les traités européens c’est celle de la double unanimité : comme le dit Andrew Duff, spécialiste des questions institutionnelles "le traité de Lisbonne a été signé par vingt-sept Etats, il doit être ratifié par ces vingt-sept... Et pas un de moins" (y compris si ledit Etat ne fait qu’1 % de la population européenne. Là n’est pas la question... Puisque ce ne sont pas des citoyens qui signent et ratifient un accord... Mais des Etats (donc vingt-sept souverainetés) qui s’accordent sur un traité.)
En effet, la seule manière pour sortir du système de l’unanimité, ce serait... d’obtenir l’unanimité pour en sortir. Croit-on réellement, parmi « l’élite » que la République tchèque, l’Angleterre, l’Irlande, etc., seront assez stupides pour se départir de leur souveraineté ? De leur pouvoir constituant ?
D’ailleurs, même si on obtenait une double unanimité pour introduire un système à la majorité qualifiée (ce qui n’est pas gagné d’avance, car il faudrait obtenir une ratification par le pouvoir constituant soit dérivé - Parlement - soit originaire - Peuple -, qui dans un cas comme dans l’autre sera généralement hostile à ce qu’on remette en cause ce qui est tout de même la souveraineté nationale ! Car si celle-ci disparaît… Il n’y a plus d’utilité de Parlements nationaux… Ces derniers étant « considérés » par l’UE, uniquement parce qu’ils permettent de passer au-dessus des citoyens)... Celui-ci, conformément à la Convention de Vienne de 1969 (ratifiée par la France), qui interdit la rétroactivité des règles en matière de traités. Autrement dit, quand des Etats s’engagent sur un traité qui introduit un mode de fonctionnement, ils ne peuvent, au cours de la procédure d’adoption, de signature, et de ratification dudit traité... en modifier les règles ! Ce qui explique la caducité juridique du traité de Lisbonne.
Je rappelle qu’en principe, les institutions de l’UE sont censées respecter le propre droit européen dont elles sont les initiatrices (Commission), les "législatrices" (Conseil des ministres et Parlement européen) !
D’autant que sur le plan national, le président, en France, est censé garantir les traités ! C’est-à-dire faire prévaloir, en tant que garant de la Constitution, laquelle reconnaît les engagements de la France vis-à-vis du droit international et européen, le respect du traité sur le fonctionnement sur l’UE et celui sur l’UE... Lesquels traités posent comme condition de validité des traités, une validité nécessaire pour leur mise en œuvre, la règle de la double unanimité.
Quand le président fait "preuve de manquement à ses devoirs (lesquels sont précisés dans l’article 5 de la Constitution), dans l’exercice de ses fonctions" (une disposition là encore ratifiée par le Parlement), qu’est-ce sinon donner à l’Exécutif le droit de s’affranchir de la règle commune "les hommes sont et demeurent libres et égaux en droit" (article 1 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen), "la Loi doit être la même pour tous, qu’elle protège ou qu’elle punisse" (article 6 de la Constitution) ?
Ai-je précisé que depuis l’avis du Conseil constitutionnel, en 1971 (si mes souvenirs sont bons)... Le préambule de la Constitution a une valeur contraignante pour le législateur, et le constituant dérivé qu’est le Parlement ?
Or, que dit clairement l’article 16 de la Déclaration... sinon que la France (il ne s’agit pas ici d’un régime politique, mais du pays lui-même) ne reconnaît comme légitime que ceux qui respectent les droits de la Déclaration et la séparation des pouvoirs (selon la définition qu’en donne Montesquieu dans L’Esprit des Lois) ? Et que dès lors qu’un régime politique ne respecterait ni l’une ni l’autre... La France n’a plus de Constitution... Ce qui rend ipso facto les droits inscrits dans la Déclaration "inaliénables" c’est-à-dire non révisables ?
En vertu de quel principe républicain, respectueux de cet article, peut-on considérer que des "gouvernants" seraient au-dessus de la Loi ?
Et pire, que des parlementaires, nécessairement engagés par la législation de leurs prédécesseurs (conformément à la règle des préétablis) pourraient violer les règles de révision approuvées par tous, et inscrites dans des traités ratifiés par le pouvoir constituant dans chaque Etat... Y compris par le pouvoir constituant dérivé actuel, lequel n’a - à ce que je sache - pas remis en cause le traité sur l’UE et celui sur le fonctionnement de l’UE ?
Il faut donc réclamer dès lors que le Parlement prenne les décisions normales d’un pouvoir constituant, qui prend acte qu’un traité est caduc : l’effacement de la révision constitutionnelle de février 2008, laquelle n’a plus de valeur juridique, puisque (comme en 2005) la règle de la double unanimité annule tous les votes, remettant à zéro les compteurs.
Avant de réviser la Constitution, il convient en effet de redonner à celle-ci sa cohérence, en garantissant au droit international sa supériorité sur le droit national, conformément aux dispositions du préambule de 46, et au droit européen sa supériorité sur le droit national, conformément à une décision de la Cour de justice européenne des droits de l’homme, datant, il me semble de 1974.
Le seul moyen pour ce faire, c’est donc de supprimer les articles rajoutés à la Constitution, en vue de l’adoption du traité de Lisbonne, lequel, on l’a dit, est juridiquement "mort", c’est-à-dire contraire à la Constitution, puisque celle-ci estime que les traités européens ne sont valides que lorsqu’ils répondent à la règle de la double unanimité, ce qui n’est pas le cas dudit traité.
Enfin, parce qu’il faut tout de même sortir l’UE de l’ornière, au lieu d’aller demander aux Irlandais de se dédire, en les prenant pour des "pauvres cons" qui n’auraient rien compris aux traités, ne serait-il pas possible de faire, concrètement, ce qu’ont fait les "députés" de la première Assemblée nationale : déclarer l’ouverture d’une Assemblée constituante ?
Ce qui s’est fait à plusieurs reprises en France, doit être possible à mettre en place au niveau européen.
Au lieu d’un mandat à la proportionnel, on pourrait reprendre le système "majoritaire" qui permettrait aux citoyens de s’identifier à ceux qu’ils ’"envoient" au niveau européen, pour y rédiger un projet.
Chaque nation, sur le mode régissant les "circonscriptions" en France, par exemple, enverrait en effet des "députés’" pour la représenter, au niveau européen.
Ces "députés" seraient investis d’un pouvoir "constituant", c’est-à-dire qu’ils auraient à rédiger un texte clair, lisible, compréhensible, de trente pages maximum, relatif à l’organisation institutionnelle de l’UE.
Les "députés" en question laissent les citoyens suivre leurs travaux pendant six mois, invitant ces derniers d’ailleurs à formuler des propositions que les "députés" examineront.
Au bout de six mois de travail, et l’invitation des médias nationaux pendant tout le processus, les "députés" présentent un "premier jet"... qui est examiné par les Européens.
Les citoyens ont deux mois pour émettre des critiques, sur le "premier jet". A l’issue de ces deux mois, l’Assemblée constituante propose un texte, qui sera présenté à chaque Parlement national, et chaque chef de gouvernement et d’Etat.
Lesdits parlementaires et exécutifs ont donc le "texte consolidé" à leur disposition.
La phase II commence. Le texte est envoyé à chaque citoyen de l’Union, lequel est appelé à ratifier le texte... le même jour.
Cette ratification référendaire se fera dans les six mois à venir. C’est-à-dire qu’il y a six mois qui sont consacrés à l’explication du traité, à son examen par les citoyens (lesquels pourraient suivre les travaux des Parlements nationaux, étudiant la version définitive proposée par l’Assemblée constituante).
Au bout des six mois, les citoyens se prononcent.
Je suis certaine qu’avec une telle méthode, on aurait 27 oui référendaires !
On ne peut pas continuer à dire "ce traité est le meilleur" faisons-le passer en force. Et inventons une usine à gaz pour l’Irlande ! ... Qui ne résout rien à la caducité du traité.
Avouons clairement une ambition réelle, claire, et légitime : l’adhésion populaire à l’UE. Ne serait-ce pas une bonne chose à faire ?