Les Indignés peuvent-ils réussir sans nous, les 99% ?

par Luc-Laurent Salvador
lundi 31 octobre 2011

De toute part, et notamment d’ici même, sur Agoravox, fusent des appels à changer ce monde usé jusqu’à la corde par tant de mensonges, d’injustices et de violences accumulées depuis la nuit des temps. Nous ne voulons plus du mensonge des guerres justes ou des printemps révolutionnaires orchestrés par la CIA et ses valets. Nous ne voulons plus du mensonge des politiques qui protègent les lobbies empoisonneurs de la terre, de l’eau et de l’air. Nous ne voulons plus du mensonge de ces dettes illégitimes au travers desquelles les élites financières rendent les foules citoyennes comme les nations esclaves des gangs banques. Nous ne voulons plus de cela mais la question est : comment en sortir lors même que notre pseudo-démocratie se trouve cadenassée par le nouvel ordre européen, son alliée supposée, la presstituée n’ayant plus la moindre prise sur le pouvoir, possédée qu’elle est par les marchands de canon, les grands groupes et leurs amis banksters ? Comment chacun de nous pourrait-il encore se réapproprier le pouvoir citoyen qui est le sien pour contribuer à la refondation d’une démocratie digne de ce nom quand notre temps de cerveau disponible est de plus en plus consacré à la consommation de la con-formation télévisuelle impériale ? Le cyberespace apparaît comme le dernier refuge de la liberté de parole et de pensée. Mais, outre qu’il disparaîtra peut-être comme il est né — grâce aux bons offices du Pentagone — le cyberespoir du grand soir peut-il véritablement impacter le réel ? Ce n’est pas ce que semblent croire les Indignés en général, les OWS en particulier qui privilégient l’action concrète et se méfient du clicktivism. De fait, leur présence sur la toile et dans les réseaux sociaux apparaît seulement informative ou à fin de coordination de l’action dans le « réel ». Ils ne semblent pas voir le web comme pouvant être le lieu d’une action citoyenne proprement révolutionnaire. Or, comment les Indignés pourraient-ils réussir s’ils ne sont pas rejoints par les 99% ? Et où peut se réaliser cette rencontre si ce n’est dans le cyberespace ?

Le pouvoir du monde est dans nos esprits, nos corps, nos mains. S’il nous semble que nous en avons si peu, c’est que depuis toujours nous l’avons délégué, nous l’avons aban-donné à des élus ou des élites qui n’ont eu de cesse de le conserver en nous donnant une représentation mensongère de la réalité, ce que d’aucuns appellent un « hologramme  » et que nous pourrions aussi nommer la « matrice  ».
 
La guerre comme démagogie
 
Le meilleur exemple de cela a toujours été les guerres. Combien d’entre nous ont conscience que bien davantage qu’un moyen de conquête — ou de destruction destinée à la relance de la production —, elles ont d’abord été un moyen de contrôle et d’asservissement des peuples à leurs dirigeants.
 
Car en envoyant leurs enfants au sacrifice suprême pour lutter contre le monstre haineux qui en voulait à leurs « libertés, valeurs, religion et mode de vie », les nations du monde se sont toujours panurgiquement ressoudées derrière leurs gouvernants. Peu importe alors pour le pouvoir que l’accusation soit un grossier mensonge, peu importe qu’il y ait des morts sans nombre, pourvu que le peuple, prêt à tous les sacrifices, renonce à sa liberté et, soumis à ses chefs, dans une belle « servitude volontaire », marche droit vers l’enfer abrutissant de la guerre, du travail pour échouer dans la consommation à outrance avec crédit revolving sur la tempe.
 
Depuis la nuit des temps, les agents de cette « fabrique du consentement » ont su con-tenir le bon peuple par des mensonges présentant une réalité préfabriquée basée sur l’accusation de certains — généralement les plus faibles car ils font les meilleurs boucs émissaires — pour permettre aux autres de se sentir... :
 
a) des victimes innocentes en grave danger,
b) des victimes légitimement en droit de répliquer
c) donc prêts à la guerre
d) donc prêts à tous les sacrifices qui font le prix de la guerre
e) donc prêts à obéir, à renoncer à leur liberté de parole et d’action.
 
L’Histoire s’est ainsi trouvée façonnée par une succession de storytelling infernaux narrant les fictions nécessaires à la manipulation des peuples qui en ont fait leur réalité simplement parce que... tout le monde y croyait.
 
Il y a là un mécanisme d’une simplicité biblique car basé simplement sur le fait que les masses ou la foules (même passivement) unanimes, constituent la pierre philosophale qui transforme le plomb de la propagande dans l’or 24 carats de la réalité sociale du moment.
 
La construction mimétique de la « réalité »
 
Actuellement, ce mécanisme mimétique qui nous fait adhérer à une représentation simplement parce qu’il nous semble que tous y adhèrent (nous désirons ce qui est « vu à la TV », nous croyons ce qui est vu ou lu dans un journal à forte audience) fonctionne mieux que jamais grâce à la concentration, la consanguinité et le plagiat généralisé dans le monde des médias. En effet, l’unanimité ou le consensus entre les sources semble maximal et nous n’avons plus de raisons de douter de ce qui nous est présenté comme étant LA « réalité ».
 
Songeons par exemple à l’équipée libyenne de l’OTAN, présentée comme une libération « humanitaire » du peuple libyen alors qu’il s’agit d’une « réplique » de l’invasion de l’Irak réalisée dans les coulisses et sous les auspices d’un « printemps arabe » lui aussi super « hypé » par les médias alignés parce que, précisément, il a très bien servi les visées de l’Empire.
 
Heureusement, face à ces puissants outils de « fabrication du consentement » ou du consensus, il existe un village global qui résiste, le cyberespace. Il constitue un formidable bouillon de culture et de dissidence. Des pensées divergentes viennent de toute part nourrir notre liberté de pensée et notre libre arbitre. La diabolisation dont il fait l’objet de la part des « idiots utiles » de la presstituée suffit à en dire la valeur, c’est-à-dire, le potentiel de présentation d’une réalité alternative, source d’une dissonance dévastatrice pour la propagande impériale.
 
Toutefois, aussi réjouissante que soit l’existence d’un tel espace et le potentiel qu’il représente sous le rapport de la liberté, comment ne pas se demander si le cyberespace peut encore avoir le moindre impact sur « la matrice » vu que celle-ci ne cesse de se renforcer au point qu’elle peut à présent complètement occulter ou, au moins, discréditer tout sujet susceptible de bousculer l’histoire officielle de l’Empire, comme par exemple, les incohérences de la V.O du 11 septembre 2011.
 
Le problème fondamental
 
Après Pearl Harbor, le golfe du Tonkin, le Kosovo, le 11 septembre, l’Afghanistan, l’Irak, à présent la Lybie, probablement la Syrie et peut-être à nouveau l’Iran ou le Pakistan, la machine à fabriquer du consensus-pour-la-guerre marche mieux que jamais et la question reste de savoir comment nous allons faire pour qu’elle cesse de nous détourner du problème fondamental qui peut, je crois, se formuler comme la mise en esclavage des peuples par l’argent-dette au bénéfice d’une élite mondiale (de plus en plus) possédante ? Les Indignés de par le monde, et en particulier les Occupy Wall Street (OWS) ont-ils la moindre chance de réussite ? Cette dernière pourrait-elle, devrait-elle passer par le cyberespace ?
 
On me pardonnera de poser ainsi le problème un peu à la hache, sans toutes les nuances nécessaires et en laissant dans l’ombre un macabre cortège d’injustices et de violences qui attendent toujours d’être reconnues pour ce qu’elles sont.
 
Disons que j’essaie de me tenir à l’essentiel, à ce qui est le plus actuel : la question de la création monétaire usurpée par les banques aux peuples qu’elles asservissent ensuite par la dette. J’essaie de porter l’attention sur ce dont notre avenir à tous dépend radicalement et qui, de fait, est à l’origine de l’ensemble des difficultés insupportables qui motivent le mouvement mondial des Indignés.
 
Cette question est ancienne, elle a une histoire, étonnante, en ce qu’elle ne pouvait que fatalement nous mener là où nous nous trouvons. Sa mécanique est particulièrement diabolique dans la mesure où la catastrophe qui vient offre l’occasion d’une « stratégie du choc » destinée à instaurer un nouvel ordre économique et financier avalisant la victoire d’une élite mondiale sur une sorte de bétail humain asservi par l’argent-dette. Comme l’a si bien dit Naomi Klein le 6 octobre dernier en s’adressant à l’assemblée des OWS à Freedom Plaza :
 
« S’il y a une chose que je sais, c’est que les 1% [l’élite] adorent les crises. Car le moment idéal pour satisfaire l’agenda politiques des grands groupes, c’est quand les gens sont paniqués, désespérés et que personne ne sait quoi faire : privatiser l’éducation et la sécurité sociale, démanteler les services publics et se débarrasser des dernières entraves au pouvoir des oligarchies. C’est ce qui est en train de se passer dans le monde entier à l’occasion de cette crise économique. » (Lien)
 
Warren Buffet n’a-t-il pas affirmé : « Il y a une lutte des classes ..., bien sûr, mais c'est ma classe, la classe des riches qui est en guerre. Et nous gagnons.  » [1] ?
 
Toutefois, les bouleversements monétaires, financiers et économiques qui s’installent dans notre quotidien ont des enjeux tellement élevés qu’il importe peu dorénavant de savoir si, pour les expliquer, il nous faut invoquer une hypothèse LIHOP, MIHOP ou SNAFU [2]. Il n’est plus temps de chercher à régler des comptes ou redresser des torts. Nous sommes confrontés à des puissants armés jusqu’aux dents pour tirer un maximum de profits [3] à court, moyen et long terme de ce qui vient et il est douteux qu’ils laissent la piétaille faire désordre et troubler la monstrueuse orgie qu’ils en attendent.
 
Sortir du « parc humain » ?
 
Dès lors, même s’il ne faut jamais renoncer à comprendre et donc à reconstituer l’histoire des violences économiques ou autres qui nous ont menés où nous sommes à présent — en chute libre dans le gouffre —, il importe de rechercher sans perdre de temps comment empêcher les 1% de l’élite mondiale d’amener les 99% restants à franchir les dernières étapes vers le « parc humain » du Nouvel Ordre Mondial qui nous a été concocté et dont nous pouvons déjà pressentir qu’il accentuera dramatiquement les misères, les injustices et les violences du monde actuel au point de fermer peut-être définitivement la porte à l’espoir.
 
Encore une fois, la question est de savoir si le cyberespace peut réellement contribuer à la nécessaire révolution ou s’il ne produira jamais qu’une vaine agitation des souris, un clicktivisme de masse aussi futile et désespérant que l’hébétude télévisuelle de nos contemporains.
 
La question mérite d’être posée comme lorsqu’au début de la bulle internet on s’interrogeait sur la valeur des compagnies « click » (cyberespace) face aux compagnies « mortar » (béton) qui apparaissaient plus réelles et donc plus solides.
 
L’histoire a montré, notamment avec Google, que les sociétés du cyberespace pouvaient devenir des poids lourds de l’économie. Mais peut-on en déduire que les révolutionnaires virtuels du cyberespace peuvent devenir de véritables acteurs de la révolution dont nous avons besoin ?
 
Vu le rôle joué par les réseaux sociaux dans le « printemps arabe », on pourrait penser que la chose tient dorénavant de l’évidence. Sauf que, il faut y insister, nous avons eu connaissance de ces mouvements populaires non par le seul internet, mais avant tout par les médias alignés qui ont mis toute leur puissance au service d’une dynamique téléguidée par l’Empire.
 
Les réseaux sociaux ne sont apparus comme utiles que parce qu’on a bien voulu les laisser voir comme tels. Il y a ici une réalité construite pour les besoins de la cause (prétendument démocratique) et il est douteux qu’il en aille de même pour les dynamiques populaires du cyberespace dont l’Empire ne voudrait pas entendre parler. Le cas du 11 septembre est ici exemplaire. La chape de plomb a été et reste omniprésente, très efficace puisqu’aussi contestée et même laminée qu’elle soit dans le cyberespace, la « pure fiction » de la V.O. tient toujours dans les médias et, plus que jamais, dans le discours officiel.
 
De sorte que nous restons avec un public inerte, comme dans Les nouveaux habits de l’empereur, la fable d’Andersen dans laquelle les membres de la foule, bien qu’informés par leurs propres yeux de la nudité du souverain, restent silencieux ou font même mine d’approuver, car nul ne veut connaître le rejet et les violences que subit inévitablement « celui qui dit la vérité ».
 
Ainsi qu’on a pu l’observer avec Meyssan, Cotillard, Kassovitz ou Bigard, c’est s’exposer aux plus graves dangers que de tenter de rompre le consensus impérial, aussi artificiel ou infondé qu’il soit.
 
Cela découle logiquement de ce que nous avons évoqué plus haut, à savoir, le fait que c’est lui, ce consensus, qui détermine la « réalité » dans laquelle nous vivons, l’ « hologramme », que produit la « matrice » de l’Empire et qui, fonction numéro un, rassure tellement le troupeau bêlant. Ce dernier constitue en fait le véritable consomm’acteur, l’alpha et oméga de la bouc-émissarisation restauratrice des faux-semblants, le demandeur autant que le validateur du storytelling mythique qui fonde, précisément, le rassurant rassemblement, le consensus, dont il a besoin.
 
En considérant les choses ainsi, c’est-à-dire, d’un point de vue constructiviste de la réalité, nous pouvons mieux situer les enjeux de la question posée : la destruction de l’ « hologramme », la bascule dans une réalité authentique, c’est-à-dire, la Révélation, — donc l’Apocalypse au sens étymologique du terme — qui constitue le geste révolutionnaire par excellence, pourra-t-elle advenir grâce au web social ou devra-t-elle, au contraire, se réaliser sans lui, voire contre lui ? Les OWS ont-ils raison de faire comme s’ils pouvaient s’en passer ?
 
Forger un cyber-consensus...
 
Poser la question ainsi, c’est y répondre immédiatement dès lors qu’on a bien compris que lorsqu’on parle de construire une nouvelle réalité, on parle d’abord et avant tout de faire émerger un consensus qu’il s’agit donc... :
 
a) d’élargir (viralement si possible)
b) d’amener à la conscience collective.
c) c’est-à-dire, à la conscience du collectif...
d) et donc à la conscience de sa force !
 
Car ne nous y trompons pas, sans cette conscience, ainsi que le montrent encore une fois les attentats du 11 septembre 2001, un simple consensus « de fait » (par exemple un sondage) reste totalement impuissant à changer l’ordre des choses. Bien qu’une large majorité de la population mondiale rejette la V.O. celle-ci reste encore et toujours la norme de pensée. Comme dans le conte d’Andersen, le public occidental est composé d’individus isolés qui, faute d’avoir déclaré et constaté leur communauté de vue sur 9/11, restent désunis, sans solidarité, sans force, et donc sans effet. 
 
Si les consciences individuelles restent isolées et ne viennent pas à la conscience du collectif, si elles ne se savent pas partie intégrante d’un large et donc puissant collectif, elles seront vaines, futiles, inutiles. Car nulle réalité nouvelle ne pourra émerger avant qu’elles ne se rassemblent dans la conscience d’elles-mêmes.
 
C’est bien pour cela que les révolutions se sont toujours appuyées sur des foules, c’est-à-dire, un collectif actif, uni dans une action qui vise avant tout à construire une conscience collective dissidente suffisamment vaste pour...
 
a) pour frapper les esprits,
b) faire prendre conscience de l’existence d’une « autre réalité » et donc,
c) faire ipso facto s’écrouler « l’hologramme » qui ne tient que par la croyance en un consensus que l’existence même d’une dissidence crédible anéanti.
 
Bien entendu, les foules sont toujours folles (conspirationnistes etc., et donc peu crédibles) au regard du pouvoir qui s’affole de leur pouvoir. Mais peu importe, c’est la loi du genre, tout le monde sait à présent que les foules peuvent être intelligentes, et les révolutions de velours. La seule chose qui compte, c’est le nombre, qui conditionne la visibilité. A partir d’un certain seuil, les médias même alignés ne pourront pas ne pas en faire mention.
 
Quoi qu’il en soit, j’espère qu’il devient à présent suffisamment clair que notre question initiale a trouvé sa réponse : oui, le cyberespace peut et doit contribuer à la nécessaire révolution. Car il s’agit de rassembler les 99% autour des Indignés et, pour cela, nous n’avons pas d’autre espace que le cyberespace. Il s’agit bêtement de faire nombre et ce n’est pas dans la rue que nous pourrons le faire. Ce n’est pas pour rien que le web social s’est affirmé comme un formidable outil de fabrication de foules intelligentes sources de nouvelles perspectives, de nouveaux consensus, donc de nouvelles réalités.
 
Le web social n’est pas comme les médias traditionnels un simple outil de diffusion ou de propagation. C’est un outil d’action, parce qu’à l’exemple d’Agoravox, c’est un espace public chacun peut venir librement opérer cet acte citoyen qui consiste à déclarer sa position, ses aspirations, ses choix et où, par conséquent, la conscience du consensus, de la communauté de vue, de la solidarité, peut se déployer avec la même intensité que lorsqu’on se trouve physiquement au milieu d’une foule enthousiaste.
 
Il semblerait insensé de vouloir passer à côté de ce moyen, mais c’est pourtant ce à quoi incite malheureusement le site Adbusters, instigateur du mouvement OWS, pour des raisons qui tiennent davantage de la poésie que de la rationalité.
 
Réunir OWS et 99%
 
Quoi qu’il en soit, il devrait être clair pour tout le monde que les Occupy Wall Street n’ont aucune chance de réussir s’ils ne trouvent pas un moyen d’amener la population se rassembler avec eux sur le mode de la foule solidaire, unie et non pas sur celui du public bienveillant qui donne sa bénédiction le temps que les médias alignés consentent à évoquer le sujet.
 
La jonction, que dis-je, l’unité entre les OWS et les 99 % doit absolument devenir réelle, palpable, c’est-à-dire, connue et reconnue de tous, sinon ils sont perdus... et nous aussi.
 
En effet, ils n’occupent l’espace public qu’au prix d’une admirable discipline de non-violence dont on se demande combien de temps encore elle pourra être tenue. Car il ne faut pas s’y tromper, l’occupation concrète, réelle d’un espace public durant des jours et des semaines ne peut pas ne pas être perçue ici ou là — notamment par le voisinage —, comme une forme de violence, ce qui suscitera de la violence en retour. Par ailleurs, si tant est qu’ils réussissent à garder cette droite ligne, jusqu’à quand sera-t-elle tolérée par l’Empire dès lors qu’elle ne lui offre aucune prise ? Il sera facile d’envoyer ici et là des « agents provocateurs » qui feront entrer, aussi peu que ce soit, l’insurrection dans le cycle de la violence de manière à la disqualifier aux yeux du grand public.
 
Au demeurant, comme pour Fukushima, quand l’Empire voudra faire de ces occupations un non-événement, il y aura toujours assez d’actualité brûlante de par le monde pour réaliser un complet black-out sur ces bandes interlopes d’hurluberlus irresponsables.
 
Si, par contre, il devait apparaître qu’une foule immense, nationale et internationale est en train de se rassembler derrière les OWS pour exiger avec eux la mise au pas de la finance mondiale, il en irait tout autrement.
 
Comme le dit si bien le journaliste engagé Chris Hedges (Prix Pulitzer) avec le titre d’une de ses remarquables analyses du mouvement OWS : « Occupiers Have to Convince the Other 99 Percent  ». Mais cela ne suffira pas, car être convaincu est une chose, agir en est une autre, agir efficacement encore une autre.
 
Agir efficacement veut dire « être avec » les OWS d’une manière « visible », publique, qui puisse frapper les consciences et amener ces dernières à rejoindre dans un mouvement qui deviendrait alors irrésistible.
 
Comment réaliser cela ? Dès lors que, nous le savons bien, nous n’irons pas rejoindre physiquement les OWS à New York — ou dans les centaines de villes où ils ont essaimé — et nous ne les imiterons pas en nous rassemblant devant le palais Brognard.
 
Le cyberespace est le seul lieu où nous, les 99 % pouvons nous solidariser avec ce mouvement. Il faut l’occuper sans tarder. Mais comment faire pour ne pas seulement agir pour se donner bonne conscience à peu de frais ? Comment agir efficacement, en vue de contribuer à rien moins que la réussite du mouvement ? Parce que c’est cela que nous voulons, pas seulement la bonne conscience.
 
Encore une pétition ? Non merci !
 
La première impulsion pourrait être de signer des pétitions et, en particulier, celle proposée par Avaaz.org qui, vu la puissance et les succès passés de cette organisation, a le plus de chance d’avoir un impact.
 
Le fait est qu’ils en sont actuellement (le 30 octobre à 17h) à 796 730 signatures et ils visent le million. C’est très bien, mais lisez de près cette pétition, que dit-elle ? :
 
« Aux citoyens qui occupent Wall Street et à tous les gens qui protestent dans le monde entier :
 
Nous vous soutenons dans cette lutte pour une réelle démocratie. Ensemble, nous pouvons mettre fin à la corruption et à l'emprise qu'exercent de riches élites et entreprises sur nos gouvernements, et contraindre nos responsables politiques à servir l'intérêt général. Nous sommes unis, le temps du changement est venu ! »
 
Il n’y a rien là qui ne puisse intégrer le discours d’Obama ou d’un candidat de l’UMPS. Le moment venu, la récupération pourra se faire comme une lettre à la poste.
 
Je ne fais pas de procès d’intention à Avaaz. Ce n’est pas le lieu. J’ai signé leur pétition, j’en ai signé par le passé et j’en signerai d’autres — avec prudence toutefois, car je les soupçonne quand même un peu d’être au service de la bien-pensance avec laquelle l’Empire nous ballade. Ainsi, je m’en veux beaucoup, j’ai, sans mesurer la portée de mon acte, participé à leur action pour soutenir la résolution 1973 de l’ONU. Errare humanum est ;-(
 
Disons que c’est simplement les modalités de leur pétition et de toute pétition en général que j’interroge à présent. En signant la pétition d’Avaaz en soutien à OWS, j’ai, à un instant donné, déclaré faire mien un message assez vague pour qu’il soit communiqué à un moment donné (que je ne connais pas) à un(e) (entité) responsable dont j’ignore tout encore.
 
Supposons que cette pétition parvienne à un autiste gouvernemental comme il y en a partout dans le monde ? Où finira-t-elle ? A la poubelle, la vraie ou dans celle du recyclage (récup) lors d’une cérémonie de remise avec grand tralala et presstituées à gogo.
 
Dès lors, même s’il est incontestable que l’existence de cette pétition constitue d’ores et déjà un encouragement pour les OWS, ne serait-ce qu’au travers de l’affichage live réalisé à Zuccotti Park, il est douteux qu’elle puisse être autre chose qu’un sympathique appoint.
 
Si nous sommes sérieux une seconde, nous savons qu’il ne s’agit pas seulement d’avoir un impact, même significatif, il ne s’agit pas de nous abandonner à la première impulsion qui nous donnera satisfaction et bonne conscience comme on se soulage d’une envie pressante. Nous parlons de renverser l’Empire (qu’ils en soient pleinement conscients ou non, c’est le projet affiché par les contestataires d’OWS), et croyez-vous qu’on le fasse avec une pétition d’un million de signatures ?
 
Combien de personnes sont descendues dans les rues en Europe lorsque l’Empire a voulu se faire l’Irak ? Des millions personnes en Italie, en Espagne, en Angleterre n’ont pas fait plier leurs gouvernements respectifs. Alors un million de signatures... vous rigolez ?
 
La pétition est une voie sans issue. Elle est vouée à l’échec par manque d’ambition. Même deux, voire trois, millions de signatures feront bien rigoler Lloyd Blankfein — le patron de Goldman Sachs, quasi propriétaire de la Réserve Fédérale et du gouvernement U.S, qui est tellement conscient de l’immensité de son pouvoir qu’il a prétendu faire « le travail de Dieu » !
 
Cybermanifestation : le temps qu’il faudra, la taille qu’il faudra...
 
No limits ! Si nous voulons adhérer à l’esprit des OWS, c’est la première chose à intégrer. Nous ne sommes pas ici pour faire salon, pour faire un bon chiffre, mais pour la victoire. Tout comme les OWS projettent d’occuper l’espace public « le temps qu’il faudra », peuvent-ils viser moins que la réalisation du « rassemblement qu’il faudra » ?
 
Nous ne savons pas quelle taille le mouvement OWS-99% devra atteindre pour s’imposer aux médias et obliger les politiciens à prendre les mesures révolutionnaires et libératrices que le monde attend.
 
Nous ne le savons pas mais cela n’a aucune importance car nous savons qu’il suffit de se mettre en route et ne pas cesser de se rassembler autour des OWS pour que, fatalement, mathématiquement, vienne le moment du point de bascule, le « tipping point », quand la croissance implacable du mouvement (ah quelle joyeuse croissance que celle là !) apparaîtra irrésistible et que les 1% commenceront à prendre conscience que les murs de Wall Street ne peuvent résister à cette vague.
 
Ce point existe. Si nous marchons de manière déterminée en sa direction, nous ne pouvons pas ne pas le rencontrer.
 
Alors la question n’est plus que de savoir où nous pourrions réaliser ledit rassemblement. Dans le cyberespace, certes, pas à New York. Mais où exactement ? Où l’unité des citoyens du monde pourrait-elle se donner à voir clairement, incontestablement, irréfragablement ?
 
Pas dans une pétition, pas dans quelque vague sondage préformaté, mais dans l’accord unanime, massif, irrésistible autour, non pas d’un projet de société, d’un idéal, d’un programme politique ou d’un vœu pieu mais bien de quelques revendications très précises, peut-être même une seule, la « revendication‑clé » qui ouvrira toutes les portes, parce qu’étant essentielle, elle ne cessera jamais de susciter l’accord, qui est tout ce dont nous avons besoin.
 
Alors oui, je sais, le diable est dans les détails et le problème des OWS est, précisément, que depuis un mois que le mouvement a démarré, ils n’ont toujours pas de demande bien identifiée.
 
Comme il faut savoir finir un article, je vais aller droit au but : il me semble que les OWS ne peuvent demander rien moins que la pleine récupération de la souveraineté populaire sur la création monétaire. S’il y a une demande clé, c’est bien celle-là vu que le moteur de l’Empire tient tout entier dans l’intérêt de la dette que les banques privées ont eu licence de créer ad libitum depuis ce coup d’état qu’a été la création de la FED en 1913. Je ne dis pas que qu’il s’agit de la seule demande. Il me semble seulement qu’elle doit être la première. Elle est incontournable.
 
Supposons, pour le moment, que cette demande fasse consensus parmi les OWS, supposons qu’elle soit audible et intelligible par les 99%, où pourrait alors trouver à s’afficher l’unité entre les uns et les autres ?
 
Encore une fois, aucune manifestation des 99% qui battrait réellement le pavé ne peut espérer avoir la taille et la durée nécessaire. Nous, les 99%, nous ne sommes pas capables des sacrifices et de la liberté que s’autorisent les OWS. Et c’est n’est pas nécessaire.
 
Pour réussir, nous avons seulement besoin que des citoyens du monde simplement identifiés par leur nom et leur ville puissent rejoindre à tout moment une manifestation virtuelle qui, jour après jour, et le temps qu’il faudra, portera les revendications des OWS.
 
Une cybermanifestation permanente qui ne cesserait de croître tout en tournant inlassablement autour de Wall Street ne pourra manquer de passer le cap à partir duquel les murs de la finance mondiale se fissureront et s’écrouleront comme ceux de Jéricho.
 
Voyez-vous un obstacle à la réalisation de ceci ? A part nous et notre inertie, il n’y en a pas. Nous avons ce pouvoir.
 
Comment concrètement le mettre en œuvre ? Pas en imaginant constituer une monstrueux groupe Facebook car cette société a déjà montré sa servilité vis-à-vis de l’Empire. Le groupe pourrait être fermé à tout moment.
 
Il nous faut une plateforme indépendante. Alors, ou bien les OWS la conçoivent, ou bien c’est à nous, les 99% qu’il revient de le faire. Mais quoi qu’il en soit, c’est le seul lieu où les uns et les autres peuvent espérer se rencontrer, s’unir et donc réussir. Pardonnez-moi d’y insister peut-être maladroitement, mais sans cette union OWS-99% tout est perdu. Il n’y aura pas une seconde chance. La voie institutionnelle, politique, via des élections supposément démocratiques n’est plus qu’un leurre pour gogos qui ne voient pas que bonnet noir remplace blanc benêt et réciproquement ; aucun intérêt, aucun espoir (cf. la belle analyse de Thierry Meyssan sur le système électoral étasunien)
 
C’est pourquoi il faut agir maintenant. Sans tarder. Tant que les OWS tiennent le haut du pavé et que les rigueurs de l’hiver ne les ont pas fait fuir. Car sans eux, sans l’entrée dans le réel physique qu’ils constituent, une cybermanifestation serait orpheline et probablement impuissante. La résonance et donc la solidarité entre les OWS et les 99% est indispensable. C’est comme pour un iceberg : le haut n’émerge que parce qu’il est porté par la partie immergée. Sans cette unité, il n’y aura pas de visibilité.
 
Dans un article à suivre, j’ouvrirai une réflexion sur la manière de mettre en place une telle plateforme. Car si les OWS n’y viennent pas, c’est au 99% d’aller à leur rencontre, n’est-ce pas ? Tous ceux qui pensent pouvoir y aider sont d’ores et déjà bienvenus de se signaler !

L’esprit des OWS c’est qu’il n’y a pas de leader. L’intelligence est collective. Tout se fait dans la transparence. Tous les points de vue sont donc légitimes a priori. L’échange permettra de faire le tri. Alors merci d’avance, déjà, pour vos commentaires et contributions.


[1] Voir New York Times, November 26, 2006 et CNN Interview, May 25 2005.
[2] SNAFU veut dire : « Situation Normal : All Fucked Up ». Voir http://en.wikipedia.org/wiki/SNAFU
[3] Même s’il n’est pas une référence, le trader Alessio Rastani a dit les choses de manière très justes ici

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