Les Murs du Ridicule
par Pierre JC Allard
lundi 3 mars 2008
« Par dix, par cent, par mille »... Comme Moustaki, Melina Mercouri chantait aussi « Le Métèque ». En fait, les « métèques » nous arrivent maintenant par millions et, s’ils étaient Grecs, on n’en parlerait même pas ! Les millions d’immigrants qui nous arrivent sont de culture bien plus différente que ça de la nôtre, de sorte que, tous ensemble au salon, on n’est plus toujours d’accord sur ce qu’on veut voir à la TV. Il se pourrait que l’on sache de moins en moins quelle société l’on veut... ce qui n’améliorera pas les chances de la bâtir.
On peut aimer ou ne pas aimer le brassage des cultures ; j’en donne souvent le pour et le contre. Ce dont je veux parler ici, ce n’est pas des mérites du multiculturalisme, c’est des mesures à prendre pour que le brassage qu’on souhaite soit bien celui qu’on aura. À chaque pays de choisir la teinte de son colorant, mais si on demande acajou ou châtain, il ne faut pas sortir du coiffeur rose, cuivre, ni platine.
Il n’y a pas qu’en France que l’immigration cause problème. Aujourd’hui, les Américains sont inquiets. 11 millions de Mexicains et autres Latinos sont entrés illégalement aux USA. Ils y vivent, y travaillent, vont à l’école et payent des taxes. On les a laissés faire, ça faisait bien l’affaire. Mais maintenant, aux USA, on a la teinte qu’on voulait. Stop. On parle d’une politique d’immigration, mais qu’est-ce qu’on fait pour qu’elle soit respectée ? Les Américains vont bâtir un mur...
Pour quelques milliards de dollars, les USA vont mettre, entre eux et l’Amérique des métissés au sud, un long mur de béton. On pense déjà à bâtir aussi quelques milliers de kilomètres de mur au nord, à travers forêts et Grands Lacs pour bien dire où finit le Canada. On aura ainsi complété le dispositif de défense du nouveau Yankee Festung. On réfère déjà à la première partie comme à un deuxième "Mur de la Honte" ; pour l’oeuvre finie, l’Histoire retiendra peut-être une expression plus juste : les Murs du Ridicule.
Reprenant le vieux couplé de Hara-kiri, on peut dire que ces murs sont bêtes et méchants. Je ne reproche pas en ce cas aux USA d’être méchants - leurs ennemis s’en chargent ! - mais d’être bêtes, ce qui est le problème de leurs amis... Bêtes, parce qu’une digue n’arrête la marée que si elle est étanche. Une muraille n’interdit l’entrée que si toutes les portes en sont fermées. Elle n’est vraiment efficace que si elle est férocement défendue contre tout venant - comme le fut la Muraille de Chine - et si l’on ne peut pas, comme la Ligne Maginot, simplement en faire le tour. Or, qu’on les dise de la honte ou du ridicule, les murs que va bâtir l’Amérique ne rempliront aucune de ces conditions.
Ils ne le pourront pas, parce que des centaines de milliers de personnes DOIVENT chaque jour traverser la frontière entre les USA et le Canada pour leur travail. Des milliers de camions passent aussi du Mexique aux USA, avec tout ce que l’Amérique y fait produire à vil prix, pour le consommer elle-même ou le réexporter à profit. Incontrôlables. Les frontières des USA sont infiniment poreuses et, si on les scelle, l’Amérique étouffe. Une Forteresse Amérique est une aberration, ultimement aussi indéfendable que la Festung Europa de triste mémoire.
Les Murs de l’Amérique seront plus longs que la Muraille de Chine. On les verra sans doute eux aussi de la Lune, mais, sur la Terre, ils n’arrêteront personne ; ils ne serviront qu’à vendre quelques hectares d’épures et quelques tonnes de béton. Ils seront la version bushiste de la clôture barbelée texane, pour garder le bétail dans l’enclos et les coyotes à l’extérieur. Une Ligne Maginot, mais même pas fortifiée. Ces murs n’arrêteront personne, car pour les franchir il suffit de faire un détour.
Si on veut vraiment arrêter l’immigration illégale, ce n’est pas en cherchant à colmater les frontières physiques qu’on y parviendra, c’est en verrouillant la structure des services. Il faut comprendre, en effet, que ce n’est pas à un territoire que l’immigrant veut accéder, mais à une société. Une société perçue, à juste titre, comme un lieu où l’on donne et reçoit des services. Plutôt que d’interdire l’accès au territoire, une mesure pénible et dont l’efficacité est douteuse, c’est l’accès à la structure de services qu’il faut contrôler. On peut ainsi n’admettre dans la société que ceux qu’on choisit d’y admettre.
Ce contrôle est facile. Il suffit d’exiger la présentation d’une « Carte de Citoyen » - ou donnons-lui le nom qu’on voudra - pour obtenir un emploi, toucher un salaire qui sera pour l’employeur une dépense reconnue, ouvrir un compte bancaire, obtenir un permis de conduire ou une ligne téléphonique, utiliser une carte de crédit, être admis à l’école ou à l’hôpital, toucher une aide sociale quelle qu’elle soit, etc.
S’il faut présenter cette carte et prouver ainsi que l’on est formellement membre en règle de la collectivité pour pouvoir y obtenir des services, il devient alors sans intérêt de s’introduire subrepticement dans un pays pour en devenir illégalement résidant de fait, puisque c’est au palier de l’obtention des services que l’intrus est refoulé.
En restreignant l’accès aux services, on enlève les deux petites étoiles à côté du nom USA, dans le Guide Rouge du bonheur que la rumeur colporte dans les pays pauvres. Sans cet accès aux services, l’Amérique ne vaut pas le détour et l’immigration illégale va rayer l’Amérique de ses plans de voyage.
Plutôt que de bâtir des murs, pourquoi l’Amérique n’adopte-t-elle pas cette solution, de restreindre l’entrée à la structure de services ? Parce qu’en Amérique - où la tradition du Far West veut que quiconque puisse errer incognito et porter un pistolet - exiger une identification pour avoir accès aux services ne semble pas si facile. L’Américain moyen, qui peut aller partout sans papiers, se plaît à penser qu’il est anonyme, protégé par une sorte de « burqa » sociale.
La réalité est bien autre. Le citoyen américain se promène déjà aussi nu qu’un ver, sous l’oeil des caméras et dans le champ des tables d’écoute de la NSA. Mais il l’ignore... Il va falloir montrer à John Doe que l’approche transparente qui consiste à s’identifier clairement serait plus respectueuse de sa liberté et de ses droits, que le contrôle occulte qui en tient lieu et que le gouvernement des USA a mis en place, lequel inclut le suivi de tout ce qu’il fait, la lecture de tout ce qu’il écrit, l’écoute possible de tout ce qu’il dit.
On va le lui montrer et l’on ne tardera pas trop, car la transparence nécessaire pour restreindre l’accès aux services et assurer ainsi un contrôle efficace de l’immigration illégale est aussi de plus en plus nécessaire pour tout et à chaque pas. Une société d’interdépendance ne peut tolérer l’anonymat. On se dévoile... ou l’on n’en est pas. On tardera un peu à le lui dire, toutefois, car il faudra trouver les mots politiquement corrects pour le faire.
On comprend qu’il faille du temps, car on lui a dit le contraire si longtemps... En attendant, on va construire des murs pour ne pas le lui dire tout de suite, s’excuser de lui passer une ficelle au poignet, pour qu’il ne sente pas trop vite les chaînes qu’il a aux pieds et la corde qu’il a au cou.
En Europe, le problème de l’immigration est aussi grave qu’aux USA, mais il peut aussi être parfaitement contrôlé par un verrou posé à la porte de la structure des services. Cette solution y est plus facile à mettre en application, car il y a longtemps en Europe que l’on demande « vos papiers »... Il n’y a pas d’excuse valable pour ne pas le faire.
Évidemment, il faudrait aussi avouer qu’on en sait plus sur les individus que l’on ne prétend en savoir, mais ceci n’est pas en Europe un obstacle, comme ce l’est aux USA. Les Anglais ont appris l’an dernier, lors des attentats du métro de Londres, que dans la seule City 7 000 caméras les espionnaient ! La France est sans doute tout aussi surveillée.
Ce n’est PAS un scandale. Une société d’interdépendance est vulnérable et fragile. Cette transparence est une nécessité incontournable dans un monde complexe, où chacun a un terrible pouvoir de nuire. Il faut l’accepter et le dire. C’est une insulte à l’intelligence de la population de se défendre de regarder par le trou de la serrure, quand il y a bien longtemps que les fenêtres n’ont plus de volets. L’Europe a l’information et les outils nécessaires pour contrôler l’immigration à l’entrée de la structure des services plutôt qu’aux frontières.
Il est urgent de le faire car, aussi longtemps que l’écart entre pays riches et pays pauvres ira s’aggravant, la question de l’immigration va se poser avec de plus en plus d’acuité. On ne pourra que voir de plus en plus de barques à la dérive cherchant à gagner les Canaries, puis la côte espagnole, la Sicile, les îles grecques...
La seule VRAIE solution, ce serait que cet écart se résorbe et c’est ce qu’il faut faire. En attendant, cependant, il faut contrôler les flux migratoires qui s’emballent et, quelles que soient les limites posées à l’immigration, il faut que ces limites soient respectées. Pour l’Europe, pas plus que pour les USA, un contrôle frontalier n’est la solution. C’est en verrouillant la structure des services et en rendant l’Europe moins « attrayante », qu’on parviendra à avoir précisément l’immigration qu’on veut. Pas cuivre, pas platine, juste la couleur qu’on veut.
On donne ainsi un nouveau sens au mot de Guitry. Pour immigrer, il ne s’agit plus seulement « d’y être » mais « d’EN être ». On pourra continuer, bien sûr, à refuser l’entrée du territoire national à ceux dont on ne veut pas, mais il ne sera pas nécessaire de faire une chasse à l’homme. Ceux qui ne pourront pas « en être » n’y viendront plus. Il est temps d’avouer que l’on peut contrôler l’immigration. Si on ne le fait pas, il y aura un flux migratoire incontrôlé croissant, culturellement inassimilable.
La cause des migrations est l’injustice, le déséquilibre des échanges mondiaux, une répartition inéquitable de la richesse. Il faut s’attaquer à ces vrais problèmes. Il faut aussi, cependant, avoir le courage, d’abord, de dire que l’on a ce pouvoir d’arrêter le flux migratoire incontrôlé.
Le courage, ensuite, de choisir la politique d’immigration qui nous convient et de l’appliquer. Il faut que la population soit consultée, que l’on choisisse la mixture sociale qu’on voudra... et que l’État annonce franchement la couleur.
Pierre JC Allard