Les signatures-engagements des candidats à la présidentielle : une forme moderne de lobbying ?
par Allonneau Patrick
vendredi 23 mars 2007
Une campagne présidentielle est l’occasion de confronter des idées, des conceptions de la société française, de clarifier quelques grands enjeux économiques et sociaux (dette, emploi, retraites, protection sociale, fiscalité, croissance, environnement, etc.), de proposer une offre politique qui réponde aux préoccupations quotidiennes des Français, à leurs attentes, demandes, exigences, angoisses, frustrations, voire contradictions ; bref de construire un projet politique autour de valeurs qui rassemblent. De chaque campagne se dégage une thématique centrale : « La France unie » en 1988, « La fracture sociale » en 1995, « L’insécurité » en 2002 et celle de « La défiance politique » en 2007. A propos de cette campagne électorale, je souhaitais attirer l’attention sur un fait à ma connaissance peu commenté et qui me paraît inédit : je veux parler de la multiplication de l’appel à signer des manifestes soumis aux principaux candidats à la présidentielle comme engagement solennel à souscrire à une charte ou à un pacte. Cette mise sous tutelle morale du politique par des réseaux associatifs (comme AClefeu ou le Cran) , d’associations de défense de centres de santé, de BHL à propos du Darfour ou par une personnalité médiatique comme N. Hulot et son pacte écologique (ce ne sont que quelques exemples pris dans l’actualité récente) qui s’autoproclament défenseurs et juges suprêmes d’une cause (aussi juste et légitime soit-elle) appelle ces quelques remarques. Précisons que la discussion ne portera pas sur le fondement moral des causes défendues, car comment être a priori contre les thématiques sociétales du bien et de la responsabilité (les idéologies humanitaires, hygiénistes et oecuméniques), mais sur la signification politique d’une signature apostolique.
En effet, ce qui pose question ce n’est pas tant le bienfondé de la cause, qu’elle soit citoyenne, écologiste, éthique, humanitaire ou autre, que la démarche politique qu’elle sous-tend et surtout la célérité avec laquelle les candidats s’exécutent devant les télévisions censées ratifier leur démarche verteuse et citoyenne (du moins pour N. Hulot). On voit bien que cette démarche s’inscrit dans le mouvement de discrédit vis-à-vis du politique, de l’insuffisance du dialogue démocratique, de la faiblesse des corps intermédiaires, de la crise de la représentativité démocratique et du désir de participation citoyenne à la vie publique ; bref de l’air du temps du temps qui est à la démocratie participative, tribunitienne et délibérative. Il n’est bien sûr pas dans notre propos de déplorer tout ce qui peut contribuer à rapprocher les citoyens des politiques mais de nous interroger sur le changement de nature du lien qui les unit par la signature. En démocratie représentative, ce qui lie le citoyen au politique, c’est une délégation de mandat sur la base d’un suffrage. Le contrôle s’opère alors par le vote soit d’adhésion (oui) ou de sanction (non) ; le vote « blanc » n’étant pas reconnu ; ce sont les électeurs qui font et défont par leurs votes le choix politique au terme d’une durée définie par la loi. En revanche en démocratie délibérative le contrôle est édicté par une instance qui s’autoproclame l’autorité de référence, définit ses propres critères d’évaluations, se place en position d’arbitre et fixe des ultimatum comme sur les EPR, les OGN, les autoroutes ou les incinérateurs de déchets. (cf. l’Observatoire de la vie politique de N. Hulot chargé du suivi des engagements écologiques des candidats). Au-delà de la confusion des positions (l’instance qui définit les critères à respecter est aussi celle qui évalue leur application effective), ce qui pose problème, c’est à la fois le contrôle de ces instances et leur mainmise sur les choix et les décisions politiques démocratiques : ainsi, au système délégatif et représentatif de la démocratie indirecte se substitue dans la démocratie directe une possible tutélisation, une probable judiciarisation de la vie publique et le risque d’une OPA idéologique partisane avec toutes les dérives de chantage politique que cela comporte. Une illustration récente en est d’ailleurs donnée par N. Hulot.(Le Parisien-Aujourd’hui en France du 20/03/2007). Constatant avec dépit, déception et ressentiment que son pacte écologique n’était plus dans les priorités des candidats à la présidentielle il se fait menaçant envers ceux qui auraient trahi leurs engagements écologiques : « Je peux donner un bon point supplémentaire à tel ou tel candidat », la forme des représailles n’est pas précisée mais le chantage est bien là. On voit que la mise en scène médiatisée de la signature publique (le téléspectateur-citoyen doit être pris à témoin) place le lobby dans une position de suprématie, de jugement et d’édicteur d’éventuelles sanctions. Cette suprématie des lobbies associatifs sur le politique n’est pas sans risques car elle peut déboucher sur la défense d’intérêts partisants, la multiplication de revendications éparses, héterogènes, sectorielles, pouvant conduire à des décisions arbitraires et à une conflictualisation de la société civile (cf. par exemple le mouvement de la désobéissance civique et de ses prises de positions antiscientistes et antilégales dans la question scientifiquement et sociétalement complexe des OGM).
Le lobbying politique dans sa déclinaison signature apostolique pose ainsi deux questions majeures. La première est celle de la légitimité et du droit. Cette légitimité est auto-octroyée de fait car la cause défendue selon les propagandistes ne souffre ni critiques ni contestations éthiques (qui serait en effet pour la pollution de la planète et se réjouirait du réchauffement du climat ou de la ghettoïsation des banlieues !). Mais à mon avis la légitimité médiatique ou morale n’autorisent cependant pas à s’ériger en conscience morale universelle faisant office d’autorité suprême sauf à se considérer comme les sauveurs de l’humanité et les seuls défenseurs des thématiques du bien et de la responsabilité. La seconde est celle du contôle et de l’évaluation : qui va décider du pacte tenu ou rompu ? De la charte remplie ou non ? Ceux qui font les règles du jeu et arbitrent le match ? Faudra-t-il passer sous les fourches caudines d’un tribunal populaire pour s’expliquer, se justifier, s’amender voire expier ? Au lieu de renforcer les idéologies du contrôle social, de la surveillance, de la suspicion, de la repentance et de l’obligation à la transparence totale des décisions politiques (tout doit être mis sur la place publique), ne vaudrait-il pas mieux améliorer les dispositifs démocratiques existants et en créer de nouveaux encadrés sur le plan institutionnel et juridique ? C’est dans cet esprit que je livre ici quelques pistes de réflexion.
Renforcer le rôle du parlement qui de plus en plus tend à n’être qu’une une simple chambre d’enregistrement par un contrôle accru du législatif sur l’exécutif. Donner plus de pouvoir aux commissions permanentes du parlement pour évaluer les politiques publiques. Multiplier les missions d’évaluations parlementaires (dans l’esprit de celle d’Outreau). Réformer le Sénat qui prend insuffisamment en compte les zones urbaines. Limiter le cumul des mandats et notamment instaurer un mandat parlementaire unique. Crér un réel statut de l’élu. Décider d’un âge limite électif et d’une parité entre les sexes pour permettre le renouvellement de la classe politique. Revenir sur la suppression du Commissariat au Plan et lui redonner sa dimension prospective, indépendante, soucieuse du long terme et centré sur l’intérêt géneral (cf. sur cette question le livre d’Alain Etchégoyen Votre devoir est de vous taire, Editions de l’Archipel.). Renforcer les missions du Conseil économique et social et de la Cour des comptes (principalement dans le suivi des évaluations pour aller au-delà du simple constat de gâchis des dépenses publiques). Favoriser davantage par les collectivités la mise en place de moyens juridiques et institutionnels permettant d’associer les citoyens à la décision publique comme la loi de février 2002 les y oblige et au besoin rendre possible la saisine d’une instance élue (qui peut aller jusqu’au référendum d’initiative populaire). Que les élus fassent des comptes rendus de leurs actions entre deux mandats électifs. Elargir la représentativité des syndicats (qui date de la libération) et développer par des incitations fiscales la syndicalisation qui est trop faible en France. A ces propositions il conviendrait aussi de joindre le volet entreprises et au-delà des thèmes de la participation et de l’intéressement associer plus étroitement les salariés au pouvoir et aux processus de décisions.
Allonneau Patrick. Rouen.