Martine Aubry, le mal est fait

par Orélien Péréol
samedi 26 mars 2011

Débattons ou des bâtons. Voilà la valeur démocratique impérieuse. La laïcité de l'Etat n'est pas une "valeur" qui permet de contrôler les citoyens. Nous avons pris la laïcité à l'envers depuis 2004.

Nous baignons dans un non-sens généralisé à propos de laïcité. Martine Aubry nous offre involontairement le spectacle de l'absurde contenu dans cette loi qui fait des ravages depuis 7 ans.

Les belligérants finissent par se ressembler et se sauver en courant au moment où on le découvre ne change rien à l'affaire.

Martine Aubry retire sa signature d’une pétition contre le débat sur l’islam pour ne pas être dans le même camp que Tarik Ramadan. A mon avis, ce retrait signifie que le mal est fait (ce n'est pas ce retrait qui détruit le fait que tout d'abord, elle ait signé). Nous sommes dans une situation absurde, impensable (qu'on ne peut pas penser). Nous avons inversé le sens de la laïcité, le sens dans lequel la laïcité coule : c'était une contrainte de l'Etat libératoire pour les citoyens, depuis la loi du 15 mars 2004, ce sens s'est inversé : la laïcité est devenue une valeur de l'Etat (une liberté, c’est lui qui en décide à sa convenance) et une contrainte du citoyen. Et cependant, cela continue à s'appeler laïcité ! En substituant à la laïcité de l’État, obligation de l’État, une laïcité du citoyen, obligation du citoyen, une certaine loi sur les signes religieux à l’école, dite sans ambages « loi contre le voile », nous a fait entrer dans la confusion, la perte des repères.

Cette inversion (entendez perversion, c'est la même chose) de la laïcité apporte une extension de la surface des problèmes que cela pose à certains (et de leur profondeur), et sans cesse l'apparition de nouveaux objets de conflit. Des robes ces temps-ci ont fait partie de cette apparition de nouveaux objets de conflits. A partir du moment où l’Etat prétend avoir une « valeur » pour nous commander, à nous citoyens, notre façon de nous habiller, nous entrons dans un non-sens généralisé. Les employés de l’Etat deviennent des sortes de théologiens musulmans chargés de dire si oui ou non cette robe a une signification religieuse dans la religion musulmane.
 
L’inversion est claire : c’est l’Etat qui est sommée (qui s’enjoint à lui-même) de faire la théologie d’une religion ; qui doit déterminer si oui ou non, telle ou telle attitude est signifiante dans cette religion ! Il n’en est pas capable : ce n’est pas dans son champ de compétence, pour parler technique juridique. La question, telle qu’elle est écrite dans la presse, serait de savoir si cette robe est une tenue traditionnelle, ce qui serait admis ou une tenue religieuse qui ne serait pas admise. Comme si une frontière séparait les deux, le traditionnel et le religieux, de façon étanche et que l’on soit ou bien entièrement dans l’un ou bien entièrement dans l’autre ; il se pourrait que l’on soit un peu dans les deux, au trois-quarts dans l’un un quart dans l’autre… c’est impossible, la loi ne le prévoit pas !
 
Par principe, les autorités d’une religion ne vont pas se soumettre à un avis extérieur. Les autorités musulmanes ne vont pas dire : l’Etat a déterminé que cette robe était religieuse, cela nous oblige, donc nous la considérons maintenant comme faisant partie de la religion musulmane. Nous obéissons. Ils savent mieux que nous ce qu’est notre religion. Il est impossible d’aller vers l’idée que l’Etat laïque donnerait les contours d’une religion. C’est absurde. Cette absurdité est contenue dans la loi de 2004 : l’Etat n’a pas à juger de nos intentions. Si quelqu’un a des raisons religieuses de s’habiller d’une façon ou d’une autre, cela le regarde. Cela ne regarde pas l’Etat qui n’a pas à dire comment les citoyens doivent s’habiller. L’Etat peut commander à ses employés de n’avoir pas de signes religieux sur eux, et par prudence de ne pas porter de vêtements réputés liés à une religion ou une autre. Car, les employés de l’Etat doivent avoir sur eux l’égale importance de toutes les religions pour l’Etat, ce qui est la laïcité.
 
Depuis cette loi inepte, de nouveaux points de conflits ont surgi ça et là : les birkinis, le Quick hallal… Une nouvelle loi va étendre la pression de l’Etat en interdisant la burka, il n’y a pas de limites… de plus en plus de femmes avec un tissu sur la tête circulent dans les rues… La plupart du temps, ce sont des citoyennes… Ce caractère absurde arrive en titre dans les mass-médias (ce qui veut dire qu'il y a longtemps qu'il se développe à l'abri des regards sous la surface de l'eau) : Martine Aubry ne veut pas cosigner avec Tarik Ramadan.
 
Si nous sommes démocrates, nous débattons, nous ne pétitions pas contre les débats (on risquerait, comme la pauvre Martine Aubry de se retrouver embarquer avec nos opposants). Les belligérants deviennent semblables ; René Girard nous en a avertis il y a quelque temps déjà !
Si nous sommes démocrates, nous ne commandons pas aux citoyens les costumes qu’ils portent, ils s’habillent comme ils veulent. Nous ne jugeons pas leurs costumes, juger au sens de discriminer : nous ne inquiétons pas de savoir s’ils sont « religieux » (interdits à l’école !?) ou « traditionnels » (admis à l’école).
 
Il est temps de revenir à la laïcité qui est l’obligation de l’Etat de réguler les relations des religions avec lui et des religions entre elles, dans le but que chacun puisse pratiquer sa religion en toute liberté.

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