Mot « race » : la solution ingénieuse de Charles de Courson

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 17 février 2016

« La diversité humaine a entraîné une classification raciale sur les critères les plus immédiatement apparents : leucodermes (Blancs), mélanodermes (Noirs), xanthodermes (Jaunes). Cette classification a prévalu, avec diverses tentatives de perfectionnement dues à l’influence des idées linnéennes, tout au long du XIXe siècle. Les progrès de la génétique conduisent aujourd’hui à rejeter toute tentative de classification raciale. » ("Le Petit Larousse", édition de 1992, au mot "race").



Dans la séance du mardi 9 février 2016 dans la soirée au Palais-Bourbon, les députés ont continué de débattre du projet de loi constitutionnelle.

Par exemple, l’ancienne ministre Delphine Batho a expliqué son opposition, non pas au principe de déchoir la nationalité des terroristes, mais de l’inscrire dans la Constitution : « Je suis obligée de regarder cette proposition de révision de la loi fondamentale de la République avec une certaine inquiétude pour l’avenir. Parce que c’est la loi fondamentale que nous mettons entre les mains des majorités futures, avec peut-être le meilleur mais aussi, peut-être, le pire. Or je ne souhaite pas que la loi fondamentale de la République puisse autoriser la déchéance de nationalité de Français de naissance, par une loi simple modifiant le code pénal. » (9 février 2016). Elle a raison, ce texte serait un énorme chèque en blanc pour une majorité future qui sombrerait dans le populisme.


La boîte de Pandore constitutionnelle furtivement ouverte

Les deux premiers articles (et les deux seuls du projet) ayant été adoptés, sur l’état d’urgence et sur la déchéance de la nationalité, la discussion s’est donc focalisée sur les nombreux amendements qui proposent de rajouter un article 3.

La raison ? Comme c’est une révision constitutionnelle, c’était l’occasion en or, pour les parlementaires, de proposer d’autres modifications de la Constitution, même si ces modifications pourraient être considérées comme des "cavaliers", c’est-à-dire sans rapport avec l’objet du texte (et en ce sens, pourraient être anticonstitutionnels si c’était une loi simple, mais comme c’est une révision constitutionnelle, si elle était adoptée dans les règles, le Conseil Constitutionnel, dont le rôle est de veiller au respect de la Constitution, ne pourrait évidemment pas les invalider).

Ainsi, la boîte de Pandore a été ouverte durant cette longue soirée et nuit (la séance s’est achevée à une heure cinq du matin), avec des amendements pour donner le droit de vote aux étrangers (ce qui serait cocasse dans le même texte où l’on peut retirer la nationalité), ou rappeler les "racines chrétiennes" de la France (un amendement présenté par le député Jean-Frédéric Poisson, l’héritier politique de Christine Boutin, et soutenu par la députée Valérie Boyer : « C’est le christianisme qui nous a permis d’envisager l’homme comme un individu à part entière. La protection de la dignité humaine repose sur ces valeurs chrétiennes. La France est certes aujourd’hui une République laïque, mais d’influence et de valeurs chrétiennes. D’ailleurs sans le christianisme, il n’y aurait pas de laïcité : la laïcité n’existe que dans des pays de racines chrétiennes, comme la démocratie d’ailleurs. »), etc.


Le refus catégorique de toute autre modification immédiate

Le gouvernement et la majorité, par la voix du nouveau Garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas et du nouveau président de la commission des lois (et successeur de Jean-Jacques Urvoas), le sympathique député Dominique Raimbourg (le fils de Bourvil !), ont systématiquement rejeté ces amendements, même ceux sur lesquels ils pouvaient être en accord sur le fond, afin de ne pas polluer le texte qui doit ensuite être adopté par les sénateurs.

Pour chacun de ces amendements, la réponse de Dominique Raimbourg fut celle-ci : « Cette discussion est intéressante en soi. Toutefois, le choix a été fait de se restreindre à l’essentiel : c’est la condition de l’unité. Je ne dis pas que votre préoccupation n’est pas essentielle, mais elle s’éloigne du sujet principal. De ce fait, je ne peux donner qu’un avis défavorable, et je donnerai les mêmes explications à l’ensemble des amendements portant article additionnel après l’article 2. ».

Et celle de Jean-Jacques Urvoas fut de la même tonalité : « L’avis du gouvernement est identique. (…) Nonobstant cette argumentation, le gouvernement donnera évidemment un avis défavorable à toute les propositions de création d’un article additionnel, qui ne correspondent pas à l’intitulé et à l’objectif de la révision constitutionnelle. ».




Supprimer le mot "race" de la Constitution

Parmi les amendements, les amendements n°192, n°201 et n°231, proposés par les députés Jean-Luc Laurent, Alexis Bachelay et Yann Galut, visent à supprimer de l’article 1er de la Constitution la mention de la "race". L’explication d’Alexis Bachelay est assez simple : « Nous craignons de ne pas avoir, au cours de cette législature, une autre occasion de réviser la Constitution, et donc d’en supprimer ce mot, conformément à l’engagement qui avait été pris lors de la campagne présidentielle par celui qui est aujourd’hui Président de la République. Il est vrai que les mots prononcés lors du Congrès de Versailles étaient forts, m ais pas davantage que ceux qui avaient été prononcés alors, notamment au Bourget. En l’occurrence, ce serait un honneur de notre majorité que de procéder à cette suppression. ».

Effectivement, François Hollande s’était engagé à Paris le 11 mars 2012 à supprimer le mot "race" dans la Constitution : « Il n’y a pas de place dans la République pour la race. Je demanderai au lendemain de la présidentielle au Parlement de supprimer le mot race de notre Constitution. ».


Problèmes juridiques insolubles

Dans les problèmes juridiques que poserait la suppression du mot "race" de la Constitution (dans l’article 1er  : « sans distinction d’origine, de race ou de religion »), il y a le fait que la Constitution de la Ve République du 4 octobre 1958 renvoie aussi au préambule de la Constitution de la IVe République du 27 octobre 1946 qui lui-même mentionne deux fois le mot "race" (« sans distinction de race, de religion ni de croyance », puis, plusieurs lignes plus bas, « sans distinction de race ni de religion »). Or ce texte ne peut plus être modifié, puisque c’est un texte historique.

Une proposition de loi déposée par le député Alfred Marie-Jeanne avait été adoptée le 16 mai 2013 par l’Assemblée Nationale, qui a recensé tous les documents législatifs où le mot "race" était cité pour les modifier, mais elle n’est toujours pas à l’ordre du jour au Sénat, et elle ne concerne pas la mention dans la Constitution puisque ce serait une simple loi (et pas une révision).


La solution de Jean-Jacques Urvoas

La réponse sur le fond du ministre Jean-Jacques Urvoas, qui a rappelé les difficultés juridiques de supprimer le mot "race", a été celle-ci : « Chacun, ici, sait que la suppression du mot "race" soulèvera des difficultés parce que ce terme figure dans d’autres codes. Le moment venu, et il doit venir, je suggère plutôt au Parlement d’écrire dans la Constitution que la France combat le racisme sous toutes ses formes. L’idée que vous défendez serait ainsi affirmée sans déstabiliser l’ensemble des codes, et nous atteindrions l’objectif fixé. ».


Néanmoins, cette solution ne paraît pas reprendre à son compte la raison principale de vouloir supprimer le mot "race".


La solution de Charles de Courson

C’est, me semble-t-il, le député centriste Charles de Courson qui a trouvé la meilleure formulation pour garder l’idée et éviter les problèmes juridiques : « Il est vrai que la présence du mot "race" dans notre Constitution laisse entendre que notre texte fondamental reconnaît l’existence de races, au pluriel. Il me semble que la vraie réforme de la Constitution, mais elle fera peut-être l’objet d’un autre texte, un jour, consisterait à affirmer l’unicité de la race humaine. C’est comme cela que nous parviendrons à contourner le problème. ».

Et d’ajouter (après une exclamation de Noël Mamère) : « Ou de l’espèce humaine, oui, mais le mot "race" est couramment utilisé. L’essentiel est d’en souligner l’unicité, ce qui fonde la lutte contre le racisme, lequel existe bel et bien, quant à lui. Mais tout cela fera l’objet d’un débat ultérieur. ».

Cette solution semblait en tout cas avoir l’approbation des groupes de l’opposition, UDI et LR (Christian Jacob : « Oui, c’est mieux. »), mais aussi du président du groupe communiste, André Chassaigne : « En effet, il n’y a qu’une race humaine. Il est inutile de s’étendre là-dessus, tous les travaux des scientifiques en attestent. ».

Ainsi, en conservant le mot "race", ce qui couperait l’herbe sous les pieds de ceux qui ne manqueraient pas d’affirmer que ce n’est pas en supprimant le mot "race" qu’on supprimerait le racisme, le constituant ferait œuvre utile en disant haut et fort qu’il n’y a qu’une seule race humaine, et que chaque être humain doit bénéficier, à ce titre, du principe d’égalité en droit et en fait, et qu’il ne peut être classé dans aucune classification aussi subtile soit-elle. L’être humain est à la fois unique et égal.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (17 février 2016)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Le mot "race".
Charles de Courson.
La déchéance de la nationalité.
Chaque être compte.
L’histoire de l’être humain.


 


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