Né un 14 juillet

par Voris : compte fermé
mercredi 23 juillet 2008

Le Citoyen est né un 14 juillet. La seule question qui se pose sur sa naissance est l’année exacte : 1789 ou 1790 ? Le peuple dit que c’est 1789, alors qu’officiellement c’est 1790. L’autre question, bien plus essentielle, est : "Qu’est devenu le Citoyen dans la France d’aujourd’hui ? Et en particulier à l’ère du sarkozisme triomphant et de la réforme récente des institutions qui vient compromettre son devenir.

Né un 14 juillet (mais lequel) et mort peut-être le 21 juillet 2008 avec le vote Lang, le Citoyen semble être oublié chaque année de la célébration de la fête nationale qui ne commémore pas la prise de la Bastille de 1789, mais la fête de la Fédération qui s’est tenue le 14 juillet 1790 en hommage à la prise de la Bastille de l’année précédente. Cette subtilité introduite par le député Rapail en 1880 pour institutionnaliser la fête nationale française est à l’origine d’un malentendu qui n’est pas sans conséquences.

Premier malentendu : la confusion des dates

Le rapporteur du projet, Benjamin Raspail, a joué finement des choix qui se présentaient aux députés pour définir l’événement à commémorer : 14 juillet 1789 (journée sanglante où "des Français massacrèrent des Français", et trop populaire aux yeux de la droite), le 14 juillet 1790 (journée considérée comme le point culminant de "l’année heureuse"), le 4 août (date de l’abolition des privilèges). La proposition en faveur du 4 août sera refusée. L’option du 14 juillet 1789 aussi. On retient finalement la journée du 14 juillet 1790 pour satisfaire les deux camps (droite et gauche, puisque le MoDem n’existait pas encore !) :

"Cette journée-là, vous ne lui reprocherez pas d’avoir versé une goutte de sang, d’avoir jeté la division à un degré quelconque dans le pays, elle a été la consécration de l’unité de la France. Oui, elle a consacré ce que l’ancienne royauté avait préparé. (...) Rappelez-vous donc que, ce jour-là, le plus beau et le plus pur de notre histoire, que d’un bout à l’autre du pays, des Pyrénées aux Alpes et au Rhin, tous les Français se donnèrent la main. Rappelez-vous que, de toutes les parties du territoire national, arrivèrent à Paris des députations des gardes nationales et de l’armée qui venaient sanctionner l’œuvre de 89. (...) Oui, cette journée a été la plus belle de notre histoire. C’est alors qu’a été consacrée cette unité nationale qui ne consiste pas dans les rapports matériels des hommes, qui est bien loin d’être uniquement une question de territoire, de langue et d’habitudes, comme on l’a trop souvent prétendu." (source)

Donc, depuis 1880, la fête nationale française commémore officiellement le 14 juillet 1790, mais le peuple, lui, pense surtout à la date de la prise de la Bastille. En effet, comment pourrait-il adhérer à cette journée du 14 juillet 1790 qui symbolise certes un consensus national, mais de durée très précaire. On peut effectivement parler de consensus : au Champ-de-Mars de Paris, Talleyrand dit une messe, La Fayette, en grand uniforme arrive sur un cheval blanc et monte sur l’estrade. Louis XVI prête serment à la nation et à la loi. La foule répète son serment et entonne un Te Deum. La séparation se fait au milieu des embrassements et des vivats dont beaucoup s’adressaient à Louis XVI. Toutes les composantes de la nation semblent ainsi unies : la royauté, le clergé, l’armée, le Tiers-Etat. Or, l’année suivante, les troupes rassemblées au Champ-de-Mars pour la fête seront dispersées à coups de fusil par La Fayette, le roi ayant trahi son serment en fuyant à l’étranger. Quant à Talleyrand, la réputation qu’il a laissée dans l’Histoire ne peut en faire un symbole de l’union de la nation et du respect de la République.



Second malentendu : la confusion des genres : fête militaire ou fête citoyenne ?

C’est au Champ-de-Mars de Paris que fut célébrée la Fête de la Fédération. Mars est le dieu de la guerre et c’est tout un symbole pour le citoyen-guerrier qui défend sa patrie. Le "Aux armes citoyens !" de La Marseillaise témoigne aussi de l’esprit de l’époque qui veut que tout citoyen soit armé pour se battre pour la patrie…

Lors de l’institution de la Fête nationale du 14 juillet, l’aspect militaire est renforcé. "L’accent est mis, dès le début, sur le caractère patriotique et militaire de la manifestation, afin de témoigner du redressement de la France après la défaite de 1870. Toutes les communes sont concernées" (source officielle).

Deux présidents vont toutefois renouer avec la tradition du Paris révolutionnaire : Valery Giscard d’Estaing fera défiler les troupes entre la place de la Bastille et la place de la République, et François Mitterrand célébrera le bicentenaire de la Révolution.

Mais lorsqu’il s’agit de donner à la Fête nationale un sens différent, un symbole de réconciliation des peuples, les deux hommes vont s’opposer. En 1994, François Mitterrand déclenche en effet une polémique en invitant des unités militaires allemandes à défiler sur les Champs-Élysées. Giscard, à la télévision, se montre très choqué et très ému.

Malgré les invitations de chefs d’Etat étrangers, la célébration garde une signification à dominante guerrière, même si on fait venir des armées alliées. Ainsi, en 2007, Nicolas Sarkozy invita un détachement de chacun des 26 autres pays de l’Union européenne, et, en 2008, un détachement des casques bleus de l’ONU en plus des détachements européens.

Le 14 juillet, malgré ses variantes et ses innovations, célèbre l’art militaire. On peut objecter qu’il est aussi l’occasion de bals, feux d’artifices et autres réjouissances qui en font une fête populaire. Mais, la place du Citoyen, en tous les cas, n’y est pas. Cette année les droits de l’homme étaient à l’honneur avec la lecture de la Déclaration par l’acteur Kad Mérad devant Bacher El Hassad. Mais il ne faut pas oublier que la Déclaration de 1789 s’appelle "Déclaration des droits de l’homme et du citoyen". Le citoyen ayant d’ailleurs autant sinon plus de devoirs que de droits.

La Fête nationale célèbre nos armées, l’amitié entre les armées alliées, elle apporte en 2008 une petite touche de droits de l’homme dans un contexte ambiguë, mais quand donc verra-t-on une fête du Citoyen le 14 juillet ? Jamais sans doute, parce que le Citoyen n’est pas considéré. D’ailleurs la réforme des institutions du 21 juillet ne vient-elle pas porter le coup de grâce à la vision d’une démocratie plus ouverte aux citoyens que défendirent le Parti socialiste et François Bayrou lors de la campagne présidentielle de 2007 ?

Le Citoyen est né un 14 juillet. C’est à nous qu’il revient de garder sa flamme vivante au même titre que la flamme du Soldat inconnu.


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