Nicolas Sarkozy se méfie trop des autres et pas assez de lui-même, son meilleur ennemi
par Francis, agnotologue
lundi 5 mai 2008
La dernière idée en date de Nicolas Sarkozy en matière de réformes consiste à réserver aux enfants des harkis, en dédommagement des injustices subies par leurs parents, 10 000 postes dans l’administration. Sur le fond, la dette envers les harkis, ces fidèles de la République, ne se discute pas, mais remarquons tout de même que, même si cela correspond à une promesse faite récemment, envisager une réparation un demi-siècle après a quelque chose de surréaliste. Sauf à penser que la France attendait Nicolas Sarkozy pour le faire. Les harkis apprécieront.
Qu’y a-t-il de vrai derrière cette annonce ? Assurément une constante dans la pensée de Nicolas Sarkozy, et ce projet confirme opportunément, si l’on en doutait, que ce que d’aucuns ont appelé un lapsus commis par le chef de l’Etat lors de son show télévisé du 24 avril dernier, tenait davantage de l’aveu. Qu’on en juge. S’adressant à Mme Auger, Nicolas Sarkozy a dit :
"Vous savez Mme Auger, j’ai bien conscience que dans les critiques qui me sont faites celle qui m’a le plus touché, celle qui m’interpelle le plus c’est celle qui voit une partie des Français se dire : au fond il fait une politique pour quelques-uns et pas pour tous. Si les Français croient ça, et ils ont raison de le croire, je dois en tirer les conséquences immédiates" (transcription au mot pour mot).
En disant :"les Français croient et ont raison de croire" il confirme implicitement qu’il le sait bien, lui, que sa politique est faite pour quelques-uns et pas pour tous, et il nous dit aussi en même temps qu’il découvre que les Français le savent aussi. Mais remarquons qu’il n’a pas dit : je vais donc changer de politique, je vais faire plus de justice sociale. Non, il a dit "je dois en tirer les conséquences immédiates". Chacun pourra vérifier qu’à chaque fois qu’il a reconnu avoir fait une erreur, ce n’était pas à une erreur de politique qu’il faisait allusion mais à une erreur de communication. Il n’a pris aucun engagement politique sinon celui implicite de changer de discours, d’expliquer mieux et davantage.
Parmi les erreurs de communication, il y a eu ce qu’on a appelé les couacs. Ces couacs s’expliquent par le fait que Sarkozy décide de tout : il prend, a-t-il dit, une décision toutes les 10 minutes. Parfois une équipe est en train de plancher sur un projet alors que la décision a déjà été prise par lui. Quel chef d’entreprise, quel directeur de labo, quel dirigeant d’équipe agit ainsi ? Personne ! A la tête d’une équipe il faut un leader capable de coordonner les individus et déléguer les tâches vers un but connu et accepté de tous. Or le talent extraordinaire d’avocat de Nicolas Sarkozy a toujours été mis au service unique de la cause du candidat Sarkozy pour conquérir le pouvoir. Il est habitué à ne faire confiance à personne, lui qui sait trop bien ce que trahir veut dire. Pour défendre sa propre cause, il n’y a en effet qu’une seule personne qui puisse décider, c’est lui-même.
Parmi les autres erreurs reconnues par lui, il faut également comptabiliser tous ces projets annoncés à grand tapage et abandonnés devant les mécontentements sectoriels. Nicolas Sarkozy est l’inventeur du jeu des « chaises musicales » en politique, qui consiste à procurer aux uns ce que l’on retire aux autres, à l’instar du RSA au détriment de la prime pour l’emploi, si ce n’est de prendre à tous pour donner à quelques-uns, tel ce projet des heures supplémentaires défiscalisées ou du bouclier fiscal. Le fin du fin étant de provoquer subtilement des dégâts collatéraux dans la protection sociale, comme par exemple ce projet de permettre le cumul d’une retraite et d’un salaire et susceptible de pourrir les mécanismes de la retraite par répartition. Ces dégâts collatéraux, coups de canif dans nos institutions, c’est évidemment le cap que le parti de la presse et de l’argent a donné à Sarkozy et qu’ils appellent « la Rupture » et qu’Alain Badiou désigne dans son ouvrage Ce dont Sarkozy est le nom (1).
Pour en revenir à ce projet de discrimination positive, il y a quelque chose de choquant, dans le temps où l’on réduit implacablement les effectifs dans l’administration, à réserver 10 000 postes aux enfants de harkis et par ce fait, à instituer inopportunément une discrimination positive à grande échelle en France. D’une part, parce que le concept de discrimination positive est un miroir aux alouettes, un concept aussi pervers que démago qui jette la suspicion sur les bénéficiaires, que le projet aboutisse ou finisse à la corbeille, les enfants de harkis risquent d’être bien déçus. D’autre part, les discriminations, fussent-elles positives, fondent nécessairement des inégalités en même temps qu’elles donnent bonne conscience aux plus puissants. Enfin, parce que la discrimination positive, parce qu’elle s’oppose à l’équité, peut devenir rapidement un poison pour la démocratie.
Cette façon de faire de la politique qui consiste à prendre aux uns pour donner aux autres au détriment de nos règles et valeurs, cette alternative qu’il nous impose d’avoir à choisir entre faire obstacle à un projet humaniste dont on craint les effets pervers ou accepter l’enfoncement de ce coin dans la justice sociale confirme une fois de plus que le chef de l’Etat continue délibérément de diviser pour régner et que ce faisant il sert les intérêts des puissants en même temps qu’il sape inexorablement les fondements de la République.
(1) « La "rupture", c’est quoi ? Le démantèlement des acquis sociaux, le fait que les riches paient moins d’impôts, qu’on privatise de façon rampante l’université, qu’on donne les coudées franches aux affairistes. Cette façon de déguiser une soumission au capitalisme mondialisé en révolution nationale relève en soi du "pétainisme", au sens formel. » (Alain Badiou)