Note toubib or not toubib ?
par la fourmi
mardi 4 mars 2008
Des notes ! Rien de plus rassurant. Après les hôpitaux, les villes, voilà les médecins qui se profilent à l’horizon. La société (française comme son nom ne l’indique pas) D&E Investments investit (financièrement) dans l’éthique et la déontologie.
L’idée est séduisante, plutôt du côté des clients/patients. Mais au travers d’une polémique naissante, ce sont des questions plus profondes qui sont soulevées. Je pense par exemple à Ivan Illich qui disait, en 1998, que le facteur pathogène prédominant est devenu celui de la recherche de la santé parfaite.
Bientôt un site pour noter son médecin ? [1] Après les professeurs, les médecins.
C’est ce qu’on peut lire sur le site de santé professionnel egora.fr :
" La société D&E Investments qui s’est donné pour mission de développer des sites internet destinés à favoriser la communication entre les internautes, dans le respect de la déontologie et de l’éthique, a annoncé la mise en ligne, le 15 mars 2008, du site www.note2bib.com.
À l’image du site www.note2be.com,
qui propose aux élèves de noter leurs enseignants, le site « note2bib »
se propose d’être « un observatoire de la relation humaine dans le
domaine de la santé, un lieu d’échange entre les patients, un
instrument d’alerte également afin de réduire les risques de nouveaux
drames mis en lumière bien trop tardivement » .
Pour Jean-Claude Fargialla, directeur de la publication de D&E Investments et Nicolas Herson-Macarel, directeur de la rédaction, les patients attendent notamment de leur médecin une qualité d’écoute, des explications précises et simplement formulées, une certaine disponibilité et un profond respect de leur personne sur le plan moral et physique.
« C’est hélas loin d’être le cas avec tous les professionnels de santé. Et qu’en est-il alors de la conspiration du silence qui couvre les mauvais au détriment des meilleurs ? Elle jette des hommes et des femmes en position de faiblesse dans les cabinets de mandarins, de notables, d’intouchables praticiens qui les traitent comme une sorte de marchandise sans connaissances et donc sans droit », écrivent-ils.
Le ton est donné. Et déjà les réactions offusquées se font jour comme cela a été le cas pour les professeurs. Avec les suites que l’on connaît. Le Tribunal des référés a ordonné, ce jour, la suspension de toute donnée nominative sur le site de notation des professeurs, et la Commission nationale de l’informatique et des liberté (Cnil) saisie de plusieurs centaines de plaintes rendra publiques les suites données à cette affaire jeudi 6 mars." Source
La société D&E Investments dit vouloir "développer des nouveaux concepts de relations humaines qui viendront enrichir son offre de services, avec l’ambition constante d’une déontologie et d’une éthique irréprochables."
Améliorer la relation médecin-patient est louable, mais lorsqu’on mêle des intérêts financiers à la question (la société D&E Investments a-t-elle vocation philanthropique ?) vers quels types de débordements risque-t-on de se diriger ?
- Vendre de l’éthique médicale (c’est un nouveau concept commercial effectivement : l’objectif
commercial de la société est doublé d’une véritable ambition en matière
de déontologie et d’éthique, comme son nom l’indique clairement,
nous disent ses auteurs). Est-ce éthiquement acceptable ? Il existe
déjà des sites qui ont cette vocation, mais dans une optique citoyenne
comme AgoraVox.
- Ce qu’on accepterait volontiers d’associations de patients est-il
acceptable de la part de tiers non concernés par le problème ?
- La
marchandisation de la santé est-elle une évolution souhaitable ? La
relation dans ce domaine ne peut pas être une relation - a priori -
commerciale, mais dans les faits l’influence de l’industrie
pharmaceutique sur les médecins existe déjà.
- Réduire les
problèmes de santé à la relation médecin-patient, même si c’est
essentiel, est certainement très réducteur, car les médecins et les
patients sont aussi tributaires des choix de la société, des modèles
culturels (internet...), des orientations de la médecine (basée sur des
preuves), des choix de politiques de santé, etc.
Ce type de communication, par internet interposé, pose aussi une autre question plus fondamentale. Notre société (de l’information et de la communication) est-elle donc devenue incapable de communiquer au travers de la relation humaine ?
Ceci étant chacun d’entre nous souhaite être soigné par le meilleur des médecins... dans tous les domaines. Pouvoir choisir son médecin en fonction de ses compétences (qualités) humaines fait partie des facteurs de réussite du traitement. Or, la formation médicale, en faisant l’impasse sur les connaissances apportées par les sciences humaines, oriente vers une vision médicale scientiste, source de conflits ou d’incompréhension potentiels.
Il ne faudrait pas oublier que les médecins - n’en sont pas moins des hommes comme les autres - souffrent eux-mêmes de leurs difficultés à faire face aux attentes légitimes de leurs patients par manque de formation dans ce domaine.
Noter les patients serait donc tout aussi intéressant, parce qu’eux-mêmes peuvent manquer de compréhension.
[1] Pour en savoir un peu plus : le Dr Dupagne a interviewé les auteurs du futur site.