Nous avons abusé de Cantona
par easy
mercredi 8 décembre 2010
Eric Cantona n’aurait pas fait de retrait d’argent spectaculaire et de toutes manières, pas grand monde n’aura joué au bank run, pas même ceux qui avaient promis de le faire Mais ce flop va avoir un coût à payer.
Qui va en assumer la charge, sera-t-elle partagée ?
Dans "Cantona contre les géants", je disais qu’il était bien possible qu’il y ait un grand écart entre ce que Cantona a dans la tête et nos spéculations enthousiastes sur sa détermination à conduire une révolte contre les banques.
La réponse qu’il a fait donner mardi 7 décembre au journaliste qui l’avait cherché sur les lieux de son tournage, va assez exactement dans le sens que j’avais proposé, à savoir que nous lui en avons beaucoup trop fait dire.
Primo, l’idée du bank run, j’en suis convaincu, traînait déjà sur le Web depuis un moment, 2008 même (bien qu’aucun d’entre vous ne m’ait confirmé ce fait). Secundo, Cantona, dans une réunion n’ayant rien de formel, en avait seulement répété le principe, sans poser de date, sans dire qu’il allait y participer.
Mais voilà, c’était une star qui avait dit voire conseillé de faire ce bank run.
Whaouuuuh, enfin une star reprend cette idée qui était dans l’air mais ne prenait jamais forme. Alors on a buzzé dessus. Et c’est après la médiatisation faite autour de cette vidéo (à partir de laquelle on lui donnera carrément du Eric le rouge), qu’un groupe a posé la date du 7 décembre. C’est nous (comprenons ce "nous" au sens large des responsabilités, si vous le voulez bien) qui avons relié le nom de Cantona à cette opération enfin datée. C’est nous qui avons manipulé cette vidéo, qui avons allongé sa sauce pour transformer Cantona en meneur de mouvement de révolte populaire.
Là dessus, buzz et psittacisme faisant, tous les médias officiels ont repris en coeur "Cantona lance le bank run"
Cantona, Cantona, Cantona président ! Carrément.
On veut bien faire la Révolution mais il nous faut un Bové en tête sinon ouille ouille ouille, on a la trouille ouille ouille.
Cantona il est costaud, il est puissant, il est populaire, il fait un bon preneur de coups en première ligne, alors Cantona président.
Bin oui, ça ressemble beaucoup aux cris qui avaient soutenus un certain Nicolas qui avait promis de casser du méchant à notre place. Ah ! qu’on les aime ces hommes qui semblent pouvoir tenir tête aux grands méchants.
Mais voilà, on le voit en cette fin de bank run avorté, Cantona n’en demandait pas tant. Il n’avait pas spécialement envie de devenir notre leader syndical courageux. Il a ses marrons et de beaux marrons à tirer du jeu actuel, aussi pourri soit-il. Et puis il n’est pas de calibre suffisant pour affronter les rhétoriques de Minc ou de Lagarde, d’aucun leader d’opinion en fait. Il n’est pas formé pour tenir des meetings. Même Patrick Sébastien, pourtant rodé aux micros et aux médias n’a pas tenu la moitié d’un round.
Face aux dénigrements et réprobations des ténors de la politique, Cantona s’est écrasé, a disparu de la circulation, faisant mine de ne plus rien entendre, bottant en touche quand un journaliste tentait de recueillir ses réponses. Il n’est pas taillé pour répondre à Lagarde et il le sait. Il faudrait au moins que quelqu’un lui prépare un discours consistant et apparemment, il n’a pas ça en magasin.
Nous aussi nous le savions qu’il ne fairait pas le poids face aux critiques des politiques. Mais nous avons feint ne pas le savoir. Nous avons abusé, nettement abusé de lui.
Par chance, dans ce premier temps (car le principe d’une bouderie des banques n’est évidemment pas mort pour autant) il ne s’est rien passé de grave. Il n’y a aucun risque que Cantona se prenne un procès de la part de qui que ce soit. Mais si ce bank run avait un peu marché, s’il y avait eu une tite panique dégénérant en plus grande panique, plif plaf plof, il en aurait pris des coups, de toutes part. P’tet même de la part de certains bank runners qui auraient glissé sur une plaque de verglas en allant tirer leurs 700 €. Et il se serait retrouvé seul pour les encaisser.
Il ne s’est donc rien passé. Mais les acrobates de la politique et de l’économie ne vont pas manquer de railler le coup foiré. Les medias aussi vont se moquer de la déculottée. En attendant la prochaine opération, il va y avoir des tombereaux de moqueries à encaisser. Qui va les encaisser ? Bin Cantona puisque c’est le seul nom cité jusque là.
Cantona, Cantona, Cantona au vestiaire !
Je crois que ce ne sera pas juste qu’il se retrouve seul à se prendre des oeufs pourris. Je crois que tous ceux qui ont dealé ce bank run devraient se poser devant Cantona en demandant d’assumer la part de raillerie qui leur reviennent.
Et puis il y a ceux qui ont réellement bank runné pour des prunes (encore que ça leur a fait un entraînement pas forcément perdu). Ceux-là qui pensaient être au moins 30 000 et qui se retrouvent 30, sont aussi les cocus, les abusés de l’aventure. Eux aussi devraient être entourés par ceux qui avaient promis d’agir mais n’ont finalement rien fait.
Si nous ne sommes pas capable de payer ces petits frais, si nous ne sommes pas capables d’encaisser ces petites railleries, si nous allons déjà à nous défausser en cépamoi ou en jisuipourien, nous ne sommes pas prêts à faire la vraie révolution.
Une authentique révolution exige de ceux qui veulent la faire de savoir d’abord en payer personnellement le prix.