Ordinateurs de vote : résultats vérifiables ou pas ?

par Chantal Enguehard
mercredi 4 avril 2007

Pour obtenir les résultats d’un scrutin, le président du bureau de vote appuie sur le bouton adéquat. La machine produit alors un ticket sur lequel sont indiqués les noms des candidats et le nombre de voix que chacun a obtenu.

Comme le procédé de vote est opaque, il est légitime de pouvoir vérifier la véracité des résultats, et c’est d’ailleurs ce qu’a retenu le ministère de l’Intérieur dans la liste des « principes à respecter » ; les ordinateurs de vote (qu’il appelle machines à voter1) doivent avoir un « caractère vérifiable : les résultats du vote peuvent être vérifiés après le dépouillement du scrutin. »

Les dispositifs de vote homologués en France sont donc censés satisfaire ce caractère vérifiable. En y regardant de plus près, rien n’est moins sûr.

Pour obtenir un dépouillement des votes, le président du bureau de vote appuie sur le bouton adéquat et la machine produit un ticket sur lequel sont inscrits les noms des candidats et le nombre de voix que chacun a obtenu.

Est-il possible de vérifier ces résultats ?

Deux procédés de vérification sont évoqués par les promoteurs du vote électronique.

Premier procédé : le président du bureau de vote demande un nouveau dépouillement à la machine. Il obtient un nouveau ticket avec les noms des candidats et les nombres de voix obtenus. Le procédé pour faire le nouveau décompte étant tout aussi opaque que le premier (c’est le même), ce nouveau ticket ne peut servir à vérifier quoi que ce soit.

Deuxième procédé, évoqué notamment par les promoteurs d’iVotronic : la machine imprime la liste des votes : un vote par ligne. Première possibilité : les votes sont présentés dans l’ordre dans lequel ils ont été enregistrés par les électeurs. Par exemple, si j’ai été la vingtième personne à voter, je peux vérifier à la ligne 20 que mon vote est bien écrit, inchangé. Si les votes sont présentés dans l’ordre, c’est grave car il est alors possible de relier chaque électeur à son vote et l’anonymat de rigueur dans tout scrutin démocratique serait bafoué. En effet, il serait facile à un membre du bureau de vote de noter consciencieusement les identités des électeurs au fur et à mesure de leur passage devant l’ordinateur de vote, et de violer ainsi le secret du vote. Deuxième possibilité, les votes ne sont pas présentés dans l’ordre dans cette liste. Alors, il est impossible de vérifier quoi que ce soit : il suffit que la liste présente au moins une fois chaque choix pour que je sois certaine d’y trouver celui que j’ai fait.

Je détaille cette idée qui semble échapper à certains. Plaçons-nous dans le cas simple d’un référendum avec 100 personnes ayant voté, 60 ont choisi le « oui » et 40 le « non ». Imaginons maintenant que les résultats donnent la victoire au « non » avec 55 voix contre 45 pour le « oui ». La liste des votes imprimée pour vérification présente effectivement 100 lignes avec 55 « non » et 45 « oui ». Chacun des électeurs, en allant consulter cette liste, verra figurer son choix, qu’il ait voté « oui » ou « non ». Pour se rendre compte de la supercherie, il faudrait que l’un des électeurs aille demander aux 99 autres ce qu’ils ont voté, et que les autres acceptent de lui répondre et lui répondent honnêtement. Il ne s’agit manifestement pas d’une méthode de vérification fiable !

Alors que penser quand un ingénieur commercial de la société Datamatique nous explique qu’il sera possible d’effectuer un comptage manuel grâce à une liste de la totalité des votes enregistrés dans la journée (à partir de la quatrième minute) ?

Que penser quand le directeur des nouvelles technologies d’Issy-les-Moulineaux affirme : "De plus, il est faux de dire que le décompte des voix est impossible, puisque nous pouvons avoir accès à la liste des votes." (La Gazette des communes, 5 mars 2007, p.32-33) ?

Que penser quand le premier maire-adjoint d’Issy-les-Moulineaux affirme "pour un éventuel recomptage, un fichier est disponible pour une vérification manuelle."  ?

Que penser quand un haut responsable du ministère de l’Intérieur affirme qu’il n’y a jamais eu un résultat anormal ?

Qu’est-ce qu’un résultat anormal ? Il est évident que si des votes sont détournés, ils le seront dans une proportion faible afin que le résultat ne soit pas trop suspect.

Pour mémoire, en 2002, Le Pen a battu Jospin de 200 000 voix, soit 0,5 %. L’an dernier en Italie, Prodi l’a emporté sur Berlusconi avec moins de 30 000 voix de différence. On voit que détourner seulement 1% des votes peut suffire à changer beaucoup l’issue d’un scrutin.

Est-il raisonnable d’évaluer la sincérité des élections présidentielles à l’aide du bien connu pifomètre, instrument sans égal pour décider si un résultat est anormal ou pas ?

Je vous laisse vous faire votre opinion sur cette question importante. Je ne vous demande pas de me croire ou de me faire confiance. Soit vous pensez qu’il s’agit de bonnes méthodes pour vérifier que les résultats fournis par la machine sont justes (dans ce cas, merci de m’expliquer ce que je ne parviens pas à comprendre), soit vous pensez qu’il n’est pas possible de procéder à une quelconque vérification. Dans ce cas, on peut se demander comment de tels dispositifs ont pu être certifiés.

 

1Le terme de "machines à voter" a été introduit dans le code électoral en 1969, époque où il ne s’agissait pas d’informatique. Il n’est plus approprié aux ordinateurs actuellement utilisés.



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