Orelsan est un mec bien

par Ostynka
vendredi 3 avril 2009

L’affaire Orelsan est moins anodine qu’il n’y paraît. Et ses conséquences potentielles sont d’une gravité extrême, qui devrait inquiéter l’ensemble des acteurs du monde culturel.
La confusion généralisée entre critique artistique, phénomène sociologique et portée éthique est symptomatique d’une société crispée et embarassée par ses idéaux. Quelle que soit la qualité réelle ou supposée de la création (pour ne pas dire "oeuvre") d’Orelsan, il convient de ne pas se méprendre et de reconnaitre, quand il le faut, une activité humaine ancestrale : s’oublier, se dissoudre et se faire miroir de maux collectifs plus profonds.

Je n’ai jamais été fan du rap français contemporain, je suis de ceux qui regrettent la grande époque de NTM et d’IAM, cette prise de conscience massive de l’existence des banlieues. Je me considère néanmoins comme un mélomane : j’aime autant la musique baroque que la musique concrète, le bruitisme japonais, l’indie rock, le post punk, le rock indus, etc. J’adore les clips aussi : les naïfs, les violents, les comiques, les tragiques. De là à prétendre à une expertise... Mais parfois, il FAUT s’exprimer.

Sur le plan artistique, je trouve la musique d’Orelsan un peu trop "boîte-à-rythmique" et ses textes manquent encore un peu de profondeur, c’est trop jeune, trop "gamin". Le clip de "Sale P*te" est à mes yeux pathétique, mais pas pour les raisons souvent avancées.


On y voit un jeune homme un peu paumé et frustré, qui tourne des vidéos dans sa piaule chez ses parents, et en proie à la colère face à une copine sans charme particulier. Il boit du whisky de mauvaise qualité en tapant sur un PC qui a des allures de tondeuse à gazon. Oui, Orelsan est attendrissant. Le genre de mec qui ne ferait pas de mal à une mouche comme on dit. Un mec qui exorcise ses démons par la catharsis.

En créant, en produisant de la culture, il noie dans l’œuf sa violente pulsion de destruction de l’autre. Nous avons tous des pulsions violentes. Si tout le monde s’adonnait à la catharsis et savait reconnaître celui qui la pratique, on ne s’en porterait que mieux. On dirait alors simplement à Orelsan : "t’en fais pas, t’en recontreras d’autres, en vieillisant tu t’y prendras mieux avec les femmes, tu es un peu "maladroit" pour l’instant, etc".

Ce qui est nettement moins attendrissant, c’est la démesure des réactions féministes et de ceux qui se sentent obligés de les suivre. On se croirait dans une société incapable d’ironie, de distance critique, d’empathie. On commence par censurer Orelsan, puis il faut entamer un autodafé d’envergure industrielle : Céline, Sade, Bataille, Sollers, Houellebecq, Baudelaire, Catherine Millet, Maupassant (ce Bel-Ami, quel salaud !), Molière ? (quel fasciste ce Don Juan !). Tous les écrits pornographiques aussi. Il va bien falloir un millier de fonctionnaires pour recenser les œuvres cathartiques. Combien ça va coûter aux contribuables, ça encore ?

Car, au fond, que fait Orelsan ? Il essaie d’enfiler le costume du gangster maquereau armé d’un gros Magnum et roulant en Hummer. Pourquoi ? Il veut plaire, il veut connaitre le sentiment amoureux. Il veut séduire la frange de la population féminine qui aime les vieux canons de la virilité : agressivité, musculature, argent, rolex. Oui, des femmes comme ça, il y en a. Pas trop mon genre mais ce n’est pas le problème. Certaines le sont en connaissance de cause et assument ne pas aimer le genre métrosexuel urbain. D’autres, il est vrai, sont aliénées et souffrent d’un imaginaire tout empreint des stigmates de la domination masculine.

C’est que nous luttons tous avec nos composantes féminines et masculines. On les assume plus ou moins bien. Le masculin dominant est guerrier, agressif, violeur, maquereau, fascisant. Le féminin dominant est psychorigide, embarrassé par son rôle dans la fonction reproductrice, empathique jusqu’à l’inquisition, consensuel jusqu’à l’extrême. On a tous en nous, hommes comme femmes, ces atomes qui vibrent et qui s’agitent. Nous les maîtrisons plus ou moins bien. Une chose est sûre : la modération passe par la reconnaissance de ces pulsions profondes. La catharsis est l’un des moyens à notre disposition. Ne l’oublions pas.

Enfin, rappelons que la domination féminine n’est pas plus souhaitable que la domination masculine. C’est juste que nous ne savons pas encore la reconnaître quand elle tend à l’hégémonie. Soyons plus attentifs à nos pulsions, catharsisons, mais ne cédons pas face à la censure.


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