Où est passée ma bravitude ?
par Zenon
mercredi 10 janvier 2007
Que laisserons-nous en héritage ? Certaines époques léguèrent des révoltes, d’autres des guerres... Nos océans s’élèvent et notre impuissance est totale.
Et fleurissent les discours de rupture, de bouleversement, de changement radical dans la façon de mener l’action politique. C’est de saison. Les chasseurs de voix, ces faux réformateurs, vrais produits de notre machine à élites, nous invitent à dépasser ce modèle politique qui montre son impuissance. Certains stigmatisent les derniers jours de notre Veme, tout en gravissant des murailles lointaines. D’autres prophétisent l’Apocalypse écologique devant des journalistes ravis. Je vous propose de faire le point, tentons cet exercice périlleux : que laisserons-nous en héritage ? Que transmettra cette époque aux générations futures ?
Notre mode de représentation politique est une impasse qui ne satisfait plus ni électeurs, ni élus. La mondialisation n’en finit plus de prendre le visage d’une guerre économique permanente pour la maîtrise des dernières réserves énergétiques. L’absence totale de projet de société est consternante. En moi le malaise grandit. Et l’absence de réponse à ces questions muettes ne cesse de creuser le nid du renoncement. A quoi bon ? Votons blanc... Ne les croyons plus, ils nous mentent, ou ne savent que créer des illusions alléchantes pour à chaque fois... ne rien changer. Eux, bien sûr, ce sont nos chers politiques, nos élus, ces égaux que l’on porte au firmament année après année. Notre époque aura sonné le glas d’une forme de représentation politique, et d’un système politique : l’Etat-nation. Pour les défis locaux ou mondiaux, il ne sait pas comment réagir. Il n’a pas été créé pour cela. La construction européenne était une tentative de réponse à ce déclin. L’est-elle encore ? L’Europe voulait peser sur le destin du monde, proposer un autre modèle... mais elle ne parvient pas à se définir. Peser, influencer le monde, le vingtième siècle en a rêvé, créant les pires monstres et les plus beaux rêves... Souvenez vous du pacte Briand-Kellog qui déclarait la guerre hors-la-loi. On dit qu’un protocole de Kyoto voulait sauver le monde du réchauffement climatique. Oui, nous eûmes des politiques poètes. Un vent a soufflé dans nos esprits, nous reste une sévère gueule de bois.
Nous, individus de pays "développés", industrialisés à outrance, éduqués et intégrés. Nous, résultats de plus de 2500 d’histoire et de luttes, de sacrifices et de défis relevés. Nous, enfants des révoltés de 1789, enfants de résistants, enfants de la République. Nous fûmes ces "enfants d’un même espoir" ; qu’est-il devenu, ce rêve qui nous portait à prendre les armes, à mourir et à triompher ? Disparu, oublié, et chacun se retrouve seul et sans but sur une planète dévastée. Impuissant devant cette folie grandissante.
Nous achevons de rendre cette planète invivable, nous laissons des régions entières du globe sombrer dans la guerre civile et la misère, l’arsenal nucléaire se développe. Autant de défis insolubles. Autant de menaces grandissantes.
C’est une impuissance que je nous vois léguer aux générations futures. Impuissance de tous les acteurs. Les Etats, concurrents, ne peuvent relever ces défis ; les firmes n’ont pas de raison de le faire, les organisations internationales n’ont aucun pouvoir, les citoyens que nous sommes ne peuvent que constater. Nous témoignerons de nos limites. La FIFA aurait le budget de l’Etat français, je ne vous ferai pas le couplet sur le pain et les jeux, sur l’autohypnose de peuples entiers occupés à oublier leur misère ou leur vacuité devant le petit écran. Non, ce serait trop facile, trop intello... Au moins cela prouve que les réflexes chauvins peuvent être canalisés. Mais parfois, juste un instant, je me plais à imaginer tout cet argent, tous ces moyens, ce que nous pourrions en faire, au lieu de les regarder mis en jeux... La planète se meurt, nous regardons la télévision. Ou, pour faire moins grandiloquent, notre habitat se dégrade et nous restons avachis dans le canapé.
L’Occident diffuse son mode d’existence, et le monde devient une machine dont nul n’a plus les commandes ; il est automatisé, notre société de consommation mondiale s’organise pour le dernier acte : l’épuisement des ressources pour la jouissance matérielle, individuelle et éphémère.
Qui est le véritable acteur de cette folie ? Si nous cherchons un responsable, nous trouvons un miroir. Chacun de nous, par ses actions quotidiennes, son trajet en voiture, son réfrigérateur, son envie d’économie sur les produits agro-alimentaires, ses voyages... Chacune de nos actions est le fruit d’un processus que nous validons et que nous poursuivons. Par toutes ces actions nous nous asservissons, un moment consommateur-roi, un autre salarié-serviteur. Je suis maître et esclave de mon quotidien. Au moins je commence à trier mes déchets...
Vous me direz, à raison : que puis-je changer ? Je n’ai pas les moyens de manger bio, je dois prendre ma voiture pour nourrir les miens, eh oui, payer un pull fabriqué en Chine revient tellement moins cher que je peux habiller tout mes enfants de neuf.
C’est cette impuissance si caractéristique de notre époque que je souhaite souligner par ce propos un peu touffu et décousu. Nous avons intégré l’impossibilité de tout changement radical de société, de mode de vie. A force de trop réfléchir pour comprendre comment nous en sommes arrivés là, nous nous retrouvons collectivement et individuellement prisonniers. Fascinés par notre propre déclin. Croulant sous le souvenir de nos échecs.
Avons-nous un choix ? Pouvons-nous changer ? Aurons-nous la force de vouloir changer ? Car pour survivre à ce siècle, nos sociétés, nos comportements doivent muter. L’humanité a toujours su évoluer, dépasser ses propres limites pour survivre et croître. Désormais, nous sommes notre propre menace. Saurons-nous survivre à notre propre espèce ? Je nous le souhaite, la foi en l’humanité est aujourd’hui ma seule source de réconfort. Je me sens orphelin de tous ces rêves morts, de toutes ces volontés de changement disparues. Je me sens vide de cet espoir qui animait nos aïeux, l’espoir qu’un avenir meilleur était possible pour les siens, qu’il nous suffisait de le vouloir et de se battre pour lui. Le feu s’est éteint, les cendres se dispersent, je veux me souvenir. Nous fûmes une communauté de valeurs, nous fûmes des combattants, nous sommes des témoins impuissants.
Pardon, je finis sur une aporie, mais comment faire autrement, comment faire autrement ?