Plaidoyer pour l’enseignement non tardif de la philosophie critique

par ilias
jeudi 15 mai 2008

Il me semble que la philosophie est une matière fondamentale tout comme les mathématiques, les sciences physiques et chimiques, l’histoire et la géographie ainsi que les langues ; elle doit être enseignée dès la classe de 6e des collèges.

Beaucoup de nos concitoyens se disent alarmés par le degré de nuisance du conditionnement médiatique sur des esprits juvéniles crédules et des adultes adeptes du vide narcissique paradoxalement grégaire et contagieux, fondamentalement hostiles à toute posture de questionnement critique.

Et ce n’est pas pour rien que des politicards démagogues ainsi que des chefs de sectes fleurissent en ce seuil du 3e millénaire marqué par l’emblème des NTIC et des nanotechnologies.

La philosophie dont je parle n’est pas la philosophie spéculative ou logomachique, comme l’est par exemple la métaphysique ou la théorie de la déconstruction des récits et plus généralement de la production des signes (chef de file Derrida, surtout).

La philosophie, je la conçois comme l’exercice de la posture critique questionnante sur toutes choses, mais en rapport avec un réalisme de rationalité. En fait, tout être doué de raison, en faisant abstraction de son niveau d’instruction, peut potentiellement penser philosophiquement. Dès qu’il y a confrontation entre une problématique à élucider et un cerveau usant avec stratégie et pertinemment d’un stock de connaissances, il y a philosophie. Les Anciens ne se sont pas trompés en appelant les découvreurs dans ce qu’on appelle aujourd’hui les sciences naturelles et de l’homme : les philosophes de la matière, les philosophes du vivant, les philosophes de la logique et des mathématiques, les philosophes de l’histoire, les philosophes de la grammaire et de la langue, etc.

Ce qui a égaré la philosophie dès le XXe siècle jusqu’à aujourd’hui, c’est bien la résurrection, par un reformatage nihiliste, de la mode sophistique des anciens hellènes. Je veux indiquer par-là la promotion inouïe de l’herméneutique "philosophique", et à sa suite la sacralisation de l’interprétation, à tout bout de champ, qui ne mène nulle part, si ce n’est à de la superficialité d’une certaine métaphysique logomachique.

Socrate et Platon, tout comme Aristote, étaient déjà avertis des travers de la réflexion dans le vide des sophistes de leur époque.

La philosophie, ce n’est pas la mystique et ce n’est pas de la critique littéraire la plus illimitée soit-elle ou la philologie, même celle adossée à la production des partisans de la "déconstruction".

Il faut préciser aussi que cette mode est opportuniste, en ce sens que le monde depuis le XXe siècle arbore l’"évaporation" du temps, le consumérisme à production de besoins virtuels, des rapports à l’altérité qui se limitent à l’hédonisme cru ; tous facteurs qui promeuvent la recherche de l’intensité de l’égocentrisme et de la vie de l’instant ; "après moi, le déluge". Le nihilisme contemporain n’est qu’un avatar de cette nouvelle forme de vie.

La schizophrénie se caractérise principalement par le dédoublement de la personnalité de la personne qui en est atteinte. Etymologiquement, philosophie est tiré du mot filosofia, signifiant littéralement l’amour de la sagesse. L’amour est un affect, donc une disposition personnelle bien réelle d’une forme de sympathie relationnelle forte (pouvant dans la relation de couple mâle-femelle être assise sur l’aphrodisiaque). La sagesse est dans sa véritable nature un état de conscience personnelle quant à l’appréhension et la relation aux choses et à autrui. Cette "relationnalité" bien réelle de l’amour et de la sagesse implique (ou même requiert) des règles (larges) de conduite de la personne humaine vis-à-vis de l’altérité (individu, groupe, communauté, etc.). La philosophie n’est pas de la spéculation pour la spéculation, elle est l’antidote de la fatuité, le rabâchage dans le vide et "le tourner en rond de l’esprit". Toute véritable philosophie agit sur le déploiement critique de la conscience, donc du comportement visible bien réel de l’individu vers plus d’élévation du niveau de conscience en rapport avec une compréhension bienveillante du genre humain. L’herméneutique et, à sa suite, la posture déconstructionniste s’apparentent beaucoup plus à la schizophrénie qu’à la philosophie.

Il me semble que la philosophie soit une forme de déploiement particulier de la pensée. Particulier en ce sens qu’on peut, à première vue, distinguer cinq formes (ou peut-être, faudrait-il dire cinq postures) génériques de pensée :

1.] La pensée commune utilitaire de tous les jours qui donne aussi l’intelligence pratique, "la metis des Grecs", comme celle de l’artisan ou du simple technicien inventif dépourvu d’un bagage scientifique.

2.] La pensée scientifique et scientifico-technique ou technico-scientifique, qui use de la formalisation, du calcul avancé et des principes de la rationalité

3.] La pensée artistique qui est une pensée de l’intuition et du sentiment.

4.] La pensée mystique véritable qui est une non-pensée, par le fait de l’amour du transcendant, ou du moins une identification non égocentrique au transcendant ou à l’appel du transcendant

5.] La pensée philosophique qui, tout en étant une pensée, est aussi en quelque sorte une non-pensée, une pensée sur la pensée comme sur la non-pensée. Elle est aussi une réflexion sur de probables fondations transversales aux cinq formes de pensée.

L’exercice de ces formes de pensée ne sont pas étanches les unes par rapport aux autres, et l’être humain capable (dans le sens de capacités cognitives requises) en use dans son déploiement de tous les jours.

Il me semble que la créativité scientifique, technique et philosophique tout comme celle mystique et artistique, ne peut se dérouler sans qu’il y ait cette interpénétration de ces différentes postures de la pensée. Cette catalyse des différentes formes de déploiement de la pensée constitue, à mon sens, le véritable humus de la créativité et même de l’innovation quand elle est pratiquée avec animation téléologique de groupe.


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