Pourquoi la science ne nous parle pas ?

par nicolaskuhn
vendredi 29 juin 2007

Le comité d’éthique du CNRS (Comets) vient de publier un avis sur la diffusion des résultats de la recherche, recommandant au monde scientifique de s’interroger sur l’une de ses missions souvent négligée : faciliter l’appropriation des nouveaux savoirs par le grand public. En effet, bien que les résultats de la science, à travers l’exploitation qui en est faite par l’industrie, aient de plus en plus d’influence directe sur notre vie ; le débat sur les questions scientifiques reste trop souvent éloigné du domaine public. Mais cette apparente désaffection n’est-elle pas, justement, la conséquence d’une trop forte instrumentation de la science ? À trop servir l’industrie, n’aurait-elle pas perdu son âme ?...

Dans les pays occidentaux, les principales richesses créées au cours des dernières décennies découlent de l’activité scientifique et des résultats des laboratoires de recherche, fondamentale d’abord, appliquée ensuite. Les applications récentes qui ont modifié notre vie quotidienne comme internet, le téléphone portable ou le GPS, et la technicisation croissante de l’automobile, de l’aéronautique, des méthodes de production industrielle ou de la médecine ne sont possibles que grâce à une science performante. Pourtant, dans les grands médias, la vulgarisation des sciences tend à disparaître et l’attractivité de la carrière scientifique est au plus bas chez les jeunes générations.


Une part de la responsabilité revient sans doute aux chercheurs eux-mêmes, réticents à consacrer du temps pour des tâches de communication non directement mesurables. Plus grave, le mode d’évaluation actuel de la qualité d’un laboratoire, qui impose aux chercheurs de publier le plus souvent possible dans les revues prestigieuses utilisant la relecture par les pairs, pousse parfois les chercheurs à rendre publics des résultats non aboutis ou des recherches en cours. « Les chercheurs doivent s’interroger sur l’opportunité et la pertinence de la décision de communiquer leurs résultats », suggère ainsi le communiqué du Comets. Pour les éventuels vulgarisateurs, observateurs extérieurs aux laboratoires, de telles publications, guidées par l’urgence, peuvent parfois sembler absconses, voire totalement dénuées de sens. Il est tentant alors d’ironiser sur l’image du chercheur enfermé dans sa tour d’ivoire, concentré sur des travaux déconnectés de toute réalité et somme toute injustifiables ! Pourtant, il suffit souvent de s’intéresser aux objectifs à plus long terme d’un laboratoire, plutôt qu’à une publication ponctuelle pour trouver du sens à ces mêmes résultats.
Comprendre le monde n’est pas seulement une source de revenus !
Mais l’essentiel des freins à une réelle appropriation publique des savoirs scientifiques ne proviennent-ils pas surtout de l’évolution même de notre société et des valeurs qu’elle porte ? A l’époque des Lumières, les auteurs de l’Encyclopédie s’étaient donné pour objectif de faire reculer l’obscurantisme pour favoriser la naissance d’une forme de Raison publique, condition préalable à l’établissement d’une société démocratique. À partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle, dans le contexte de la révolution industrielle, la diffusion publique de la science a commencé à se rapprocher de la vulgarisation scientifique telle qu’on la connaît aujourd’hui. Progressivement, la publicisation de la science s’est déclinée sous formes d’ouvrages, d’expositions, d’articles dans la presse écrite, mais aussi dans les nouveaux médias, radio puis télévision. Le positivisme, puis les transformations radicales de notre mode de vie, conséquences directes des retombées de la science (électricité publique, automobile, télécommunications, médecine), ont sans doute entretenu l’image d’une science avant tout source de progrès, d’amélioration du bien-être, et de richesse. Dans un tel contexte, la culture scientifique et technique trouvait sa principale valorisation dans la possibilité qu’elle offrait, (et offre encore), de comprendre le nouveau monde industrialisé, et surtout de participer à l’élaboration des nouvelles richesses (l’ordinateur personnel, le e-commerce, le traitement des informations, la transformation du vivant, les nouvelles énergies, etc.).
Aurions-nous oublié que la démarche scientifique naît avant tout de la volonté, profondément humaine, de comprendre le monde qui nous entoure, avant même de chercher à en tirer de nouvelles richesses ? Le questionnement sans fin de l’enfant est là pour nous le rappeler. On n’a pas seulement besoin de prendre, de profiter de la nature ou des productions humaines, mais aussi de comprendre, de donner un sens à ce qui nous entoure, à nos actes, à nos vies... Malheureusement, on le voit bien, le financement des laboratoires est de plus en plus alimenté par des sources privées, et donc intéressées par des résultats à court ou moyen terme et pouvant trouver des débouchés et des applications industrielles. Dans leur budget annuel, les laboratoires, y compris les laboratoires universitaires, voient la part des fonds publics s’amenuiser d’année en année pour devenir minoritaires.
Chacun d’entre nous peut s’enthousiasmer pour le mystère du Big Bang, la naissance de la vie sur Terre ou l’évolution des premiers hommes. Chacun d’entre nous, sauf le comptable d’un groupe industriel appliqué à sa mission. Car, il faut l’avouer, la réponse à ces questions quasi existentielles ne trouvera probablement pas de débouchés industriels et personne ne pourra s’en servir pour prendre des parts de marché ou faire fructifier son investissement...
Que l’industrie investisse dans la recherche pour produire de nouvelles richesses, c’est légitime. En revanche, que la société laisse l’industrie prendre le contrôle de la recherche publique pour en faire une sorte de service de « recherche amont » me semble inacceptable. Car, là où la recherche appliquée n’a d’intérêt que pour le technophile averti ou l’ingénieur dans le cadre de son activité, la recherche fondamentale ou, disons, la recherche non appliquée, de plus en plus rare, nous intéresse potentiellement tous, et devrait être au coeur d’une sorte de service public du savoir.


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