Quelques propositions pour réformer une démocratie malade
par Eratosthène
samedi 16 octobre 2021
Notre démocratie est malade, et elle a besoin de véritables changements en profondeur.
1) Une abstention massive
Personne ne peut se contenter de l'abstention massive qu'il y a aux élections. Si l'abstention touchait de manière égale la population par sexe, âge, CPS, etc., ce serait déjà ennuyeux d'avoir un taux d'abstention, mais les résultats ne changeraient pas trop si tout le monde se déplaçait, donc ce ne serait pas si grave ; mais il a été montré que les classes populaires et les gens les moins instruits avaient tendance à moins se déplacer, ce qui fausse les résultats.
Il faut bien comprendre qu'aller voter est un acte irrationnel. Cela revient à consacrer du temps, voire de l'argent si je dois me déplacer en voiture pour aller voter, alors que la probabilité que ma voix change quelque chose est égale à zéro aux grandes élections (présidentielles, européennes, régionales), et extrêmement faibles ailleurs, sauf peut-être pour les élections municipales si on habite un hameau avec quelques dizaines d'habitants (mais là, les enjeux sont néanmoins assez faibles).
En Grèce antique, les citoyens pauves dépensant leur temps pour siéger à l'Ecclesia avaient droit à une rémunération, qui équivalait au revenu moyen d'un travailleur journalier. Cette rétribution avait été mise en place pour éviter que seulement les riches ne siégeassent, car eux seulement pouvaient se permettre de perdre une journée.
Il convient donc, non de rendre le vote obligatoire, mais de subventionner le déplacement au bureau de vote par une somme d'indemnisation, par exemple 10€, quii serait versée à tous ceux ayant fait l'effort de se déplacer au bureau de vote (même si la personne décide finalement de ne pas voter).
2) Des élus qui ne représentent personne
Le vote majoritaire à deux tours instauré aux élections législatives à de dramatiques conséquences, tout comme aux régionales les seuils de 10% et la prime majoritaire. Cela favorise, certes, des majorités relativement stables, mais à quel prix !
Cela :
-élimine les "petites" listes
-en créant une majorité, il incite la majorité à ne faire aucun effort pour discuter avec la minorité
-la minorité, même sur des projets qu'elle pourrait approuver, préfère trouver la petite bête pour refuser le vote, puisqu'elle sait que la majorité n'a pas besoin d'elle et que le texte rentrera en vigueur
-Avec un résultat global sensible à des petites variations, une poignée d'électeurs d'un vote à l'autre peuvent provoquer de gros basulements, et la majorité suivante détricotera en grande partie ce que la majorité précédente a faite ; il y a donc une insécurité législative importante
-cela favorise l'inflation législative : puisque la majorité est cohérente et unie et qu'elle n'a pas besoin de dialoguer et qu'elle sait en plus qu'elle peut être balayée aux prochaines élections en perdant une petite partie de son électorat, elle a intérêt à faire voter le plus de réformes possibles.
Par ailleurs cela ne favorise pas le vote, puisque l'électeur, voyant les sondages, voyant les différents seuils électoraux (par exemple 10% aux régionales), risque de considérer que le parti pour lequel il veut voter n'aura aucune chance d'atteindre ce seuil, ou même de gagner, et que la minorité dispose de 30% ou 45% des sièges ne change pas grand chose, et donc s'abstienne.
Cela favorise aussi le fait de voter "utile", comme on le voit aux élections régionales où le Rassemblement national fait souvent moins de voix au deuxième tour qu'au premier, puisque certains de ses électeurs doivent se rabattre au deuxième tour sur LR pour "barrer la route" à la gauche.
Le fait de ne pouvoir voter pour un seul candidat/ une seule liste élimine quasi-totalement toute possibilité de "dissidence" à l'intérieur d'un même parti (si un dissident se présente, il risque de ne faire aucune voix, même en étant apprécié), et creuse les rivalités entre des partis proches (e.g. deux partis proches vont passer leur temps à se taper dessus pendant la campagne pour se disputer les électeurs).
On peut aussi se retrouver avec une Assemblée nationale dont les opinions sont complètement opposées à celles du peuple qu'elle est censée représenter, comme avec le Traité Constitutionnel Européen.
Enfin, l'obligation de présenter des listes complètes aux municipales peut être compliqué.
3) Les propositions
Il convient donc de passer les élections à un seul tour, et de :
-autoriser la présentation de listes incomplètes ; si la liste a droit à 5 élus et qu'elle n'en a présenté que 4, tant pis pour elle, le cinquième siège est donné à quelqu'un d'autre, mais au moins elle a 4 sièges.
-favoriser au maximum le vote par approbation : le principe est simple, on vote pour plusieurs candidats, le candidat le plus approuvé est élu. Il n'y a besoin que d'un seul tour. L'électeur n'est donc plus obligé de choisir entre deux partis / idéologies proches, et il n'y a plus besoin d'accord d'appareil entre deux partis du style "je me présente ici, et toi tu te présentes là".
-suppression de tous les seuils de représentativité
-représentation proportionnelle intégrale au plus fort reste sans seuil : une liste fait 1% des voix, elle a 1% des sièges. C'est parfaitement cumulable avec le principe du vote par approbation : l'électeur a une voix, il peut répartir sa voix entre plusieurs partis ; s'il approuve trois partis, chaque parti a un tiers de voix.
On rétorquera que cela créée des cabinets instables, comme on l'a vu sous la Troisième République. Le scrutin proportionnel ne créée pas ipso facto des majorités instables : l'African National Congress a la majorité absolue des votes et des sièges, alors même que la méthode électorale en Afrique du Sud est proportionnelle. Cela dit, cela arrive ; il va de soi que cela doit être accompagné d'une mesure simple mais mettant fin aux problèmes : s'il n'y a pas de Premier ministre en exercice, soit le président le nomme, soit l'assemblée nationale l'élit. S'il y a un Premier ministre en exercice, l'Assemblée peut le remplacer, mais pas le destituer. Autrement dit, les partis anti premier ministre doivent proposer un candidat meilleur qui puisse récolter la majorité. Le problème est ainsi réglé et il n'y a plus aucune vacance ; en cas de décès, démission, si l'Assemblée nationale ne peut s'accorder, le Président peut nommer qui il veut, à charge pour l'Assemblée d'en trouver un mieux.
4) L'analyse du cas allemand
Certains peuvent craindre que multiplier les scrutins par liste, qui a un effet bénéfique sur la représentation de tous, puisse avoir un effet négatif, à savoir l'éloignement des élus du peuple, et les manoeuvres d'appareil pour favoriser des candidats qui en fait ne sont pas forcément appréciés par l'électorat.
Le cas allemand est à cet égard assez intéressant : l'électeur a deux voix, une voix pour la circonscription, une voix pour le scrutin de liste.
Au niveau de la circonscription : vote à un tour, le candidat qui obtient le plus de voix est élu
Au niveau du scrutin de liste : on calcule la répartition des sièges par la méthode de proportionnelle de Sainte-Lague. Si un parti a obtenu plus d'élus sur les circonscriptions qu'il devrait avoir par rapport au scrutin de liste, on ajoute des sièges surnuméraires aux autres partis pour garder la même représentation.
Ainsi, chaque circonscription est représentée par quelqu'un, un élu "proche" de la population, mais les petites listes sont également représentées par des élus au scrutin de liste, et on a une représentation proportionnelle au global, les députés "de circonscription" jouant le même rôle que les députés "de liste".