Quelques réflexions à propos de l’enseignement

par yralim
jeudi 4 octobre 2007

Je ne suis pas enseignant. Si je l’affirme d’emblée c’est pour couper court à toute accusation de parti pris. Je ne le suis pas, mais je connais bien le milieu enseignant et je connais bien les enfants. C’est pourquoi j’ai envie de dire que les enseignants rament à contre-courant d’une société qui ne les aide pas. Que le monde du zapping ne prépare pas les jeunes à entendre un enseignement qui veut faire appel à leur attention et à leur réflexion. Que le mal est grave et profond, et que ce ne sont pas des paroles de gribouille, moins de profs et moins d’heures de travail en classe qui y porteront remède.

Il est de bon ton par les temps qui courent de taper sur l’école, sur ses mauvais résultats sur son incapacité supposée ou étalée à enseigner, à permettre aux enfants d’acquérir les bases du savoir et surtout à les adapter aux exigences du monde actuel et en premier lieu de l’entreprise.

On entend dire qu’un tiers des écoliers ne savent pas lire à l’entrée en sixième, ce qui est peut-être exact, mais en tout cas jamais on n’a fourni à ma connaissance les sources de cette statistique. Les critiques s’adressent de façon non moins sévère au collège, au lycée et encore plus à l’université, lieu de tous les échecs...

Vrai ? Faux ? Il serait stupide de nier une part de vérité dans ces affirmations. Mais peut-être faut-il se pencher avec plus d’attention, que les médias et les politiques ne le font, sur ce problème. Sur ses causes et sur les remèdes qui pourraient y être apportés. J’ai bien peur que l’analyse qui en est faite ne parte que de considérations simplistes et d’une volonté idéologique destructrice comme en beaucoup d’autres domaines.

Peut-être que l’importance de la chose mériterait qu’on sorte des affirmations stéréotypées comme : les parents démissionnaires, les enseignants incompétents et paresseux, les enfants réfractaires. Quand on a asséné cela que fait-on ? On supprime les postes d’enseignants ? On diminue les heures scolaires ? On crée des établissements d’élite pour les uns en laissant les autres croupir dans des culs-de-basse-fosse ?

D’abord le problème n’est ni nouveau ni, je pense, limité à la France.

En 1973, après une longue enquête longitudinale qui avait duré des années, la pédo-psychiatre Colette Chiland avait écrit un livre : L’Enfant de 6 ans et son avenir où elle démontrait qu’effectivement à 6 ans le sort des enfants était déjà en grande partie joué. L’école ne semblait pas en mesure de redresser les inégalités qui s’étaient déjà creusées à cet âge-là.

Mais depuis, d’autres problèmes, d’autres causes d’échec se sont rajoutés et n’ont fait qu’aggraver les choses.

On parle souvent du rapport à l’écrit, mais il faudrait commencer par parler du rapport au langage en général. On sait bien depuis longtemps, que l’absence de parole de la mère, ou l’insuffisance du dialogue psycho-affectif mère-enfant durant les premiers moments de la vie, crée, comme l’a démontré dans des recherches déjà anciennes le psychologue autrichien René Spitz , des carences insurmontables. Mais on est frappé aussi de la différence de langage entre les enfants de 3 ans qui débutent leur scolarité en maternelle. Pour certains les seuls mots connus sont les mots qui règlent les gestes ou les besoins élémentaires de la vie quotidienne alors les autres présentent déjà des structures d’expression élaborées. Ce qui manque à beaucoup, ce sont les concepts qui introduisent les relations entre les objets. Juste un exemple : comment réagira un enfant à la consigne « va chercher le journal qui est derrière la porte » s’il ignore le sens du concept derrière ? Ainsi beaucoup de questionnements ou de consignes données à l’école maternelle sont perdues faute de sens. Et évidemment ces différences ne feront que s’accroîtrent au fil du temps, entre des utilisateurs du langage à des niveaux différents.

Un autre point me semble-t-il est l’absence d’attention, l’instabilité... Dans la société actuelle, celle du zapping, de la rapidité des événements et de l’information, plus rien ne requiert l’attention plus de quelques instants. Le président de la République l’a bien compris qui passe d’un sujet à l’autre sans jamais s’arrêter, posant la question et donnant la réponse en quelques secondes. Les médias qui devraient jouer un rôle d’apport à l’éducatif l’ont depuis longtemps non seulement perdu de vue, mais volontairement abandonné. Au lieu de chercher à maintenir la concentration du public, celle des jeunes en particulier, de favoriser leur jugement, ils s’acharnent au contraire à disperser, à pulvériser l’attention.

Comment, avec quels moyens, les enseignants seraient-ils en mesure de mobiliser ce que l’on détruit sciemment par ailleurs et avec d’autres moyens ?

Enfin la société médiatique a entrepris un travail de sape contre tout ce qui peut nuire à son projet, sous forme d’une dévalorisation systématique de tous ceux qui osent porter une parole autre que « Vas manger chez MacDo » ou « bois ton Coca et tais-toi ». Ce sont tous les vecteurs traditionnels de la parole, les plus formateurs qui sont ainsi évacués de l’éducation des jeunes.

Les pères sont soit absents soit méprisés parce qu’ils luttent contre des difficultés sans nombre, et qu’on explique aux enfants que les méritants se font l’argent qu’ils veulent. A supposer qu’eux-mêmes disposent des mots pour délivrer leur message, comment seraient-ils écoutés ?

Quand les télés nous répètent systématiquement que les retraites coûtent trop cher, que la dette sera un héritage pour les petits-enfants, c’est aux grands-parents, autre support traditionnel de parole qu’ils s’en prennent. Ainsi les politiques et leurs porte-paroles, en excitant les haines entre générations, coupent-ils pour beaucoup de jeunes les moyens éducatifs autres que ceux du système.

Quant aux enseignants, dévalorisés dans leurs actions, dans leurs résultats, coupables de l’échec scolaire, ramant à contre-courant de tout le reste pour maintenir l’attention et la concentration des élèves, ils apparaissent comme des emmerdeurs désuets dans leurs méthodes, incompréhensibles dans leurs mots, pour certains enfermés dans une volonté culturelle honnie au plus haut niveau de l’Etat. Rappelons-nous la sortie : « L’Etat ne pourra pas payer longtemps pour ceux qui veulent faire des lettres classiques »...

Le bilan est attristant. Il n’est pas l’affaire de mesures au jour le jour, brossant certains dans le sens du poil et préparant là comme ailleurs, de façon à peine voilée, l’avènement des copains. Il ne s’agit pas de gesticuler en agitant ses breloques aux marques prestigieuses pour clamer « moins de profs, mieux payés ! » ou « supprimons des heures de cours » pour résoudre le problème. Il n’est même pas utile d’invoquer les dieux de l’Olympe élyséenne, le fric et le mérite pour colmater un déficit que les politiques ont laissé se creuser depuis trente ans et plus.

On peut être pessimiste, tout est à reprendre et il y faudra le temps de générations entières. La prévention consisterait à remettre d’abord les parents au travail, j’entends en leur offrant un travail digne, ensuite à les réinscrire, pour beaucoup dans le processus d’échanges verbaux avec leurs enfants, car eux-mêmes souvent sont des « loupés » des générations précédentes. La prévention voudrait aussi que l’on moralise les médias et les politiques. Qu’on les réinstruise de leur mission sociale, qu’on arrête les slogans populistes à deux sous.

Je sais. Utopie. Tout cela demanderait trop de hardiesse, trop de moyens, trop d’investissements. Aujourd’hui, même l’entreprise n’investit plus pour son avenir préférant se hâter de ramasser les bénéfices du présent. Mais pendant ce temps, nous fabriquons des enfants qui seront les parents de demain. Quels reproches serons-nous en droit de leur faire ?

Un tiers des enfants ne savent pas lire à l’entrée en sixième... Seulement un tiers ?


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