Qui s’intéresse aux modalités du débat public ?

par Eric Lombard
mardi 6 avril 2010

Quand de grands débats comme le débat public nanotechnologies arrivent sur le devant de l’actualité, les polémiques sur la manière dont ils sont organisés vont bon train. Mais quand une proposition de loi visant à « l’organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société » s´invite à l’ordre du jour de l’Assemblée, ça ne semble plus intéresser personne, ou presque. C’est l´association Sciences & Démocratie qui a donné l’alerte et ouvert un débat sur le débat.

Le 16 février dernier, l´Assemblée nationale a adopté en première lecture une proposition de loi de Jean Leonetti relative à « l´organisation du débat public sur les problèmes éthiques et les questions de société ». Elle concrétise les propositions formulées par la Mission d’information sur la révision des lois bioéthiques dans son rapport du 20 janvier 2010. L’objectif est d’institutionnaliser la formule de débat public mise en œuvre lors des Etats généraux de la bioéthique de 2009 : débats locaux animés par les Espaces éthiques régionaux, conférence de citoyens préalablement formés, recueil d´opinions sur un site internet dédié.
La proposition de loi confie au Comité consultatif national d´éthique (CCNE) la responsabilité de décider de l’opportunité d’organiser un débat public en amont du travail parlementaire. Mais elle en fixe les modalités en imposant la tenue de conférences de citoyens.
L’adoption par l’Assemblée nationale de cette très succincte proposition de loi ne s’est pas faite sans débat. Même si tous les orateurs ont souligné la nécessité de favoriser et d’organiser la participation citoyenne, le groupe SRC (Socialiste, Radical, Citoyen) s´est abstenu en regrettant la précipitation avec laquelle cette initiative avait été lancée. De nombreuses insuffisances ont en effet été relevées par les députés de tout bord. Si certaines ont été corrigées par des amendements – en particulier l’implication de L´Office parlementaire d´évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) pour une meilleure articulation entre démocratie participative et représentative –, la plupart n’ont pas trouvé de réponse satisfaisante :
 
Ce débat parlementaire qui a précédé l’adoption des deux articles de loi n’a eu d´écho que dans les Echos. Et du côté de la société civile, si l’association « Sciences et Démocratie » n’avait pas sonné l’alerte, le silence aurait été total. Fondée par Philippe Bourlitio en 2005, elle milite pour faciliter et développer la participation des citoyens aux choix scientifiques et technologiques. Elle a réagi en demandant que la loi soit revue :
 
Par la suite, Dorothée Benoit-Browaeys démontre sur Vivagora.org, que cette proposition de loi consacre la prééminence des tenants de la neutralité par rapport à ceux du pluralisme. « Pour les premiers, tout l’argumentaire des militants associatifs est mis hors jeu (hors formation) car il est vu comme susceptible de brouiller le jugement. Pour les seconds, les « savoirs situés » sont tout aussi légitimes que les « connaissances académiques », avec une utilité complémentaire de mise en contexte ».
De son côté, Jacques Testart conclut sur son blog critique de sciences, que « ce texte n’est aucunement une avancée puisque la procédure n’est pas décrite, même grossièrement… ce qui permettra de neutraliser les demandes de véritables CdC (Conventions de citoyens) comme celles que nous souhaitons (Sciences Citoyennes) et de confirmer la fonction de leurre démocratique des propositions de plus en plus fréquentes pour la "participation" des citoyens aux choix de société… »
 
La proposition de loi est maintenant entre les mains du Sénat. Il est encore temps pour les citoyens de se manifester pour le faire évoluer, sans précipitation. Lors du prochain grand débat, il sera trop tard…
 
Crédit photo : Daneel Ariantho
 

Lire l'article complet, et les commentaires