Réponses aux objections de beo111 sur le RIC

par maQiavel
lundi 21 janvier 2019

Voici donc ma réponse à la lettre ouverte de beo111 qui m’était adressée et qui reprenait l’ensemble de ses objections au RIC.

Cher beo111 , vous avez écrit dans votre lettre « Je connais votre discours, il existe un antidote, une baguette magique, qui permet de couper le lien entre l'argent et le pouvoir politique. On devrait plutôt parler de ciseau magique du coup. Il s'agit du tirage au sort ». Tranchons dans le vif : il n’existe dans l’ordre politique aucune baguette magique, il n’existe que des outils imparfaits. Tous les outils politiques ont leurs défauts, le tirage au sort, le RIC ainsi que votre proposition d’élection libre sans candidat ne dérogent pas à cette règle. Le réalisme machiavélien nous mène à cette conclusion : les meilleurs outils sont ceux qui comportent le moins d’inconvénients.

« Et dans toutes les choses humaines, si on les examine bien, on voit qu’on ne peut jamais supprimer un inconvénient sans qu’un autre ne surgisse. Aussi faut-il dans toutes nos décisions considérer le parti ou il y’ a le moins d’inconvénients et le prendre pour le meilleur car on n’en trouve généralement aucun qui soit tout à fait sans risques et sans danger ». Nicolas Machiavel.

Nous ne recherchons donc pas une baguette magique mais des outils susceptibles de répondre au mieux aux problématiques auxquelles nous sommes confrontés. C’est de cette perspective que les propositions politiques doivent être évaluées :

- en mode de production capitaliste, pouvoir et argent sont intimement liés et il n’existe aucun outi , fut-ce des ciseaux magiques, en capacité de rompre ces liens. Il existe cependant des instruments capables de réduire la corruptibilité du pouvoir politique comme les mandats courts et non renouvelables induit par l’usage politique du tirage au sort.

-le RIC n’est pas l’arme ultime censé résoudre tous les problèmes pour accomplir le paradis sur terre. Il semble néanmoins le meilleur instrument permettant de résoudre le problème de l’application concrète de la souveraineté populaire.

Il faut bien commencer par quelque chose puisqu’il n’existe pas de solution miracle. Pour monter un escalier, il faut bien commencer par gravir une première marche.

Le RIC a ses défauts mais il a un grand avantage qui les rends moins pernicieux : il est auto- réparateur. En effet, si à l'usage il présente un défaut, il contient en lui-même l'outil de sa réparation. Il appartient ainsi au peuple, après retour d’expérience, de le laisser tel quel ou de réparer les éventuels effets pervers. Il a ainsi un avantage certain sur l’ensemble des institutions de la Vème république qui ne peuvent être réformé que par des élus qui n’ont aucun intérêt à changer des dispositifs dont ils profitent, ce qui ne laisse d’autres choix, lorsque ces institutions dégénèrent et se corrompent, que l’insurrection pour en corriger les vices. Nombre des critiques opposées au RIC ne tiennent pas compte de cette vertu auto-réparatrice : ce que le peuple a fait, le peuple peut le défaire.

Vous m’aviez écrit au cours de nos échanges « les gens ne veulent pas la démocratie ». Dans votre lettre, vous écrivez en substance que le peuple est occupé à créer de la richesse pour subsister et qu’il n'a pas le temps de s’occuper en permanence de politique. Jusque-là, nos diagnostics se rejoignent. Vous m’aviez enfin fait remarquer « Dit autrement, la démocratie n’est pas sacrée. En France, seule la souveraineté l’est ». Cessons de nous illusionner : la souveraineté n’est sacrée en France que dans les discours et les écrits. Car, il n’existe en France aucune expression concrète de cette souveraineté. Notre régime représentatif ne conteste pas que la souveraineté appartienne au peuple mais considère que l’enjeu de son exercice est trop important pour en laisser la maîtrise au peuple. C’est ainsi qu’intervient le suffrage universel, qui n’est pas un exercice de souveraineté mais une délégation de souveraineté (souveraineté qui selon Rousseau ne se délègue pas, rappelons-le). Mais n’est-ce pas là une ruse que de faire croire qu’une entité possède une chose mais qu’elle ne peut en faire usage ? A ce compte-là, je pourrai également considérer que la lune m’appartient mais que je ne peux en disposer, ce qui ne changerait pas drastiquement ma présente situation. Tant qu’il n’existera aucune expression de la souveraineté populaire, cette dernière ne restera qu’une fiction juridique et philosophique introuvable dans la réalité politique, c’est-à-dire dans l’espace politique tel qu’il est et se présente à nous et non tel qu’il devrait être. Le RIC pourrait être une expression concrète de la souveraineté populaire, la preuve manifeste de son existence et en quelque sorte sa fondation. Il consiste à solliciter le corps des citoyens en tant qu'organe de décision, en dehors de tout le circuit parlementaire et exécutif ! C’est le peuple qui se consulte lui-même, pas pour connaître une opinion, mais pour obtenir, par une voie dûment prévue dans un ordre institutionnel, une décision. Le pouvoir serait toujours exercé par des représentants mais les citoyens pourraient sous certaines conditions intervenir directement dans son exercice. Ainsi, nous ne passerions pas en régime démocratique (sauf si le peuple souverain en décidait autrement lors d’une votation) mais resterions dans un régime représentatif auquel serait adossé une bulle de démocratie.

Le RIC contient cinq éléments :

  1. Un domaine de compétence : qui peut être constituant (permettant de réviser la Constitution), abrogatif (permettant d’abroger une loi votée par le parlement), révocatoire (pour révoquer un élu avant la fin de son mandat), et législatif (permettant aux citoyens d’initier et de voter une loi ).
  2. Une initiative citoyenne : qui peut être déclenchée sous certaines conditions
  3. Un débat citoyen : sa qualité va dépendre de l’environnement médiatique et de l’infrastructure qui lui sera dédiée
  4. Une votation
  5. Un contrôle de l’application de la décision

En fonction du contenu de ces cinq éléments, le RIC peut prendre des formes très différentes. C'est donc un instrument qui jouit d'une grande flexibilité. La plupart des objections au RIC ont leurs réponses selon ce que l’on met ou que l’on retire de ces éléments. Par exemple : comme vous l’avez judicieusement fait remarquer dans votre réponse, la caste politico-médiatique pourrait aller à rebours des décisions prises pour faire avancer ses intérêts, la catastrophe du 4 février 2008 en est en effet un bel exemple. Des féodalités financières, bureaucratiques, médiatiques, politiciennes et communautaro-religieuses, organisées en réseaux, feront un effort continuel pour altérer la souveraineté populaire. Et le peuple, occupé à vaquer à ses occupations quotidiennes, ne pourra se préoccuper constamment de ces subversions oligarchiques. Fonder la souveraineté est une chose mais encore faut-il la conserver. Eh bien, la réponse à votre objection légitime se trouve au point cinq. Du constat lucide de l’existence d’un risque subversif nait la nécessité d’instituer un organe institutionnel permanant qui serait chargé de protéger le souverain contre les manigances oligarchiques, une sorte de tribunat de la plèbe de notre temps qui serait constitué d’un collège de citoyens tirés au sort exerçant un mandat court et non renouvelable. Ces citoyens seraient inviolables dans le cadre de leurs fonctions et révocables uniquement par leurs pairs.

« Ceux qui, dans l’établissement d’un État, firent briller le plus leur sagesse, ont mis au nombre des institutions les plus essentielles la sauvegarde de la liberté, et selon qu’ils ont su plus ou moins bien la placer, les citoyens ont vécu plus ou moins longtemps libres ». Nicolas Machiavel.

Cet organe aurait pour mission de s’assurer du bon déroulement de l’ensemble du processus référendaire décrit plus haut et aurait le pouvoir de sanctionner quiconque l’entraverait. Cet organe ainsi crée que je nommerai « chambre des référendums » serait le plus ferme appui de la souveraineté populaire et son activité diminuerait drastiquement les risques de subversion. Vous voilà ainsi rassuré quant aux tentatives de contournements des décisions prises qui seraient contraire aux intérêts des puissants : elles seraient balayées et écrasées par la chambre des référendums.

Un autre exemple : vous semblez considérer que la possibilité de révoquer les élus déclenchera forcément, par impatience des gouvernés, une pluie de référendums révocatoires. La réponse à votre objection se trouve dans les conditions nécessaires pour lancer les initiatives. Si les conditions sont bien pensées, elles ne mèneront pas à des salves d’initiatives pour des référendums révocatoires. On pourrait par exemple, en fonction de la charge élective, exiger un nombre de signatures suffisamment considérables pour que les tentatives les plus fantaisistes de référendums ne passent pas. On pourrait aussi limiter le nombre de référendum révocatoire par mandat, ce qui obligerait ceux qui souhaiteraient révoquer un élu à ne pas gaspiller inutilement leurs munitions. Il existe d’autres méthodes qu’il serait trop long de décrire ici. De plus, il faut tenir compte du fait que, lorsque la possibilité de révocation existe, les pratiques politiques changent , les élus d’eux-mêmes, acquièrent des pratiques qui sont le moins à même de mécontenter leurs administrés. Et si malgré tout, les gardes fous que l’on mettrait en place ne suffiraient pas et que la révocation se révèle une idée périlleuse (ce dont je doute fortement), les citoyens auront la possibilité d’abolir cette possibilité révocatoire ( je rappelle que le RIC a une vertu auto -réparatrice ).

Il est en effet évident que les puissances financières tenteront d’influer sur les résultats des RIC. Et postuler qu’une non-ingérence des médias permettront d’éviter cet écueil serait illusoire. Vous me demandez dans votre lettre « Non mais MaQiavel, franchement, sur quelle planète vivez-vous ? » 

Je vais donc vous décrire la planète sur laquelle je vis : je vis sur une planète sur laquelle les médias sont le vecteur le plus puissant de visibilisation et désignent au public les problèmes qu’il doit considérer comme prioritaires. Des médias qui ont des effets indirects sur les connaissances et les représentations des individus, qui construisent les objets politiques (les hommes, les programmes, les partis, etc…) et qui formatent les perceptions publiques. Je vis sur une planète sur laquelle, quelques milliardaires se sont accaparés de la majorité des médias en France , des individus dont la fortune a été faite par l’Etat , dont le maintien est directement dépendant des décisions des gouvernants et qui investissent dans la presse pour s’assurer la pérennité de la satisfaction de leurs intérêts.

Je vis sur une planète sur laquelle ces milliardaires peuvent intervenir indirectement dans le contenu des médias par le truchement du recrutement d’une chefferie éditoriale qui constitue une oligarchie médiatique incontrôlable et incontrôlée qui conditionne toute la production de l’information par des promotions et mises au placard des journalistes qui auraient l’heur ou le malheur de plaire ou de déplaire. Je vis sur une planète sur laquelle cet environnement médiatique que je viens de décrire est profondément structurant. Une structuration qui détermine en grande partie les choix des électeurs au suffrage universel et contre laquelle votre proposition d’élection libre de grands électeurs tirés au sort ne pourra rien. Il ne peut y avoir de vote éclairé sans une information éclairante. Et sans vote éclairé, il ne peut y avoir de citoyenneté. La déconstruction de cette morphologie médiatique est donc un enjeu fondamental de la question de l’exercice de la citoyenneté. Sur quoi pourrait se fonder une refondation républicaine des institutions ? Vous me demandez si j’ai une autre solution que l’expropriation. Je vous réponds : la mutualisation.

Rappelons que l’information est pensée comme un bien public. Substrat indispensable à la formation des jugements politiques, c’est l’arme à mettre entre toutes les mains. Et parce qu’aucune société émancipée ne saurait s’en priver, l’Assemblée constituante de 1789 proclame que « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme » et que « tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ».

 

Cependant, le législateur n’a pas sanctuarisé les moyens de son ambition, le droit « universel » de « répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit » s’est mué en un privilège , celui d’une poignée d’industriels suffisamment fortunés pour s’offrir les grands moyens d’information. Nous en arrivons à ce paradoxe : l’information est un bien public produit comme une marchandise. Ne nous trompons pas d’ennemi : le danger, c’est le maintien de cet environnement médiatique dans lequel domine les intérêts privés et non la réappropriation républicaine des médias. L’enjeu est de soustraire la production d’information à deux types de contraintes : le marché et la politique. Pour répondre à votre objection du réalisme, cela est possible grâce à des dispositifs qui reposent sur des principes juridiques et des outils fiscaux qui existent déjà : la mutualisation et la cotisation sociale. Il s’agit donc de mettre en place un service mutualisé d’infrastructures financé par une cotisation information. Pour répondre à votre objection selon laquelle un média de masse n'est pas seulement une affaire de bonne volonté mais qu’il faudrait des compétences, des gens réénumérés et du matériel, eh bien les caisses seraient gérées par les salariés eux-mêmes (ainsi que les usagers de l’information). Nous en arriverons donc à la création d’un quatrième pouvoir institutionalisé indépendant des trois autres, ayant ses propres modalités de composition et ses propres missions qui serait respectueux du cahier des charges minimal qu’imposent les leçons de l’histoire en échappant simultanément aux contraintes économiques et aux pressions politiques de l’Etat. Un service public d’information et d’accès à la culture qui s’assurerait du pluralisme éditorial et du pluralisme effectif des opinions des journalistes eux-mêmes. Mais chaque chose en son temps. Pour le moment, sans aller aussi en profondeur dans les réformes des médias, nous pourrions dicter les conditions dans lesquelles y seront débattues les questions référendaires et nous inspirer des cadres existants dans d’autres pays comme la Suisse en les améliorant. Mais cette réforme médiatique est à terme, indispensable si on veut vivre dans une république digne de ce nom.

Ces propositions sont -elles dangereuses ? Je suis convaincu que la situation actuelle l’est davantage. Mais même en le considérant ainsi, je vous répondrai comme Rousseau « Je préfère les dangers de la liberté à la paix de la servitude ».

 

Lire l'article complet, et les commentaires