S’exprimer et ensuite ?

par Pierre Mackle
samedi 23 février 2019

Nous sommes tous à nous laisser séduire par cette douce tentation des débats participatifs. Mais serons-nous vraiment écoutés ou même entendus ? A une période où le gouvernement nous vend du temps de parole à travers la possibilité de pouvoir nous exprimer d’une nouvelle façon et d’une manière généralisée, les choses sont-elles vraiment organisées pour que nos paroles ne s’envolent pas mais restent ?

Informaticien de métier, je sais combien il est compliqué quelquefois d’écouter un utilisateur qui veut que « l’informatique » lui fasse un programme sur « mesure » afin de lui faciliter la vie. C’est le dilemme perpétuel entre ce qui est exprimé et ce qui est compris. Combien de réunions sont nécessaires ainsi que de comptes rendus afin de ne pas perdre l’essence de la demande initiale. Cela prend souvent des semaines entre l’expression du besoin d’un utilisateur et la restitution sous forme de cahier des charges avec toutes les étapes de validation intermédiaires.

Ajouté à cela il reste encore le « message » de la demande initiale à faire passer aux différents développeurs afin qu’ils réalisent le dit programme tant espéré par notre cher utilisateur. Dès lors, combien sont rares les projets qui aboutissent exactement à ce que voulait le client. Et cela même avec la meilleure volonté.

Dans notre cas de figure, il ne s’agit pas d’une simple demande de programme informatique mais de la demande ou plutôt des demandes d’un peuple. Qui plus est d’un peuple poussé à bout par des années de récession et de sourde oreille de la part de ceux qui sont sensés leur obéir. Parce qu’en effet, on oublie souvent que nos gouvernants sont au pouvoir parce que le peuple le leur a donné. Le peuple leur a donné le pouvoir de faire ce qu’il désire. Et ces gouvernants ont parcouru nombre de kilomètres pour claironner haut et fort qu’ils étaient prêts à les servir et à leur apporter le bonheur tant attendu. Bien sûr, personne n’est stupide et faute de bonheur utopique, le peuple entend au moins améliorer ses conditions de vie et non pas voir son avenir s’assombrir d’année en année.

Ces derniers temps, exacerbé par des politiciens sourds à leurs complaintes, s’est élevé le mouvement des gilets jaunes. Petit groupe de personnes qui s’est élevé d’abord contre le prix d’un carburant sans cesse augmenté pour un pouvoir d’achat sans cesse décroissant. A la surprise générale, ce murmure s’est transformé en grondement et l’on a pu voir combien les citoyens « lamba » en avaient juste marre de ce système dans lequel ils ne se retrouvent plus et où ils doivent se battre jour après jour pour survivre. Car il ne s’agit pas de confort ni de pouvoir d’achat mais plutôt de pouvoir vivre tout court. N’oublions pas que nous vivons actuellement dans une société où il existe des travailleurs pauvres ! Quelle honte ! Le fait d’avoir un emploi ne devrait-il pas suffire à être capable de subvenir à nos besoins fondamentaux : se nourrir, se vêtir et se loger ? N’oublions pas non plus ces retraités qui au bout d’une vie de labeur, n’ont pas de quoi vivre : que peut-on faire avec une retraite de 600 ou 800 euros à une époque où un smartphone vaut plus de 1000 euros ? N’est-ce pas déplorable de voir nos anciens dans la misère ? Est-ce là le modèle de réussite de notre société que nous voulons laisser aux générations futures ?

Comment donc s’étonner qu’un mouvement comme celui des « gilets jaunes » soit né et soit autant suivi : plus de 15 semaines à ce jour ! Bien sûr le gouvernement fait la part belle à l’essoufflement qui s’empare de ces manifestations qui se voient suivies par de moins en moins de monde. Ce qui est bien normal finalement.

Mais ce qui est le plus surprenant est que l’on soit surpris qu’il y ait de la violence. Cela dit, la violence que nous avons pu observer était dirigée contre les symboles du système : les rues les plus riches de Paris, les banques, les magasins de luxe, les voitures les plus chères. Et également certaines zones du pouvoir : l’attaque contre un ministère et la tentative d’incursion à l’Assemblée Nationale. Car après tout d’où vient la violence initiale ? Ne vient-elle pas du silence et de l’indifférence du gouvernement face aux demandes du peuple ? N’est-ce pas violent de faire la sourde oreille ou de fermer les yeux sur la misère de certains français tout en feignant d'ignorer les malversations de nos hommes politiques ou même tout simplement les dépenses inconsidérées de ces derniers ? Et que dire de ces parachutes dorés qui sont autant de cadeaux offerts à ces dirigeants d’entreprise qui sont mis à la porte pour les avoir mal gérées ? D’ailleurs, nos dirigeants ne se rendent-ils pas compte du scandale de ces parachutes dorés ? Peut-être avez-vous été licenciés de votre entreprise pour une faute quelconque et dans ce cas, vous a-t-on accordé un bonus ? Depuis quand, recompense-t-on quelqu'un qui a échoué dans sa mission ? Ma question peut faire rire. C’est pourtant ce qui se passe avec ces millions versés après des échecs rententissants.

Ne peut-on donc pas comprendre que cet amoncellement d’injustices à tous les niveaux fasse monter la colère d’un peuple qui se bat jour après jour pour … vivre ? et même survire, tout simplement ?

Je reviens maintenant à mon propos initial. Les cahiers de doléance et les débats participatifs. Combien y a-t-il de débats ? Des centaines. Combien y-a-t-il de cahiers de doléances ? Des milliers. Et qu’y-a-t-il après ?

Lorsqu’une réunion ou un débat est terminé, y-a-t-il systématiquement un compte rendu synthétique de ce qui a été exprimé ? Par qui est-il rédigé ? Ce compte-rendu est-il le reflet de ce qui a été exprimé ? A-t-il été relu ? Validé ? Ensuite comment arrive-t-il sur le bureau de notre président ou du gouvernement ? Quelqu’un a-t-il jamais entendu parler du circuit qu’empruntent toutes ces idées exprimées ?

Admettons que finalement, tout se passe bien. Les comptes-rendus sont clairement rédigés et ils parviennent à un service centralisé. Lequel est-ce ? Quel ministère est il en charge de dépouiller toutes les idées exprimées ? Sous la surveillance impartiale de qui ?

Si je reprends mon exemple du début, il fallait plusieurs semaines pour établir un cahier des charges conforme aux demandes de quelques utilisateurs (moins de 10). Dans le cas des débats participatifs et des cahiers de doléances, il s’agit de compulser, analyser, trier, répertorier, non pas les demandes ou idées d’une dizaine de personnes mais plutôt de centaines de milliers, voire de millions. Cela représente du travail pour 1000 à 2000 personnes pendant 3 à 4 ans. Je n’ai, à ce jour, entendu aucune communication sur la mise en place d’une telle « task force ». Pourtant elle est indispensable pour traiter toutes les idées qui sont exprimées jour après jour par des milliers de concitoyens.

Des lors, la question se pose : les cahiers de doléance et les débats participatifs ne sont-ils que des miroirs aux alouettes ? J’espère de tout cœur que ce n’est pas le cas, car le gouvernement s’exposera alors et en toute connaissance de cause à un nouveau déferlement de mécontentement et sans doute d’une violence plus forte.

La faute à qui ?


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