Se voiler la face
par C’est Nabum
mercredi 14 septembre 2016
Vent de face !
Une roue voilée n’a jamais tourné bien rond. Nous devrions en tenir compte quand nous mettons un voile pudique sur ce verbe équivoque. Jadis, déployer la voile permettait d’aller plus loin, de découvrir l’envers du monde, d’ouvrir de nouveaux horizons. Puis le voile se fit crêpe noir, oiseau de mauvais augure, triste marqueur d’un deuil ou d’une sombre affliction.
Il ne cherchait alors pas à masquer mais tout au contraire à montrer le chagrin tout en cachant discrètement les larmes. Il se faisait voilette, aimable petite dentelle pleine de charme, moustiquaire discrète laissant deviner celle qui se dissimulait élégamment. Le voile avait de la grâce, marquant en finesse un état qui n’était que transitoire.
Puis il habilla de pied en cap celles qui se donnèrent au Seigneur. Nos sœurs étaient bonnes ; elles vouaient leur existence au service des autres. Le visage découvert, elles rayonnaient d’un sacerdoce entièrement consacré à faire le bien. Elles étaient infirmières, enseignantes, gardes-malades. Leur bonnette symbolisait le don de soi et la générosité. Son austérité avait ce je ne sais quoi de rassurant.
La cagoule fut le pendant masculin de ce cache-face qui nous préoccupe aujourd’hui. Deux trous pour les yeux afin de faire le mal en toute clarté, le bandit masqué voulait faire peur. C’est sans doute là que se fonde notre crainte atavique de ces visages effacés. Il y a une pensée obscure, un désir malsain. Le visage obstrué est porteur de malheur.
Je mets les voiles, elles se gonflent d’un espoir nouveau. C’est vent arrière que nous filerons un jour vers un monde sans ce tissu indigne qui couvre la tête et la pensée. La tête haute, le visage radieux, l’humain, en choisissant la bipédie, a décidé de garder la tête sur les épaules. Cette victoire sur l’équilibre suppose de se montrer et de ne pas nier notre appartenance collective à une seule et même humanité.
Pour l’heure, un vilain vent de face provoque grimaces et haine, déchirures et querelles. Il favorise le recul de nos valeurs, la segmentation des groupes, l’émergence des communautés, terme absurde qui fait du particulier et du mesquin le prétendu commun de notre vie sociale. Il n’y a qu’une communauté : celle des humains qui avancent la tête haute et libre dans une société de la courtoisie, de la confiance et de la fraternité.
Il est urgent de baisser le rideau de ce vilain épisode. Le tissu social se passe aisément de toute marque d’appartenance à une tribu, une secte, une confession. Il est évident que les intentions des uns sont clairement déterminées par le refus des autres ; qu’aucun des camps antagonistes n'est, pour l’heure, disposé à la moindre concession. La rigidité des postures s’exprime par la manière de plus en plus rigoriste de vêtir ces femmes qui deviennent enjeux et symboles, otages et boutefeux.
Nous ne pouvons sortir de ce psychodrame qu’en levant le voile, en le déchirant, en oubliant cette absurde focalisation des griefs, des échecs, des maladresses, des incompréhensions, des difficultés d’une frange de la population qui ne se sent pas, à juste titre, intégrée dans une société dont les valeurs sont parfois inacceptables.
Les efforts doivent être communs. Il s’agit de faire un pas les uns vers les autres et non de se cacher derrière des principes dérisoires ou un morceau de coton. Il convient de se regarder dans les yeux et pour cela, il serait grand temps de le faire franchement.
Facialement vôtre.