Six bonnes raisons de supprimer le Département

par Michel DROUET
mercredi 21 janvier 2009

Supprimer le Département ! Voici une proposition qui peut paraître a priori radicale ! Et pourtant, si l’on se penche sur l’évolution de cette collectivité ces vingt dernières années on peut souscrire à cette proposition. Pour être totalement efficace, une telle réforme des collectivités locales devrait s’accompagner d’une refonte de l’intercommunalité trop disparate et relativement inefficace.

Qu’y a-t-il de commun entre le Département mis en place par les lois de décentralisation de 1982 et le département d’aujourd’hui ? Pas grand-chose, tant il s’est affaibli et a vieilli prématurément. Les causes en sont multiples.

La montée en puissance de l’intercommunalité est la principale cause de cet affaiblissement. Les derniers transferts de compétences et le contexte financier défavorable n’ont fait qu’accentuer cette dégradation, d’autant que le Département, insensible à cet environnement en mutation, continue à entretenir le rêve de sa splendeur passée.

Aujourd’hui, le Département n’est plus qu’un gestionnaire qui a de plus en plus de mal à faire entendre sa voix dans le concert des collectivités et des regroupements intercommunaux. Coincé entre la Région et l’intercommunalité, il est considéré, au mieux, comme un guichet à subventions par ces dernières, et de moins en moins comme partenaire, y compris de la Région.

Examinons quelques-uns des reproches faits à cette collectivité.


Le canton : une circonscription électorale étrange


Qu’y a-t-il de commun entre un canton rural de 4 000 habitants et un canton urbain de 20 000 habitants ? Pas grand-chose évidemment, sauf que dans les deux cas un conseiller général et un seul le représente au Conseil Général, d’où sur représentation du monde rural dans cette assemblée. On ne s’étonnera pas, dès lors, que les politiques votées par ces assemblées ont longtemps principalement concerné les secteurs ruraux et que les secteurs urbains, pourtant confrontés à des charges de centralité importantes, ont dû s’habituer à ne pas demander l’aide du Département (surtout s’ils font partie de l’opposition départementale).

Faites le test : demandez à un habitant du chef lieu d’un département à quel canton il est rattaché et quel est l’apport du Département pour son quartier, vous aurez sans doute en face de vous un regard interrogatif. Par contre, faites le même test avec un habitant d’un secteur rural et vous avez des chances qu’il vous parle du rond point récemment inauguré, de l’embellissement du centre bourg ou de la rénovation du vitrail de l’église.


Une compétence sociale non soluble


La compétence sociale occupe une place majeure dans les politiques départementales. Les autres compétences sont souvent soumises à la portion congrue lors des arbitrages budgétaires quand le social s’attribue la plus grande partie des marges financière afin de répondre efficacement aux effets des crises successives. La nature même du travail social et la demande croissante impactent la totalité des secteurs ressources des départements et absorbent une grande part de ressources humaines (création de postes, formation, frais de déplacements) et des crédits d’équipement (informatique, bâtiments, véhicules,). Face à cette situation, les départements sont avant tout les gestionnaires de la compétence sociale et accessoirement ceux des autres compétences. Ce déséquilibre conduit à envisager que le social public et associatif soit géré comme compétence unique par une seule collectivité ou organisme public.


Une pratique trop importante de la délégation


Que ce soit auprès d’associations créées à cet effet (pour le social, notamment) ou bien auprès d’entreprises (transports par exemple), les départements baignent dans la culture de la délégation au secteur privé dont on connaît bien les limites (contrôles minimes souvent formels et donc inutiles). Dans le social, le secteur associatif est successivement passé du rôle de prestataire à celui de partenaire puis à celui de contre pouvoir. Les discussions budgétaires se limitent souvent à la reconduction du budget N-1, augmenté de mesures nouvelles et d’un taux directeur qui permettent à certaines associations de constituer et de préserver des trésoreries qui ne servent à rien. Pour les services à l’usager, la culture de la négociation du prix proposé est rarement la règle et on se satisfait généralement, après négociation, d’une augmentation d’une année sur l’autre de 10% (ce qui est toujours une grande victoire quand l’évolution réelle des prix est inférieure à 5% !) là où l’entreprise proposait 15%.


L’absence d’évaluation et de contrôle de gestion efficaces


Le Département peut se comparer à un châtelain ruiné qui ne sait pas comment réparer la toiture. Habitué à un train de vie très respectable dans les 20 années qui ont suivi la décentralisation Defferre, beaucoup de départements ne se sont pas préoccupés de contrôle de gestion et d’évaluation des politiques. Ils découvrent aujourd’hui les dégâts provoqués par leur imprévoyance. Ils découvrent surtout la difficulté à entrer dans un processus de contrôle du fonctionnement interne de la collectivité et de l’évaluation de l’impact des subventions et des contrats ou accords passés avec des tiers, privés ou publics. La tentation est alors forte, face à cette difficulté, de contourner l’obstacle et de différer des projets d’investissements en cours ou de les supprimer en justifiant ces décisions par « la crise ».

Et pour rassurer l’électeur, on clame fièrement avoir diminué les frais de réception, les cérémonies des vœux ainsi que le nombre de ramettes de papier utilisées par les services. Cela évite d’avoir à se poser la question de la suppression des politiques devenues obsolètes que l’on ne conserve que par préoccupation essentiellement électorale.


Le Département : une collectivité cernée par l’intercommunalité


Il suffit de regarder la carte de l’intercommunalité en France pour imaginer la situation dans laquelle se trouve désormais le Département. Habitué à traiter (parfois avec condescendance) avec les communes pour la mise en œuvre de la fameuse « politique du rond point », le Département est confronté à la montée de l’expertise et du projet politique des intercommunalités. Jusqu’alors référent en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, le Département se voit aujourd’hui obligé de négocier, sans être certain que son point de vue sera adopté et surtout sans être certain que la cohérence globale sera au bout des logiques intercommunales cumulées. Privés petit à petit de certaines de leurs compétences (le transport notamment) par la montée en puissance des communautés d’agglomération, la tentation est grande pour les départements de se réfugier dans des politiques de financement par contrats de territoires ou d’implantations d’antennes administratives inutiles dans les Pays, politiques qui ne sont que la concrétisation de leur perte d’influence et de leur soumission progressive à l’intercommunalité.


Des compétences facilement transférables


L’intercommunalité actuelle, trop disparate, ne constitue pas une solution pour pallier la disparition indispensable du Département, collectivité territoriale. Elle devrait même aussi, comme le Département, disparaître pour céder la place aux Pays, à condition que ceux-ci soient dotés de statuts leur permettant d’exercer des compétences répondant aux besoins de proximité du citoyen et d’aider efficacement le tissu associatif. Les transports interurbains, les infrastructures routières et portuaires, la gestion des collèges (en cohérence avec celle des lycées), pour parler des principales compétences, seraient transférés aux Régions dotés alors d’un véritable levier en matière de développement économique et d’aménagement du territoire, en lien avec les Pays.


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Les tenants du statu quo opposeront que les collectivités locales assurent 75% de l’investissement. Ils nous diront aussi que les élus locaux sont les garants du « vivre ensemble » et opposeront volontiers le rural et l’urbain pour éviter toute suppression de niveau de collectivité ou d’E.P.C.I. Il vous diront également que la clause de compétence générale est indispensable alors même qu’elle est source de doublon et de temps perdu

Si le clocher conserve une certaine pertinence, il n’en reste pas moins que le développement doit passer par une réflexion territoriale plus étendue.

La suppression d’une collectivité et d’un E.P.C.I. ne signifie pas pour autant une baisse de l’intervention publique locale si l’on se projette dans une meilleure utilisation des fonds publics.

Il en va de même pour les ressources humaines disponibles qui pourraient, dans un contexte différent, être mieux utilisées, sans que l’on pense obligatoirement à une réduction de l’emploi public.

Le mot réforme s’entend actuellement le plus souvent comme vecteur de la réduction de la masse budgétaire et surtout de l’emploi public et de transfert au privé.

Et si on passait outre ce dogme pour parler d’efficacité ?


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