Sur le bord de la route
par C’est Nabum
mercredi 30 janvier 2019
Histoire d’une renaissance ...
Ils sont de plus en plus nombreux à rester sur le bord de la route. Ils voient passer le train toujours plus délirant d’une prospérité qui est accaparée par quelques-uns, toujours plus gourmands, goinfres même, en s’accordant des revenus délirants au détriment de tous les autres. Le mouvement n’a cessé de s’accroître, l’appétit des privilégiés se faisant insatiable.
Pour eux, rien n’est trop beau. L’argent leur brûle les doigts et le cœur. Ils en veulent toujours plus, des sommes astronomiques, la tête dans les étoiles, là où il est possible de ne pas payer d’impôts au pays. Freluquet, être surnaturel s’il en est, favorise ceux-là tandis qu’il dédaigne la foule des miséreux sur le bord du chemin.
Les misérables tendent la sébile, réclament quelques miettes au lieu de quoi ils reçoivent mépris et insultes, rodomontades et leçons de morale. Ils apprennent ainsi qu’ils sont pauvres de leur seule faute, par manque d’ambition, de travail, de courage, de volonté de s’élever en enfonçant leurs voisins... Le petit banquier a des idées pour eux, il suffit de traverser la route pour accéder à la prospérité.
Sans s’en rendre compte, c’est lui qui leur a montré la voie à suivre. Pourquoi accepter de rester dans les fossés de la croissance ? Le bas-côté les laissait invisibles, il convient de suivre le conseil du gentil président, si bien de sa personne. Les gueux ont traversé la route mais comme ces gens ne comprennent les choses qu’à moitié, ils se sont arrêtés au milieu de la chaussée. Il y a là, des îlots, des espaces accueillants pour ceux qui ne font que tourner en rond dans une oisiveté montrée du doigt par leur chef.
C’est ainsi qu’ils découvrent sans une bonne dose de jubilation, qu’il suffit de s’afficher pour enfin exister. Puisque la grande tendance de cette société fut de toujours plus ridiculiser les humbles travailleurs en les vêtant d’habits grotesques, fluorescents, dégradants, ils se disent qu’il faut prendre les cols blancs, les décideurs et les profiteurs à leur propre piège. Ils se sont tous vêtus d’un habit ridicule, de cette marque de l’infamie sociale qu’a voulu cette élite de la honte.
Non seulement ils ont gagné ainsi la dignité que ces tourmenteurs leur refusaient mais plus encore, ils se sont trouvés en fraternité, ce dernier terme d’une devise nationale qui avait été totalement écarté par les tenants d’un système fondé sur l’injustice et l’iniquité. Naturellement, tous les bénéficiaires de cette société construite sur la mise à l’écart du plus grand nombre, s'indignèrent de ce mouvement qu’ils jugèrent sans jamais rien y comprendre.
Parlementaires, journalistes, syndicalistes, militants politiques, intellectuels, tous se retrouvèrent pour stigmatiser ces plébéiens qui prétendaient exprimer leur avis. Que ces manants osent ainsi leur retirer leur fonds de commerce ne pouvait être qu’une farce ! Pour leur clouer le bec, le bras séculier a mis les grands moyens, la violence d’État, légale et prétendument légitime, a frappé fort sur les mauvais, les méchants, les maudits, les incapables de comprendre les grands enjeux économiques.
Faute de parvenir à casser la révolte, Freluquet propose un virage à cent quatre-vingts degrés. Le syndrome du rond point en somme. Il revient sur ses pas, il donne l’illusion de vouloir enfin regarder et écouter les vermisseaux. Chasser le naturel, il revient au galop. Il ne peut s’empêcher de lâcher quelques répliques odieuses, se met en bras de chemise pour casser du pauvre et faire le fanfaron devant les maires.
Il lui faut toujours des intermédiaires. S’adresser aux vrais gens, quelle horreur ! Il risquerait la contamination. Qu’ils écrivent leur doléances, qu’ils s’expriment un peu avant qu’avec ses complices, ils puissent les repousser sur le bord de la route, la seule place convenable pour ces misérables. Il lui suffira de mettre un zéro pointé sur leurs copies. Le fameux grand débat n’est qu’une composition écrite pour poursuivre la décomposition des droits.
Cheminement sien.