Survivre, tout simplement !

par C’est Nabum
vendredi 4 octobre 2013

La vérité sans fard ...

Le conseil qui tue …

J'ai croisé l'enseignant qui eut l'immense privilège de découvrir la fameuse classe de quatrième qui me ruine la santé depuis septembre. Il a hérité de cette merveilleuse cohorte belliqueuse alors que ces adorables enfants découvraient le collège. Déjà pourtant, simplement en sixième, ils se firent remarquer et menèrent la vie impossible à un enseignant blanchi sous le harnais.

Ce collègue après de longues années en primaire, cumulant la responsabilité d'une classe et d'une direction, avait, pour rompre avec la monotonie et briser la routine, tenté l'expérience de la Segpa. Il s'était investi dans une formation pour concrétiser une inflexion de carrière dans la dernière ligne droite ; c'est dire qu'il était motivé …

Au bout du mécompte, il m'avoua avoir vécu une année terrifiante, sanctionnée qui plus est, par l'échec à l'examen professionnel qui aurait validé sa spécialisation nouvelle. Il est impensable de punir un professionnel quand manifestement c'est son public qui est en cause. Depuis, nos chers élèves ont épuisé bien d'autres enseignants, ont multiplié les rapports et la panoplie des punitions et sanctions. Ils ont perdu trois de leurs membres (3 conseils de discipline ; un, en sixième, deux en cinquième) , remplacés bien vite par d'autres qui se sont vite mis au niveau si je puis dire …

Le collègue m'a dit n'avoir jamais vécu pareille année de toute sa longue carrière, commentaire que je ne suis pas loin de partager désormais. Il se rappelle encore les prénoms de ceux et surtout de celles qui engendrèrent bien des cauchemars. Il faut dire qu'il devait garder cette joyeuse troupe 18 heures par semaine, ce qui relève de l'exploit. Il m'avoua que bien vite, il n'eut d'autre projet que de survivre, tout simplement, d'atteindre sans trop de casse psychologique, la fin de l'année pour s'enfuir en courant …

Puis il évoqua les collègues qui prirent la suite et qui, elles non plus ne restèrent pas dans cet enfer. Parties sans laisser d'adresse ou peu s'en faut. Un passage d'une année et la redoutable classe avait fait son œuvre. Lessivées, les suivantes avaient demandé leur mutation et nous sommes encore des enseignants à nous présenter face au peloton d'exécution …

En effet il n'y a rien d'autre à faire que d'attendre le coup fatal qui va, à chaque cours, transformer la classe en une pétaudière ingérable. L'adulte n'a d'autre prérogative que de faire en sorte que les élèves restent au sein des quatre murs tout en pensant à ne pas y laisser sa peau. Cette classe est démoniaque, folle, totalement irrespectueuse, sans limite ni humanité. Quelques élèves ordinaires y vivent eux aussi, un harcèlement journalier, tout en pâtissant de l'absence effective d'enseignement sérieux dans un tel contexte.

Déjà des élèves sont venus me voir pour me demander de ne pas dire du bien d'eux après un bon travail car ils auraient alors à encourir la vengeance des meneurs. L'adulte est démuni dans ce jeu de massacre, sans pouvoir quand le langage n'est qu'un flot d'insultes, impuissant devant le refus systématique de travailler et l'absence permanente de matériel. Je n'évoque pas les retards, les absences aux cours de 8 heures et les départs inopinés de classe sur un coup de tête.

Survivre et ne rien espérer d'un système totalement dépassé lui aussi par une configuration qui n'est pas prévue dans le manuel du management scolaire. Survivre et faire en sorte de ne pas s'en prendre plein la tête, survivre et ne pas y laisser sa santé. Le conseil est bon et l'art difficile. Comment faire abstraction ? Comment se mettre en mode débrayage une heure durant ? Comment supporter ce mercredi matin où je les ai trois heures de rang ? C'est proprement inhumain …

Qui sont-ils, allez- vous me demander ? Les fruits immatures d'une société qui ne fonde plus aucun espoir dans la scolarité. Les enfants d'une cassure définitive ; l'ascenseur social ne fonctionnant plus. Les rejetons de nos utopies passées, de la négation de l'autorité et de la foi inébranlable en la responsabilité individuelle. Enfin, ils ne sont pas les pièces éparses d'un grand puzzle mondial comme beaucoup aimeraient à le croire ; il y a une certaine homogénéité dans ce groupe. Ils sont presque pour moitié des enfants issus d'une communauté du voyage qui s'est sédentarisée sans parvenir à intégrer la culture de l'école obligatoire.

On devine bien que, passés quatorze ans, la scolarité est un fardeau, une contrainte sans perspective crédible, une obligation subie, un long moment pénible dépourvu de sens et de but. C'est bien là ce qui rend explosif un cocktail instable où le langage n'est en aucune manière un outil d'apaisement. L'absence de vocabulaire, le recours systématique à l'insulte et aux décibels, la culture de l'honneur qui suppose de riposter encore plus fort à toute agression supposée font que la classe est une cocotte-minute en ébullition.

Alors, oui, je dois à mon tour me satisfaire de sortir vivant de cette fournaise en ayant tué une heure, en ayant fait semblant, en ayant été un bon berger qui a gardé ses moutons dans l'enclos. Qu'importe si ce sont des fauves ; faisons semblant de croire encore que c'est jouable alors que nous ne leur offrons aucun espoir sérieux.

Fatalistement leur


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