Tuerie de Toulouse : Bayrou a-t-il été « ignoble » ?

par Sylvain Rakotoarison
mercredi 21 mars 2012

Il est temps d’avoir une véritable réflexion nationale sur le creuset républicain que constitue la nation. C’est ce qu’a proposé François Bayrou sans aucune volonté de récupération et avec un souhait farouche d’unité nationale : « Faire grandir la compréhension entre les Français, les citoyens, en tirant par le haut le débat politique ».

La plupart des candidats à l’élection présidentielle ont marqué un temps de pause dans leur campagne pour accuser le coup de l’émotion immense suscitée par la tuerie de Toulouse, l’assassinat de sang-froid de trois enfants et quatre adultes à Toulouse et à Montauban les 11, 15 et 19 mars 2012. Le lendemain a vu cependant démarrer une polémique qui paraît de fort mauvais goût.


De horrible à ignoble ?

À l’origine, sur France 2 le 20 mars 2012, Alain Juppé a affirmé : « Ce qu’il y a de bien dans la classe politique française, c’est que, jusqu’à aujourd’hui, elle a réagi avec dignité et dans un esprit d’union nationale. Alors, n’ajoutons pas l’ignoble à l’horrible. N’essayons pas de tirer parti dans un sens ou dans l’autre, dans quelque direction que ce soit, de ce drame qui n’a rien à voir avec la campagne électorale naturellement. ».

Alain Juppé a évidemment raison lorsqu’il a souligné qu’aucun candidat ne se distingue dans la réaction à avoir face à une telle barbarie, émotion, condamnation, compassion. En revanche, en critiquant implicitement les déclarations qu’a faites François Bayrou à Grenoble dans un discours le 19 mars 2012 devant deux mille personnes, je considère qu’il s’est trompé de cible, d’autant plus que le mot "ignoble" est très fort.

Sans s’être senti visé par ces propos, François Bayrou a réagi en ces termes : « Ces mots-là sont excessifs. Qui ne voit que la société française est malade ? Il faut que ce sujet du racisme, de l’antisémitisme soit traité et que cela cesse. Tout ce qui touche à la société française doit être pris en compte dans la campagne présidentielle. ».

Après de longues interrogations et après s’être rendu sur les lieux du carnage, François Bayrou avait en effet décidé de maintenir finalement son meeting à Grenoble dans la soirée. Il a voulu respecter ceux qui s’étaient déplacés pour s’y rendre mais il n’a pas voulu en faire un meeting électoral à proprement parler mais plutôt un partage d’émotion et de réflexions sur l’acte terrible qui a endeuillé la France entière le matin même : « C’est pour moi une très importante réunion de réflexion nationale. ».


Ils roulent comme une avalanche

Et qu’a dit François Bayrou à Grenoble ?

Qu’il était très inquiet de l’évolution de la société française où des actes isolés de haine communautaire deviennent de plus en plus fréquents : « Ce type de folie s’enracine dans l’état d’une société et ce qui me frappe depuis longtemps, c’est que dans la société française, ce type d’atteintes, d’attentats, d’actes se multiplient. » en rappelant la vie quotidienne de la communauté juive : « des injures, des menaces, des cocktails Molotov et des écoles obligées de vivre derrière des portails blindés ».

Pour François Bayrou, ce climat de haine va croissant : « Il y a un degré de violence, de stigmatisation dans la société française qui est en train de grandir, et c’est purement et simplement inacceptable. ».

Sans viser un candidat particulier, François Bayrou a développé assez crûment : « Le fait de montrer du doigt les uns et les autres en raison de leur présence dans le pays, de leur origine, de leur situation sociale, c’est d’une certaine manière faire flamber ce genre de passion, ce genre de sentiment. (…) Attention, ce n’est pas un bon service à rendre à la société française que de passer son temps à opposer même artificiellement, même électoralement, les gens les uns aux autres. ».


Il a explicité en pesant ses mots : « On lance des sujets dans le débat, on prononce des mots et ces mots-là, après, ils roulent comme une avalanche et quelquefois, ils tombent sur des fous. ».


Ce sont nos enfants

Cet état de sensibilité de la société rend encore plus criant le besoin d’unité nationale : « Notre responsabilité (…), c’est au contraire, au lieu d’attiser les passions, de faire baisser les passions, au lieu de nourrir les affrontements, de cultiver la compréhension réciproque. Et c’est très important dans les temps de crise que nous vivons parce que les temps de crise rendent les hommes plus fragiles et les sociétés plus encore. ».



François Bayrou a précisé aussi l’importance de voir dans cet acte de barbarie une attaque à la notion la plus profonde de la nation, assimilée à une grande famille : « Ce ne sont pas les enfants d’une communauté particulière, ce sont nos enfants, ce sont les enfants de France, sur le sol de France. Ce n’est pas une partie de la nation qui est atteinte, c’est toute la national qui est atteinte. C’est une famille un pays, et on le sent mieux aujourd’hui qu’à n’importe quel moment. (…) Il n’y a qu’une seule réponse, c’est que l’on se serre les coudes et que l’on s’entraide les uns les autres. (…) Tout le monde sent bien maintenant, dans les moments graves que nous vivons, qu’au fond, pour s’en sortir, il va falloir que l’on accepte d’être ensemble au lieu d’être perpétuellement les uns contre les autres. Et ceci n’est pas un message électoral, c’est un message national. ».


La République doit élever les citoyens et pas les abaisser

Il a rappelé l’urgence d’une attitude d’unité et pas de division : « Je vous assure que, cet après-midi, dans une telle émotion et devant un tel drame à Toulouse, on avait envie d’unité nationale. On avait envie de responsables qui, tout d’un coup, se rendent compte à quel point l’essentiel, nous l’avons en commun, l’essentiel ne nous divise pas, l’essentiel nous rassemble (…). C’est vrai pour la crise économique, c’est vrai pour la crise sociale, c’est vrai pour la crise éducative, c’est vrai pour la crise démocratique, c’est vrai pour la crise morale et c’est vrai pour la crise nationale que nous rencontrons. ».

Après avoir rappelé Jean Jaurès qu’il avait cité à Toulouse dans un meeting le samedi 10 mars 2012 devant trois mille personnes : « La République prend son vrai sens lorsqu’elle élève les citoyens au lieu de les abaisser. », François Bayrou a fustigé l’électoralisme et la démagogie qui font entrer dans le débat politique « des sujets [secondaires] qui, au fond, ne cherchent qu’une seule chose, c’est de verser de l’essence sur le feu pour que le feu flambe parce qu’on croit que, dans ce feu-là, il y a beaucoup de voix à prendre ».




On ne peut pas continuer comme cela !

À Valence le 20 mars 2012, François Bayrou a tenu à repréciser ses propos grenoblois : « Ce n’est pas avec une parenthèse de trois jours qu’on mettra un terme [à l’intolérance]. Je ne pense pas à ces événements de façon électorale mais nationale. » en insistant : « Ce climat d’intolérance croissant, il faut y mettre un terme. C’est la responsabilité du Président de la République et du futur Président de la République de dire aujourd’hui : on ne peut pas continuer comme cela ! ».

Il a ajouté : « Les responsables religieux ont exprimé tout au long de la journée [de lundi] les craintes qui sont les leurs sur la montée des intolérances dans la société française. C’est un sujet d’inquiétude depuis des mois. (…) Ce sujet doit être traité durant la campagne présidentielle. La responsabilité du futur Président de la République doit être de faire grandir la compréhension entre les Français, les citoyens, en tirant vers le haut le débat politique et en protégeant ainsi toutes les communautés au sein de la communauté nationale. Ce qu’il faut favoriser et entraîner, c’est l’unité du pays. ».


Questions graves et responsabilité collective

Le journal "Le Monde", qui ne peut pas être soupçonné de bayrouisme extrême, a, le 20 mars 2012 dans la soirée, rendu hommage à ces déclarations pleines de bon sens de François Bayrou : « Il a maintenu le meeting prévu lundi soir. Cela a pu choquer. À tort. Car le candidat centriste a posé, gravement, des questions fortes. (…) La charge est violente. Elle vise une responsabilité collective. Tant il est clair que le rejet de l’autre, plus encore, la haine de l’autre, est un poison mortel pour la République. ».

Espérons que la forte émotion et la prise de conscience à la suite de la tuerie de Toulouse puissent au moins avoir cette conséquence : que l’ensemble de la classe politique, et plus particulièrement les dix candidats à l’élection présidentielle soient particulièrement motivés pour élever les citoyens, selon les mots de Jaurès.


Aussi sur le blog.

Sylvain Rakotoarison (21 mars 2012)
http://www.rakotoarison.eu


Pour aller plus loin :
Unité nationale.
Refonder la démocratie.
L’État impartial.
Ne pas stigmatiser.
Discours de François Bayrou à Grenoble le 19 mars 2012 (texte intégral).
Vidéo de François Bayrou à Grenoble le 19 mars 2012.
Éditorial du journal "Le Monde" sur Bayrou et la tuerie de Toulouse.


Lire l'article complet, et les commentaires