Zemmour : quand le tribunal se tire une balle dans le pied

par Catherine Segurane
samedi 19 février 2011

Eric Zemmour vient d'être condamné par le Tribunal Correctionnel de Paris pour ses propos sur l'origine des délinquants et sur le droit supposé d'un employeur à embaucher comme il veut. Les bases juridiques des jugements (car il y en a deux) ne seront parfaitement connues que lorsqu'on en aura le texte, mais elles paraissent d'ores et déjà surprenantes, empreintes de contradictions et même à la limite du masochisme.

L'article le plus riche en informations sur ces décisions est celui de Marianne, dont le journaliste dit avoir eu en main un exemplaire de travail du texte du jugement.
 
Deux séries de propos ont valu à Eric Zemmour cette condamnation.
 
Premiers propos incriminés :
 
Les premiers propos incriminés sont cette phrase prononcée sur Canal + :
« Mais pourquoi, on est contrôlé 17 fois ? (…) Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes... C’est un fait ».
 
La décision du tribunal est des plus alambiquées. Celui-ci blanchit Zemmour de l'incrimination de diffamation raciale, mais, en même temps et pour les mêmes propos, il le condamne sur une autre base. D'après Marianne, article précité, Eric Zemmour est relaxé du chef de diffamation :
 
" Dans son délibéré, la présidente Anne-Marie Sauteraud a déclaré au contraire que ces propos « n’imputent aucun fait » à une communauté. C’était l’argumentation de la défense lors du procès en janvier. Le Tribunal, dans son jugement dont Marianne2 a pu consulter une « copie de travail », reconnaît cependant le « caractère abrupt et sans nuance du propos qui a pu choquer de nombreuses personnes et même meurtrir par sa brutalité ».
 
Zemmour est cependant condamné, pour ces propos, pour incitation à la discrimination :
 
"Sur les mêmes propos, le Tribunal a en revanche reconnu Eric Zemmour coupable de « provocation à la discrimination » selon l’accusation de l’UEJF. Dans son délibéré, la présidente a estimé que le chroniqueur, par ses propos, « justifie une pratique discriminatoire illégale » les contrôles au faciès par une sureprésentation des « noirs et arabes  » parmi « les trafiquants ». Dans son réquisitoire, la procureure Anne de Fontette avait à l’inverse demandé une condamnation pour diffamation mais pas pour « provocation à la discrimination » 
 
Donc, d'après ma compréhension de cet article et pour la Présidente (la Procureure étant d'un autre avis), il ne serait pas diffamatoire de mentionner la possible sur-représentation de certains groupes dans la délinquance, mais il ne faudrait pas pour autant en tirer la conclusion que la police pourrait surveiller davantage ces groupes car alors, ce serait appeler à la discrimination.
 
Seconds propos incriminés :
 
Les seconds propos incriminés, prononcés sur France O, ont consisté à répondre « C’est leur droit  » à un intervenant qui dénonçait les employeurs demandant aux agences d’intérim de ne pas leur envoyer des personnes noires ou d’origine maghrébine. 
 
Pour les propos, Zemmour a été déclaré coupable de « provocation à la discrimination ». Dans son jugement, dont nous rappelons que Marianne, notre source, a eu en mains un exemplaire "de travail", le Tribunal a estimé que ses propos sur les discriminations à l’embauche présentent « comme légitime un propos qui ne l’est pas  ».
 
Cette condamnation est assez incomprésensible si on la rapproche d'une décision de sens diamétralement opposé prise par le même tribunal correctionnel de Paris dans une affaire très similaire.
 
On se souvient peut-être de ces propos d'Anne Lauvergeon, patronne d'Areva :
« A compétences égales, eh bien désolée, on choisira (...) la femme, ou on choisira (...) autre chose que le mâle blanc pour être clair »
 
L'AGRIF avait vu dans ces propos l'intention de « pratiquer chez Areva une discrimination à l'encontre de ce qu'elle appelle ‘le mâle blanc’, c'est-à-dire sur un critère racial. »  ; elle avait engagé des poursuites, et elle a été déboutée.
 
Le tribunal estima que l'infraction n'était pas constituée, Anne Lauvergeon n'ayant eu aucune « volonté de stigmatiser un groupe de personnes », ni « l'intention de susciter à leur égard un sentiment d'hostilité ou de rejet »
 
Des jugements difficiles à comprendre
 
Supposément rendus au nom du peuple français, les jugements sont difficiles à comprendre et témoignent du fossé croissant qui s'installe entre le peuple et ses prétendues élites.
 
Sur le premier sujet, le tribunal aurait du se rendre compte que certains comprendront : "Interdiction à la police de chercher prioritairement les délinquants là où l'on sait pourtant qu'ils ont le plus de chances de se trouver. Tant pis pour les victimes."
 
Sur le second sujet, certains comprendront que la discrimination sur la base de la couleur est autorisée quand elle défavorise les blancs et condamnée dans le cas contraire.
 
Il serait à souhaiter, dans l'intérêt de la loi, qu'Eric Zemmour fasse appel, ne serait-ce que pour que ces jugements soient remis d'aplomb.
 
Mais il y aurait tant d'autres choses qui auraient besoin d'être remis d'aplomb ...

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