Des « banlieues roses » au secours de la gauche ?

par Luniterre
mardi 18 juin 2024

 

"Pourquoi les électeurs qui se sont exprimés le 9 juin voteraient différemment le 30 ?" C’est la question avec laquelle le JDD présente son dernier sondage, selon lequel le RN poursuit son avance, à 35% des intentions de vote. (*)

Question qui semblait donc recevoir une réponse d’évidence si ce n’est qu’entre temps, après avoir été médusée par l’annonce de la dissolution la France s’est à nouveau trouvée médusée par la naissance d’un "Nouveau Front Populaire", dont on ne sait pas encore trop s’il s’agit d’une "résurrection" ou d’un fantôme…

Que son existence soit ou non éphémère, vraisemblablement simplement destinée à capter en vue du premier tour un maximum des voix des électeurs d’une gauche atomisée depuis des lustres, il occupe donc logiquement un vide devenu "central" dans la vie politique française, depuis le chambardement que lui a infligé la macronie, sans finalement être capable de l’occuper utilement elle-même.

Mais un autre vide laissé dans la vie politique française est celui créé par l’effacement du PCF, autrefois supposé être le représentant historique de la classe ouvrière et des classes populaires. Dans une France qui était encore une puissance industrielle ce parti puisait l’essentiel de sa force dans les grandes ceintures péri-urbaines où se mêlaient cités de logements sociaux et zones industrielles aujourd’hui disparues, pour l’essentiel.

Dans l’attelage improbable du "Nouveau Front Populaire" LFI pourrait-elle se glisser dans la peau du fantôme d’un "parti prolétarien" capable de redonner des couleurs à ce qui fut autrefois la dite "banlieue rouge" ? En fait, si LFI est elle-même infiltrée de diverses tendances groupusculaires plus ou mois trotskysantes, dont les restes "hérités" du groupuscule trotskyste "lambertiste" dans lequel Mélenchon lui-même a commencé sa carrière politique en 1972, il est difficile de présenter LFI comme une "réincarnation" du PCF, alors qu’elle tient bien davantage, même si à échelle réduite, des "grandes heures" du PS à "tendances" multiples…

Ainsi le groupuscule POI, l’un des "infiltrés" dans LFI, et lui-même "multi-tendances", dont une "lambertiste", croit néanmoins pouvoir discerner, dans les résultats des "européennes", ce qui serait donc selon lui une sorte de "résurrection", là aussi, des "banlieues rouge" du passé, du fait du vote assez favorable à LFI de quelques zones urbaines qui furent autrefois des fiefs du PCF. Mais LFI étant plutôt une sorte d’ersatz de ce que fut l’"aile gauche" du PS, pour ne pas dire l’un de ses "avatars", sinon carrément de ses avortons, c’est donc bien plutôt de l’émergence éventuelle d’une "banlieue rose" dont il faudrait parler…

"Il s’agit pour ces villes de ce qui s’appelait autrefois la « ceinture rouge », hier bastions du PCF, aujourd’hui de LFI. Une seule conclusion s’impose à la lecture de ces résultats : c’est bien une polarisation de classe qui s’est manifestée derrière le vote LFI." (*)

Pour un groupuscule "multi-tendances" lui même infiltré dans un parti "multi-tendances", lui-même désormais attelé pour survivre dans un conglomérat disparate lié essentiellement par la nécessité de sauver ses "sièges" à l’Assemblée, ça peut effectivement faire du bien de rêver un peu…

Rêver de "banlieues rouges" en 2024, quand on se prétend "marxiste", pourquoi pas ?

Rêver un peu, ça aide à vivre dans les temps difficiles, mais le propre du matérialiste dialectique reste tout de même de regarder la réalité en face. Qu’il y ait une amorce de conscientisation ouvrière dans les banlieues est évidemment une très bonne chose, ce qui n’empêche pas de la replacer dans le contexte réel du XXIe siècle et non pas précisément dans le contexte fantasmé d’une sorte de survivance de la « banlieue rouge » comme le fait ce groupuscule trotskyste.

La structure économique et sociale de la « banlieue rouge » reposait sur un tissu industriel constitué de grandes unités de production qui regroupaient sur un même lieu de travail des centaines, des milliers, et même plusieurs dizaines de milliers d’ouvriers, dans les plus grandes usines.

Or ce tissu industriel a quasiment complètement disparu en Ile de France, et s’est réduit comme peau de chagrin, ailleurs.

La classe ouvrière des banlieues qui survit encore en tant que telle se réparti essentiellement entre la construction et des métiers de services. Le fait est qu’en termes de composition sociale elle est essentiellement issue de l’immigration et son expression politique habilement récupérée par Mélenchon/LFI sur le thème d’une très relative solidarité avec la Palestine trouve donc ses limites dans le score actuel de cette formation.

C’est donc malheureusement bien davantage une « communautarisation » qu’une conscientisation, même si les deux ne sont pas forcément exclusifs l’un de l’autre.

La vraie barrière à franchir pour réunifier les deux « communautés » entre lesquelles le système a réussi à diviser la classe ouvrière reste donc encore à franchir. Pour l’instant au vu de l’évolution des derniers sondages, la dynamique « électorale » semble assez nettement se poursuivre en « faveur » du RN, même si ce n’est pas ce qu’espéraient les organisations syndicales et politiques « de gauche », dont LFI, qui ont réussi une très relative « mobilisation » dans les rues, samedi, à l’appel notamment de cinq grandes confédérations syndicales.

La division communautaire de la classe ouvrière a commencé dès les années 70, alors que le tissu industriel ne faisait qu’amorcer son déclin en France. C’est donc à cette époque que la gauche et les syndicats auraient du faire face au problème lucidement, au lieu de laisser la place à l’extrême droite qui s’est infiltrée dans la brèche dès sa « refondation » et n’a cessé de progresser depuis.

Que les syndicats lancent des appels à l’unité « antifasciste » aujourd’hui et lancent dans les rues une partie des travailleurs contre un résultat électoral essentiellement dû à une autre partie des travailleurs, et qui ne plait pas aux bureaucraties syndicales, cela constitue donc en réalité un paradoxe en termes de prétention à la démocratie et provoque finalement plutôt l’effet inverse, vu la progression encore accrue du RN dans les récents sondages, et encore renforcée, semble-t-il donc, par l’augmentation estimée de la participation. Ce qui est logique dans la mesure où les « abstentionnistes » sont par définition essentiellement un réservoir de votes « antisystèmes » qui vont s’agglomérer avec ceux qui pratiquent déjà régulièrement cette démarche du « vote RN de protestation ».

Le mouvement supposé d’ « agglomération » du vote communautaire et du vote de la petite bourgeoisie gauchisante suffira-t-il à inverser la tendance en se présentant sous le déguisement d’un « remake » du front populaire ?

Pour l’instant le RN est encore seulement en limite de pouvoir constituer une majorité, et le cas le plus probable reste que le pseudo-« nouveau front populaire » bradera l’essentiel de son programme démagogique entre les deux tours pour une alliance réaliste et pragmatique, même si cette fois déguisée en « front républicain » avec les restes de la macronie et les rescapés de LR plus ou moins « récupérés » par la force des circonstances.

Verdict dès le dimanche 30 juin, pour l’essentiel de la future assemblée…

Mais le problème de fond de la vie politique française, lui, sera toujours sans solution…

A rappeler encore que la logique de la mobilisation « antifasciste » implique normalement que la « gauche » aille au bout cohérent de cette démarche en exigeant et en manifestant carrément pour l’interdiction et la dissolution du RN, en tant que formation politique supposément « fasciste ».

Pourquoi ne le fait elle pas ? Aujourd’hui, amorcer une telle démarche alors que ses dirigeants sont pour ce qui les concerne parfaitement conscients du vote ouvrier et populaire en faveur du RN, ce serait évidemment une sorte de suicide politique, outre le fait de se mettre en position d’être ouvertement les initiateurs d’une quasi guerre civile opposant une partie des travailleurs à une autre.

C’est pourtant exactement ce qu’ils font, de manière hypocrite et sournoise, sans bien évidemment pouvoir l’assumer ouvertement, et depuis très longtemps.

A rappeler que la plus grande « tolérance » à l’égard de l’extrême-droite a logiquement été initiée par François Mitterrand, ce « rescapé » du pétainisme, qui lui devait le « petit plus » en termes de voix nécessaires à son élection de 1981. Ensuite, ce « pacte avec le diable » étant scellé la « gauche » y a eu régulièrement recours pour pouvoir agiter l’épouvantail du « fascisme » sans jamais prendre de mesure réelle pour inverser la tendance, laissant le « vote de protestation » FN devenir son alter ego consubstantiel à chaque élection ou presque.

Si le « Nouveau Front Populaire » a le moindre bout de « racine historique », ce n’est jamais que le rôle de pompier pyromane joué à fond par la « gauche » depuis des décennies.

En fait de "rôle historique de la gauche", il s’agit plutôt, aujourd’hui, sous le déguisement du prétendu « Nouveau Front Populaire » d’un rôle hystérique.

Luniterre

 

(* Article, sondage et liens in :

C’est bien de rêver un peu… Mais qu’en est-il vraiment de ce "Nouveau Front Populaire" ?

http://cieldefrance.eklablog.com/c-est-bien-de-rever-un-peu-mais-qu-en-est-il-vraiment-de-ce-nouveau-fr-a215929255 )

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Le "Nouveau Front Populaire" contre la Classe Ouvrière ???

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Le "Nouveau Front Populaire" déjà "En Marche" !

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Source du présent article :

http://cieldefrance.eklablog.com/des-banlieues-roses-au-secours-de-la-gauche-a215929957

 

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