Grèce : l’exception qui anticipe la règle

par maltagliati
lundi 23 janvier 2012

La nouvelle la plus importante du vendredi 13 janvier 2012 n’était donc pas la fin du triple A français, mais l’interruption des négociations à Athènes sur le prêt de 130 milliards € qui doit absolument être finalisé avant le 20 mars si la Grèce doit continuer à faire face à ses paiements. Depuis, ces négociations ont repris. En voici les tenants et aboutissants.

Le processus de négociation en cours implique de mettre d’accord tous les participants du système, États et financiers (banques et fonds d’investissement). La chose n’est pas aisée, et ce d’un double point de vue : régler un cas en soi tout à fait périphérique – on l’a dit et on le redira, la Grèce représente par rapport à l’économie européenne à peu près ce que représente l’agglomération de Miami par rapport à l’économie américaine – mais un cas exemplaire, car il va en quelque sorte faire jurisprudence si l’on peut dire, tracer une voie pour le Portugal, l’Irlande, l’Espagne, l’Italie… la France !

La décote de 21% consentie à l’été dernier, était de caractère volontaire, c’est-à-dire consentie avec le consentement des créditeurs. Deviendra-t-elle une décote de 50 à 75%, et de caractère obligatoire ? On se rend compte actuellement que bien sûr l’austérité grecque a fait plonger l’économie réelle et a développé une importante récession qui accroît les difficultés budgétaires de l’État. Si le plan de sauvetage veut rester crédible, il faut donc accroître la décote. On s’est de plus rendu compte sur l’autre volet de la question, son extension au reste de la zone euro, que la simple conclusion de l’accord sur la dette grecque en octobre dernier a déclenché un vent de panique sur le marché obligataire tout entier, les uns se débarrassant à vil prix de tous leurs avoirs en obligations souveraines, les autres les rachetant à cette cotation dévaluée, soit pour soutenir le marché (Banques centrales) soit dans l’espoir de les revendre à meilleur compte (certains hedge funds).

Personne n’envisage plus que les États soient en mesure de faire face à leurs obligations et de rembourser au pair. Si on part donc de l’affaire grecque comme d’un modèle pour les négociations à venir, toute la question porte aujourd’hui, hormis le taux de la décote, sur la question des assurances (Credit default swaps). Le taux déterminera la part prise dans la résorption de la dette par les États ou par les financiers, la question des assurances déterminant, elle, qui supportera la charge dans le monde financier. Un préaccord avait certes été conclu à Athènes, mais il a été refusé le vendredi 13. Mais ni les dirigeants européens, ni les émetteurs de CDS sur la dette grecque, ne peuvent se permettre un défaut, les uns pour la tache d’huile qu’il répandrait, les autres pour son coût. Quoi qu’il en soit, les intérêts des uns et des autres sont bien opposés et c’est de là que provient toute l’âpreté des négociations. Les commentateurs les plus avisés se refusent à tout pari sur leur issue. Les agences de notation aussi, puisque Standards & Poor vient de dégrader le FESF de AAA à AA+ , rendant plus aléatoire son aptitude à financer les plans de sauvetage en cours et son apport éventuel dans le processus de recapitalisation des banques.

Mercredi soir 18 janvier, le bureau du Premier ministre grec a annoncé que les discussions avec les créanciers avaient repris. Laborieusement. Le calcul de ceux qui refusent ces propositions est simple : ils attendent soit que la Grèce n’honore pas son échéance, avec pour conséquence l’activation des CDS et le remboursement de leurs pertes par les émetteurs de ceux-ci ; soit d’être remboursés par le gouvernement grec à la valeur nominale, si suffisamment d’autres investisseurs acceptent la décote qu’eux refusent, le plan de sauvetage fonctionnant alors. Dans les deux cas, un bénéfice substantiel est à la clé, surtout pour ceux qui viennent de racheter ces obligations à vil prix. Afin de faire rentrer tout le monde dans le rang, l’adoption de clauses d’action collectives par le Parlement grec – qui reviendrait à supprimer le caractère volontaire de la contribution des créanciers – a été agitée comme une menace, mais cette arme serait à double tranchant, car elle pourrait rendre nécessaire l’activation des CDS, ce qui reviendrait à constater un défaut et à pénétrer en territoire inconnu.

Car de cette négociation « grecque » va émerger le climat général du marché obligataire pour l’année à venir. L’essentiel des obligations d’État européennes « roule » aujourd’hui avec des dates d’échéance relativement courtes, ce qui implique le renouvellement d’une bonne partie d’entre elles chaque année. Ce sont des sommes astronomiques que tant les États que les banques vont devoir lever en 2012, avec comme conséquence pour les banques en situation très difficile qu’elles n’auront donc pas un liard à avancer à l’économie réelle… d’où la récession… d’où de nouveaux plans de sauvetage… Décidément, dans la situation actuelle, on ne semble pouvoir boucher un trou qu’en en creusant un autre !

Maltagliati


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