Les Ivoiriens vont-ils y voir clair ?

par olivier cabanel
jeudi 11 novembre 2010

La Côte d’Ivoire est de nouveau face à son destin.

Elle va élire son prochain président.

Va-t-elle parvenir à se libérer enfin du carcan protectionniste de la France, et à arrêter par la même occasion la corruption qui la ronge ?

Cette ancienne colonie française, devenue « indépendante » le 7 aout 1960, s’est trouvée sous l’autorité pendant de longues années de Félix Houphouët-Boigny, un médecin de 55 ans, militant syndical, devenu planteur de cacao.

Il aura été l’artisan d’une loi qui porte son nom, permettant l’abolition du travail forcé dans les colonies. lien

Il faut rappeler que la pratique de l’esclavage a perduré en Côte d’Ivoire jusqu’au 19ème siècle.

Par contre, si apparemment Houphouët-Boigny  semblait avoir rompu les liens avec la communauté française, il avait gardé d’étroites relations avec Paris. lien

Le cacao (la Côte-d’Ivoire en est le premier producteur mondial) et le café sont les moteurs économiques du pays, sans oublier l’exploitation forestière intensive. En 1957, la foret s’étendait sur 21 millions d’hectares, elle en fait 600 000 aujourd’hui. lien

L’ivoire, qui a donné son nom au pays, en a représenté pendant longtemps l’une des richesses, mais malgré l’interdiction de son commerce, plus de 1500 kilos d’ivoire sont en vente libre sur les marchés d’Abidjan. lien

Faisons un petit flashback.

L’église, on le sait, a toujours été le fer de lance de la colonisation : des missionnaires (et des commerçants français) s’y sont installés en 1687.

Sous le prétexte de la « civiliser », la France va en faire une colonie autonome le 10 mars 1893, provoquant ainsi une résistance locale importante et sanglante jusqu’en 1920. lien

Va commencer alors une longue période d’exploitation du pays, avec au programme recrutement par travaux forcés (Kola, bois, caoutchouc, café, cacao), pour le plus grand profit de la France. Il s’agit donc d’esclavage.

Pas rancuniers pour autant, de nombreux volontaires ivoiriens vont s’engager aux cotés du Général de Gaulle dans la Résistance. lien

Après la seconde guerre mondiale, les Ivoiriens obtiendront enfin la suppression du travail forcé grâce aux lois « anti-coloniales » qui provoqueront la colère des colons, et la déception des colonisés, qui auraient préféré que les lois aillent bien plus loin.

Ces derniers n’obtiendront gain de cause qu’en 1960, grâce à Houphouët-Boigny. lien

Arrive alors la crise de 1980.

Elle a pour origine essentielle d’une part la corruption et d’autre part la chute des cours mondiaux du cacao.

La « Caisse de stabilisation » est un organisme public qui gère l’achat et la vente du cacao, et qui a réalisé des gains énormes pendant les années de prospérité. lien

Mais lorsque les Ivoiriens se tournent vers elle pour répondre à cette chute des cours, ils constatent avec dépit que la trésorerie de cet organisme a été pillée par les dirigeants du pays.

Cette crise provoquant l’accroissement de la dette, (malgré un taux de croissance de 4% ) due à une mauvaise gestion va pousser l’omni Président Houphouët-Boigny à appeler à son secours Alassane Ouattara.

Celui-ci, appelé ADO par ses fans, a été directeur du département Afrique au FMI, puis gouverneur de la BCEAO (Banque Centrale de l’Afrique de l’Ouest) lien

Une certaine anarchie régnait dans le pays : il était courant que des membres de l’administration ou du gouvernement perçoivent plusieurs salaires.

Ado accepte la mission et demande d’avoir les mains libres, promettant de sortir le pays de la crise en 1000 jours.

Il déclenche des audits pour plusieurs sociétés d’état, et décide d’un plan d’austérité avec l’accord de la Banque Mondiale et du FMI.

Il va donc diminuer drastiquement les salaires des membres du gouvernement, (le salaire des ministres sera divisé par deux) des élus, des fonctionnaires, faire rentrer des arriérés d’impôts, (au grand dam de la communauté Libanaise obligée de payer son du), supprimer les véhicules de fonction inutiles et freiner la corruption.

Il décide d’une contribution de solidarité dans le service privé.

Il organise la vente des voitures de service à leurs principaux utilisateurs, provoquant une sérieuse économie de frais d’entretien, et la disparition des « bons essence ».

Toutes ces actions vont lui permettre de réussir en six mois à redresser la barre. lien

Cet exemple pourrait servir en France où l’on se dit que ce ne serait pas une mauvaise idée de s’en inspirer afin de freiner la faillite actuelle.

Entre les salaires mirifiques que les ministres reçoivent, avec celui du président en tête, lequel on s’en souvient à augmenté son salaire de 206%, de conséquentes économies pourraient être réalisées.

On se souvient que l’Elysée à fait passer son budget de communication de 6 millions d’euros sous Chirac à 27 millions en 2010.

L’Elysée emploie plus de 1000 personnes et on connait les nombreux dérapages financiers du gouvernement : 280 000 euros de fleurissement de 300 mètres carrés de salons élyséens, 24 milliards pour des sous-marins nucléaires, etc.

Mais revenons à Alassane.

Il va donc gouverner le pays pendant trois ans, jusqu’à la mort  d’Houphouët-Boigny le 7 décembre 1993.

En effet, à sa mort, devant la pression et les menaces, ADO va démissionner et retrouver son poste au FMI, laissant la présidence à Aimé Henri Konan Bédié, qui est à ce moment président de l’assemblée nationale.

Dés cet instant, la Côte d’Ivoire va reprendre ses mauvaises habitudes, et retomber dans une profonde crise, qui va provoquer la dévaluation de 1994.

Marie France Jarret et François Régis Mahieu racontent çà très bien dans leur livre :

« La Côte–d’Ivoire : de la déstabilisation à la refondation » (éditions de l’Harmattan janvier 2002). lien

Cette dévaluation est le fait de la France, qui comme on le sait, a accroché le franc CFA au franc français, ce qui lui permet de maintenir ses anciennes colonies dans une relation de dépendance.

Alassane Ouattara laisse entendre qu’il pourrait être candidat à la présidence, ce qui va lui attirer les foudres de Bédié, qui voit en lui un dangereux concurrent.

Pour l’écarter, il fait valoir « le concept d’ivoirité » selon lequel on est ivoirien seulement si on peut justifier de 4 grands parents nés en Côte d’Ivoire, ce qui n’est pas le cas d’Alassane.

Bédié sera donc élu Président en 1995.

Mais le 24 décembre 1999, le général Robert Guéï provoque un coup d’état, et prend le pouvoir.

De nouvelles élections doivent avoir lieu.

Ouattara, Bédié et Gbagbo sont candidats.

Laurent Gbagbo, est un ancien opposant d’Houphouët Boigny.

Lors des législatives du 30 décembre 1996, il avait été réélu dans sa circonscription, faisant de lui un challengeur présidentiel.

Gbagbo et son parti savent pourtant qu’ils n’ont aucune chance de gagner face à Ouattara, très populaire dans les sondages.

Alors, pour le déstabiliser, Gbagbo ressort « le concept d’ivoirité »

Il lance une campagne de calomnies contre Ouattara, mettant des doutes sur l’origine de sa fortune, le menaçant même d’un mandat d’arrêt.

Pour être sur de sa victoire, il oblige la Cour Suprême à invalider la candidature d’Ouattara.

Il est élu le 26 octobre 1999, devant le général Guéï, qui d’abord conteste le résultat, et finit par l’admettre le 13 novembre.

Le 4 décembre 2000, une manifestation monstre paralyse Abidjan  : les « forces de l’ordre » tirent dans la foule qui riposte, et il y aura une trentaine de morts.

Aux 4 coins de la Côte d’Ivoire, le drapeau national est descendu.

Le message que la population veut faire passer est clair : si Ouattara n’est pas Ivoirien, alors nous non plus nous ne le sommes pas.  lien

De nombreux désordres vont suivre, provoquant des morts, des pillages, l’intervention de l’armée française qui va ouvrir le feu, faisant une soixantaine de morts, jusqu’à une période de calme relatif. lien

Les résultats du premier tour de l’élection présidentielle ont été donnés le 6 novembre 2010. Gbagbo et Ouattara sont face à face, une fois de plus, et Bédié va jouer les arbitres.

Il déclare soutenir Alassane, lequel devrait logiquement l’emporter, mais l’Afrique est un continent mystérieux qui peut nous réserver bien des surprises. lien

En secret, la France pourrait aussi mettre son grain de sel, car malgré les promesses présidentielles qui clamaient en 2007 la fin de la France-Afrique : « il faut débarrasser nos relations des réseaux d’un autre temps (…) tourner la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés  », (Sarközi l’a répété le 31 mai 2010), (lien) on a assisté à plusieurs reprises à un décalage important entre les paroles présidentielles et la réalité, ce qui n’a pas échappé aux peuples africains. lien

Résultat définitif le 21 novembre. Car comme dit mon vieil ami africain :

« Tout à une fin, sauf la banane qui en a deux  ».

L’image illustrant l’article provient de « histoiregeocrpe.over-blog.com


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