10 ans après (4/6) : l’oligo-libéralisme financier encore plus fort

par Laurent Herblay
jeudi 24 janvier 2019

Il y a dix ans, le déversement de milliards pour sauver le système financier alors que la population souffrait des conséquences de la crise avait montré que ce système capitaliste, où « pile nous gagnons, face, ils perdent  », était malsain. Bien sûr, quelques réformes ont été mises en place, mais elles restent dérisoires, comme le montre le renforcement de l’oligarchie depuis 10 ans.

 

A pousser les plus libéraux vers la lutte des classes
 
Avant 2008, l’analyse du caractère de plus en plus oligarchique de notre système économique était assez peu courante. Depuis la crise, c’est devenu un sujet important de la science économique. Même la bible des élites globalisées, The Economist, ne peut pas ignorer les innombrables signes de dysfonctionnements du système économique, sans pour autant arriver à le remettre en cause. Plusieurs fois, l’hebdomadaire a dénoncé un niveau de profits trop élevés, le signe que les marchés manquent de concurrence, à leur sens, et que les entreprises extraient trop de profits par rapport à l’ensemble de la création de valeur. La première alerte date déjà d’il y a six ans, elle a été répétée il y a deux ans.
 
 
En 2018, l’hebdomadaire a enrichi son analyse en dénonçant spécifiquement la trop grande concentration du marché britannique. Il a publié un graphique particulièrement intéressant sur l’évolution du ratio entre le prix des produits et services vendus et leur coût de fabrication de 1985 à 2016, montrant qu’il y a 30 ans, ce ratio dépassait rarement 1,5 alors qu’il n’est pas rare d’atteindre 3 aujourd’hui. Ce phénomène n’est pas spécifique à notre voisin, mais semble assez généralisé, comme le montrait un autre papier, remettant en perspective les gesticulations anti-concentration de la commission, qui, en pratique, laisse faire tant de rachats (Monsanto-Bayer, STX-Fincantieri, Alstom-Siemens).
 
 
 
Les multinationales sont doublement gagnantes : non seulement elles se concentrent pour gagner du pouvoir sur leurs marchés, mais en outre, le démantèlement des lois de protection des travailleurs et la concurrence internationale permet de pressurer toujours plus les coûts, le comble étant atteint par la nouvelle économie qui créé des emplois pour recharger les trottinettes électroniques. Les chiffres deviennent de plus en plus extravagants : chaque année, les records sont battus, au point que certaines, comme Apple, peuvent gagner plus de 10 milliards en un trimestre, et les banques étasuniennes plus de 60 milliards de profits, toujours en un seul trimestre ! Cela permet une distribution record de dividendes, près de 500 milliards de dollars sur le seul deuxième trimestre, en hausse 12,9% en un an.
 
 
Et pour couronner le tout, le taux d’imposition sur ces profits gigantesques (à 50% aux Etats-Unis et en France il y a 40 ans) ne cesse de baisser, dans une course sans fin au moins-disant fiscal, comme le montre un graphique révélateur de The Economistchemin emprunté par Trump comme Macron… Pour couronner le tout, les entreprises rachètent de plus en plus leurs actions, pour toujours donner plus aux actionnaires. The Economist montre aussi que la rémunération des actionnaires a vite retrouvé le niveau d’avant crise, qu’elle progresse beaucoup plus vite que le PIB depuis 25 ans avec les rachats d’action. En somme, notre monde a été conçu pour les actionnaires des multinationales.
 
 
En résumé, le monde moderne, avec la trop libre-circulation des biens, des capitaux et des personnes, favorise beaucoup trop les grandes entreprises et les plus riches, qui peuvent extraire toujours plus de profits de tous les autres, en s’assurant un rapport de force toujours plus favorable. C’est ce que j’ai appelé l’oligo-libéralisme, un ultralibéralisme au service des plus forts qui se créent des rentes de situation d’autant plus solides que les gouvernements suivent de plus en plus leur agenda, comme le reconnaît The EconomistMacron et Trump ne sont que les deux faces, l’une politiquement correct, l’autre politiquement incorrect, d’un même agenda oligo-libéral au service des plus riches
 
 
C’est par ce biais là qu’une petite minorité s’enrichit au détriment d’une large majorité. Et quelle meilleure illustration de cet oligo-libéralisme, que dix ans après une crise à laquelle Goldman Sachs avait largement contribuée, ses 724 employés britanniques touchent encore, en moyenne 1,4 million de dollars de rémunération, potentiellement à spéculer sur les bitcoins à l’époque…

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