10 raisons légitimes pour lesquelles une société ne paye pas ou peu d’impôt

par Banana Fric
vendredi 13 septembre 2013

On parle beaucoup d'optimisation ou d'évasion fiscale ces jours-ci. Les multinationales sont accusées d'utiliser tous les moyens pour minimiser l'impôt à payer. C'est vrai dans certains cas mais il y a aussi d'autres raisons tout à fait légitimes qui peuvent justifier une absence d'imposition dans un pays. Petit tour d'horizon.

1. La société n'a pas engrangé de bénéfices cette année

C'est la raison la plus évidente. Les comptes annuels sont généralement le point de départ pour calculer la base taxable de l'entreprise. Si votre société a réalisé une perte opérationnelle, vous ne payerez en principe pas d'impôts. En ces temps de crise, cela semble évident. Faire payer l'impôt aux sociétés en difficulté financière ne ferait qu'aggraver leur situation.

2. La société utilise des pertes fiscales reportées

Imaginons la situation suivante : l'année 2013 est catastrophique pour votre business de vente de maillots car le climat est désastreux. Votre chiffre d'affaire est en chute libre et vous accusez une perte sévère de 3 millions d'euros car vous devez écouler votre stock à perte. Heureusement, le soleil revient en 2014 et vous engrangez un profit historique de 5 millions d'euros. Avant de calculer l'impôt dû, vous pourrez déduire les 3 millions de pertes de l'année précédente. Ainsi, vous ne payerez l'impôt que sur 2 millions d'euros. Il est normal que l'ascenseur fonctionne dans les deux sens.

Les règles en la matière varient suivant les pays. Dans certains cas, les pertes fiscales ne pourront être utilisées que pendant un certain nombre d'années. Dans d'autres, le montant des pertes fiscales que vous pouvez déduire sera limité mais le principe de compensation reste le même.

3. La société fait partie d'une unité fiscale

Beaucoup de juridictions acceptent le principe d'unité fiscale (notamment en Europe : la France, le Royaume-Uni ou les Pays-Bas). Si nous prenons l'exemple de la France, imaginons une multinationale française qui a deux autres sociétés en France. L'une est extrêmement profitable et l'autre investit énormément dans la recherche et le développement ce qui entraîne des pertes importantes. Si les deux sociétés font partie d'une unité fiscale, leurs profits seront taxés comme s'il s'agissait d'un seul et même contribuable avec pour conséquence que les pertes de l'une viendront compenser les profits de l'autre.

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4. La société est une société holding

Il est rare qu'un holding paye beaucoup d'impôt. Le holding a pour fonction de détenir les participations d'autres sociétés du groupe afin, notamment, de centraliser les dividendes. En général, les dividendes reçus ne sont pas ou peu taxés (pour autant que la société qui les distribue ait effectivement payé sa part). Imaginons que vous soyez propriétaire d'une société qui détient elle-même deux filiales. Si ces filiales réalisent des profits, elles payeront l'impôt sur ces profits. Si ces filiales distribuent ensuite lesdits profits (déjà taxés) à leur maison-mère, il semblerait injuste que cette dernière paye à nouveau l'impôt sur les même profits. C'est pour cette raison que beaucoup d'Etats prévoient des mécanismes afin d'éviter, ou du moins limiter, cette double imposition.

5. Les activités de la société ont une faible valeur ajoutée

Il n'est pas rare que les sociétés d'un même groupe effectuent un nombre incalculable de transactions entre elles. Dans ces cas-là, les prix appliqués - les prix de transfert - doivent être déterminés en fonction des prix de pleine concurrence. C'est la règle internationalement admise. Cet exercice est extrêmement difficile car il est parfois impossible de trouver le prix de transactions comparables sur le marché. L'OCDE élabore de longue date des documents destinés à fournir un standard en la matière. Par exemple, il est admis que la rémunération de services à faible valeur ajoutée (notamment les services administratifs) soit relativement faible. Imaginons que vous ayez un call center dans un pays d'Europe de l'Est, la rémunération de ce call center sera généralement un pourcentage des coûts (par exemple, 5% des coûts opérationnels). La clé est de définir les fonctions exercées et les risques encourus par chaque partie afin de déterminer la rémunération adéquate et il y a, bien évidemment, une marge d'interprétation.

6. La société bénéfice d'une marque forte

Imaginons : vous êtes chinois et vous souhaitez vous lancer dans la vente de vêtements de luxe. Vous pouvez lancer votre propre marque ou conclure un accord avec une marque prestigieuse, Chanel par exemple. Le fait de s'associer à une marque vous garantit une clientèle, une image, un savoir-faire et bien d'autres choses encore. Cela à un coût. vous devrez donc payer des redevances et d'autres frais divers pour l'usage de la marque. Au plus l'image de la marque est forte, au plus vous payerez. Les profits résultant de l'utilisation de la marque et des redevances seront dès lors taxés là où la marque est gérée (création de l'image, marketing, etc.).

7. La société a réalisé des pertes dans une succursale étrangère

Lorsque l'on parle de succursale, on parle de branche et non pas de filiale (la filiale est une société à part entière alors que la branche fait partie de la même entité juridique). La règle générale est que les pertes d'une succursale sont déductibles dans le pays de la maison-mère. Ceci dit, l'application pratique dépend d'un pays à l'autre.

Si votre agence immobilière belge a réalisé un profit correct en 2013 mais sa succursale Grecque a engrangé des pertes spectaculaires, vous pourrez déduire ces pertes de votre profit belge. La contrepartie étant que, le jour où vous réaliserez des profits en Grèce, vous devrez payer l'impôt en Belgique à concurrence des pertes déduites préalablement (les règles dites de "recapture"). C'est en quelque sorte un ballon d'oxygène que l'on vous offre.

8. La société bénéfice d'incitants fiscaux temporaires

Certains gouvernement choisissent de promouvoir tel ou tel secteur d'activité via des incitants fiscaux. Ces incitants fiscaux sont généralement temporaires et réduiront considérablement la charge d'impôt des sociétés. Ces leviers permettent à l'Etat de privilégier l'essor de tel ou tel secteur en misant généralement sur les effets positifs à long terme sur l'économie (par exemple, secteur technologique, aérospatiale, etc.).

9. La société a effectué une acquisition

Il arrive souvent qu'une multinationale achète un groupe concurrent en perte. Les raisons pour acheter un groupe d'apparence moribond peuvent varier. A titre d'exemple, citons l'existence d'une marque forte (qui parfois a besoin d'être dépoussiérée, voir la success story de Carven dans la mode après une période de vaches maigres), la présence dans des marchés nouveaux pour le groupe acquéreur, l'existence de synergies ou de complémentarités, etcetera, etcetera.

Pour autant que les activités aient un lien réel, le groupe acquéreur pourra bien souvent utiliser les pertes du groupe-cible. Ce type de compensation est prévu par la loi et il est courant que les sociétés demandent l'approbation des autorités fiscales a priori, via une procédure de ruling par exemple.

10. La société a vendu des actifs ou a liquidé une filiale

Lorsqu'une société liquide une filiale ou vend des actifs à perte, elle peut généralement déduire la perte fiscale dans le pays de la maison-mère pour autant que cette liquidation soit définitive. Ce principe a été rappelé à maintes reprise par la Cour de Justice de l'Union européenne notamment dans le fameux arrêt Marks & Spencer.

Bien évidemment, les exemples ci-dessus sont simplifiés à l'extrême et les spécialistes ne manqueront pas de souligner l'une ou l'autre imprécision. Le but ici était de démontrer que le fait de ne pas payer d'impôt n'est pas un crime en soi. Il est crucial d'analyser la situation d'une entreprise sur plusieurs années avant d'émettre un jugement quant à sa position fiscale. Bien évidemment, certains cherchent à tout prix à contourner la loi mais ce n'est pas forcément la règle car le risque de réputation encouru par l'entreprise est souvent un facteur décisif dans l'implémentation de telle ou telle technique d'optimisation fiscale.

En outre, rappelons que les sociétés, via l'emploi et les contributions patronales, injectent également de l'argent dans l'économie. Ne nous laissons dès lors pas aller à un jugement à l'emporte-pièce et prenons le temps de prendre en compte tous les aspects de la problématique. 


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