2008 ou la faillite des responsabilités

par henri
jeudi 22 janvier 2009

L’année 2008 se sera donc terminée sur l’effondrement de pans entiers de l’organisation du système économique mondial. A la crise des subprimes et à l’hécatombe bancaire qu’elle a provoquée a succédé le scandale des rémunérations anormalement élevées d’un certain nombre de dirigeants pas particulièrement méritants, puis l’écroulement de l’industrie automobile a laissé le devant de la scène à M. Madoff et à ses tours de passe-passe. Là-dessus le nouvel an est arrivé et on attend la suite en tremblant…

 Ces événements, déjà catastrophiques pris individuellement, prennent un caractère encore plus dramatique par la simultanéité de leur occurrence, qui accentue fortement et durablement les effets dévastateurs de la disparition de la confiance dans les systèmes et dans les hommes qu’elle provoque.

Mais, à y regarder de plus près, ces différents accidents de parcours, bien que très différents dans leur nature, ont un point commun, caractéristique d’une époque et de ses faiblesses. Il s’agit de la responsabilité, ou plutôt de ce que chacun de ces événements trouve son origine dans le fait que des responsabilités n’ont pas été assumées, à un moment ou à un autre, par ceux qui étaient en charge.

Si on l’analyse avec cet éclairage, on constate que la crise des subprimes et des produits dérivés est due au schéma vieux comme le monde où la cupidité recherche le profit le plus rapide possible, en négligeant de prendre la responsabilité d’évaluer le risque qui y est associé. Ici, la chaîne de défaillances des responsabilités est longue : elle commence par le dirigeant de la banque qui impose comme stratégie un retour sur fonds propres ridiculement élevé par rapport au coût de l’argent ou à l’inflation sans se préoccuper des risques qu’il engrange. Elle passe ensuite par le responsable de l’analyse des risques qui ne prévient pas de la dégradation de la qualité du portefeuille de risques et par celui qui est en charge de l’ingénierie financière qui se fait intellectuellement plaisir en imaginant des produits virtuels prétendument miracles. Elle se termine enfin avec le commercial qui n’ose pas avouer qu’il n’a rien compris aux montages qu’on lui demande de vendre, mais dont le bonus dépend du succès de ses ventes. Le tout dans un contexte où chacun fait semblant de croire qu’un risque est réduit parce que divisé par la titrisation et éparpillé par la globalisation.

Si le public a été aussi scandalisé, à juste titre, par des rémunérations absurdes qui ont agi comme des pousses-au-crime, c’est bien parce que les responsabilités n’ont pas été assumées. Ni par les dirigeants qui se sont octroyés des salaires et autres indemnités indécentes que ne pouvaient même plus supporter leurs entreprises rendues exsangues par leur piètre gestion, ni par les comités dits de rémunération dont il n’a jamais été autant question, mais dont la crédibilité et l’efficacité sont mises à mal par des copinages coupables, des solidarités obscures et des silences assourdissants. 

L’industrie automobile, elle, est victime d’une autre forme de défaut de responsabilités. La première mission d’un dirigeant responsable est d’assurer la pérennité de l’entreprise dont il a la charge. Il lui revient donc naturellement d’anticiper les changements du marché et les évolutions technologiques. Les constructeurs automobiles sont aujourd’hui empêtrés avec des chaines de fabrication de monstres 4x4 pollueurs et bruyants qui prétendent nous protéger des buffles dans nos villes et dont plus personne ne veut et ils ne sont pas capables de satisfaire une demande de plus en plus pressante pour des véhicules économes, propres et compacts, donc électriques. Ce décalage entre l’offre et la demande montre qu’ils n’ont pas décidé, à l’instant opportun, de prendre la responsabilité de résister aux modes fugaces du moment et aux lobbies conservateurs et immobilistes -un comble pour l’industrie automobile- pour préparer et adapter leur activité et ses produits aux contraintes du monde moderne et aux nouvelles exigences du marché. Il ne leur reste plus aujourd’hui qu’à tendre la main pour obtenir de gouvernements compatissants de quoi sauver le plus grand nombre d’emplois possible.

Dans le cas Madoff, l’auteur de l’escroquerie est évidemment responsable. Mais, s’il a pu commettre ses méfaits pendant si longtemps et à une telle échelle, c’est parce que les autorités chargées de le contrôler n’ont pas assumé correctement leurs responsabilités. Le fait que certaines banques aient refusé de travailler avec B. Madoff parce que son organisation ne respectait pas les critères fixés de transparence et de déontologie suffit à montrer que les autorités de tutelle avaient bien les moyens d’arrêter le carnage si elles avaient rempli correctement leur rôle, qui, ici, est une responsabilité de surveillance, de contrôle et de sanction éventuelle.

On le voit, à chaque fois, le système a dérapé parce que certaines responsabilités, essentiellement individuelles, n’ont pas été assumées correctement, qu’elles soient des responsabilités opérationnelles, d’anticipation ou de contrôle.

Cette situation est d’autant plus paradoxale qu’elle se présente à un moment où la notion de responsabilité collective se développe largement, fait progressivement reculer un individualisme longtemps dominant et suscite des comportements individuels dictés par l’intérêt général, par exemple pour la préservation de l’environnement.

Mais cette défaillance des responsabilités n’est pas nouvelle et c’est la sagesse populaire qui l’exprime le mieux quand elle dit : « à chacun son métier, et les vaches seront bien gardées ». Ce qui est nouveau, par contre, c’est l’ampleur des dégâts provoqués par le laxisme de quelques-uns qui, à travers les outils de communication actuels et la globalisation, se répandent comme une trainée de poudre aux quatre coins de la planète. Les exemples de cette fin de l’année 2008 le montrent à l’évidence.

Victor Hugo a dit : « Tout ce qui augmente la liberté augmente la responsabilité ». Un rapide coup d’œil sur le vingtième siècle montre les progrès considérables réalisés dans le domaine de la liberté en général et des libertés individuelles en particulier. Mais la responsabilité, et le sens que chacun doit en avoir, n’ont pas suivi la même progression, provoquant ainsi un décalage de plus en plus grand entre le droit à la liberté et le devoir de la responsabilité. Devenu insoutenable et incontrôlable, cet écart a provoqué les catastrophes de la fin de 2008, et il y a de nombreux autres domaines où l’on peut s’attendre à ce qu’il provoque de nouvelles déchirures douloureuses dans le futur.

Les réflexions vont aujourd’hui bon train pour repenser l’organisation des systèmes économique et financier de la planète, afin de se protéger des excès et des défauts de l’organisation actuelle. Il y a de toute évidence de nombreux aménagements à réaliser et de nouvelles règles à inventer pour adapter le monde aux nouvelles donnes et aux nouvelles technologies. Mais, ne nous y trompons pas, le meilleur système au monde ne sera d’aucune utilité si les responsables chargés de le faire fonctionner n’assument pas leurs responsabilités. La vie économique a besoin pour fonctionner que ses acteurs prennent toutes leurs responsabilités, chacun à son niveau et avec ses compétences, comme un moteur a besoin de carburant pour tourner. Il ne sert à rien d’avoir le meilleur moteur au monde s’il n’y a pas de carburant à mettre dedans.

La vraie question n’est donc pas tant de savoir s’il faut repenser le système dans son ensemble ou simplement faire des ajustements, mais bien de s’interroger sur les moyens de réajuster les niveaux de liberté et de responsabilité, de droit et de devoir. Notre première responsabilité à chacun d’entre nous est déjà de nous poser la question pour nous-mêmes.



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