35 heures et heures sup’
par Francis, agnotologue
jeudi 1er mars 2007
Nicolas Sarkozy, les 35 heures, et les heures sup
Analyse du projet de défiscaliser et d’exonérer de charges les heures travaillées au delà de 35 par semaine.
Cette proposition de Nicolas Sarkozy promue sous le slogan "travailler plus pour gagner plus" trouverait selon lui, sa justification dans le fait qu’elle entraînerait un surcroît d’activité donc créerait des emplois.
Nous n’étudierons pas ici les différentes alternatives qui paraissent a priori plus légitimes et moins engagées, notamment l’abrogation de la loi des 35 heures ou l’autorisation de recourir selon des modalités classiques aux heures supplémentaires à partir de la 36ème.
Nous analyserons succinctement les conséquences de la proposition de l’UMP, du point de vue du salarié, de celui du profit et de celui de l’emploi, dans la seule hypothèse d’un recours généralisé à 5 heures supplémentaires. Bien entendu, seuls le raisonnement et l’ordre de grandeur des résultats sont à considérer.
Pour finir, nous comparerons avec une contre proposition.
Situation actuelle. Soit un salaire horaire net de 100 (1). L’heure normale est payée 80, les caisses de prévoyance et de solidarité reçoivent 60 qui représentent une rémunération potentielle et différée sous forme de retraite, assurance maladie, chômage, etc. Le coût du travail pour l’employeur est 140.
L’heure Sarkozy. De la 36ème à la 40ème (2), serait payée 80+10% soit 88 au salarié, et ne coûterait que 88 à l’employeur, vu que les caisses ne recevraient rien.
L’heure supplémentaire Sarkozy coûterait donc 37% de moins à l’employeur que l’heure normale.
Le salarié percevrait quant à lui, 8 de plus immédiatement en compensation de la perte de 60 au titre de sa rémunération différée. Mauvais calcul. "Travailler plus pour gagner plus" ? Ce slogan est une supercherie ! La baisse de rémunération effective est de ... 37% ! Si notre travailleur est prévoyant, il lui en coûtera beaucoup plus que les 8 unités supplémentaires net versées par heure auprès de caisses complémentaires pour compenser la perte des 60 unités acquises au titre de l’heure normale. "Travailler plus pour gagner moins" donc.
Mais les conséquences vont au delà de ce simple constat navrant.
Quel impact sur la croissance ? Quelles sont les entreprises qui créeraient des emplois grâce à cette mesure ? Pour commencer, remarquons tout de suite que 7 salariés travaillant 40 heures, font le même travail que 8 à 35 heures, et pour un coût inférieur de 5% (3).
De sorte que, si beaucoup de chefs d’entreprises verront dans cette mesure une aubaine, ce n’est pas pour autant qu’ils augmenteront leur productivité en rapport. Pour compenser une perte d’emplois de 15%, il faudrait 15% de croissance. Si l’on admet que ce recours aux heures supplémentaires permettrait à la moitié des entreprises, ce qui est optimiste, d’accroître leurs production c’est 30% de croissance qu’elles devraient faire, pour seulement éviter d’aggraver les difficultés sociales. Il y a fort à parier que cet objectif irréaliste ne sera pas atteint, et donc génèrera de nouveaux chômeurs, d’anciens cotisants. N. Sarkozy parle de courage ? Facile en faisant assumer les risques aux autres.Quid des cadres ? Les cadres on le sait, ne sont pas soumis au régime des heures supplémentaires. Il est à craindre que dans ce contexte, les entreprises préfèreraient recourir dans la mesure du possible à des non cadres - dont le travail au delà de 35 heures serait on l’a vu, assimilable à du travail au noir - qu’à des cadres dont le salaire est à 100% soumis à cotisations. La prochaine étape logique serait d’exonérer de prélèvements obligatoires une part de ce salaire avec l’accord des cadres puisqu’on leur permettra en échange de payer moins d’impôts sur ces revenus ! Amère ’victoire’ pour les cadres.
Comment justifier que certains contribuables auraient le droit de soustraire une part de leur salaire à leur déclaration de revenus, car c’est de cela qu’il s’agit ? Comment empêcher la généralisation d’un tel processus ? Ce qui vaut pour les cadres, vaut aussi pour les artisans, pour tous ceux qui ne sont pas payés à l’heure mais à la tâche, par contrat... La généralisation de cette mesure à tous les contribuables reviendrait à instaurer une ’progressivité négative’ de l’IR ! Un artifice aussi compliqué qu’inique, aboutissant à faire payer plein pot les revenus moyens voire faible et peu les revenus supérieurs.
Effet de seuil et motivation des RMIstes. Nicolas Sarkozy soutient que les minima sociaux sont si élevés qu’ils encouragent les profiteurs du système à ’feignasser’ (si je puis me permettre cet oxymoron marrant). Sa réforme dont il est question ici ne permettra pas d’augmenter les bas salaires, au contraire, de sorte que l’écart entre RMI et ’Smic 35 heures’ risque de se réduire encore. Ce n’est pas lui faire un procès d’intention que de dire qu’il est évident que, sur sa lancée et pour être logique avec lui-même, pour répondre à cette question il lui suffira de réduire les minima sociaux.
Ainsi, avec un simple slogan populaire (travailler plus pour gagner plus), Sarkozy s’il était élu pourrait anéantir notre modèle social en deux temps trois mouvements, avec la bénédiction de son électorat populaire. Cette proposition est une proposition de dupes, gagnant deux fois pour l’entreprise, perdant deux fois pour le salarié.
Une contre proposition. Evidemment, il faut faire l’inverse : peu de charges sur les premières heures, et davantage sur les surplus. Pourquoi obliger l’employeur qui, dès qu’il crée un emploi doit aussi cotiser pour les Assedic ? N’est-ce pas déjà beau de soulager d’un RMI ce budget ? Qu’est-ce qui compte le plus pour un jeune ? D’abord ce qu’il gagne tout de suite, s’intégrer, acquérir l’expérience ; ensuite mais seulement ensuite, penser à ses vieux jours. Donc le seul slogan convenable c’est "travailler maintenant pour les besoins de maintenant, travailler plus pour assurer l’avenir". Un deal gagnant gagnant pour les trois parties : patrons, salariés, caisses de prévoyance.
Par exemple, peu ou pas de charges sur 35 premières heures compensées par une sur-taxation des suivantes aurait deux conséquences immédiates : une bouffée d’air pour les emplois à 35 heures d’une part, d’un coté, un coût en charge équivalent au système classique pour les emplois à 40 heures et plus de l’autre. Ainsi, les pertes d’emplois des uns liées aux recours aux heures supplémentaires des autres sans croissance à la clé, seraient automatiquement corrélées à une augmentation des recettes de la protection sociale.
Et bien sûr, il ne faut pas défiscaliser les heures supplémentaires, au contraire : une telle disposition serait à l’envers du bon sens. L’objectif de la proposition de l’UMP, de toute évidence, n’est pas la ’réparation’ de notre protection sociale, mais bien la casse de tout le droit du travail.
(1) On imagine un salaire brut horaire quelconque, au hasard 20 euros, payé donc 100x0.2 euros.
(2) Ou peut-être 10% jusqu’à 39, 20% ensuite.
’3) Et mieux même puisque, compte tenu des coûts fixes, 7 salariés même à masse salariale égale coûtent moins cher à l’entreprise : gestion, rendements, formations, infrastructures, etc.