En ces temps de ras-le-bol fiscal, la cause est entendue : l’Etat français est coupable de dépenses abusives. Pour preuve, notre niveau de dépense publique atteint 56,3% du PIB contre seulement 45,6% en Allemagne et 41,4% aux Etats-Unis. Problème : nous comparons des choux et des carottes.
Des choix dans la santé et l’éducation
Ce papier n’a pas la prétention d’une étude complète et exhaustive qui permettrait de comparer de manière scientifique la dépense publique en France et dans les autres pays, mais de donner des éléments montrant que certaines conclusions sont tirées un peu rapidement. A première vue, l’Etat français dépense donc 15 points de PIB de plus que son homologue étasunien ! Premier problème : dans la santé et l’éducation, le gros de nos dépenses est fait par l’Etat, quand outre-Atlantique, la part du privé est bien plus importante (
avec un très mauvais résultat). Il y a donc un biais méthodologique à comparer des dépenses publiques qui ne recouvrent pas le même périmètre en France et aux Etats-Unis.
En 2011, selon la Banque Mondiale, la France consacrait 11,6% de son PIB à son système de santé (dont 8,9% de dépenses publiques) et les Etats-Unis 17,9% (dont 8,2).
Idem sur l’enseignement supérieur, où notre pays consacre 1,4% de son PIB (dont 1,2) contre 2,7% aux Etats-Unis (dont 1). En clair, tant pour la santé que l’éducation supérieure, les Etats-Unis dépensent bien plus que nous mais l’Etat y dépense moins que le nôtre car les ménages et les entreprises doivent prendre le relais d’un Etat qui s’est désengagé. Du coup, si on additionne les dépenses privées dans les deux domaines,
le total atteint alors 59,2% du PIB en France et 52,8% aux Etats-Unis !
L’écart de dépenses entre les deux pays passe de 15 points du PIB à seulement 6,4 points, expliquant pas moins de 57% de l’écart !
Du poids des entreprises publiques
Et ce n’est pas tout. En effet, il y a toujours eu un mystère pour moi à voir dans les statistiques pour 2013 un taux de prélèvements obligatoires à 46% et un niveau de dépenses publiques à 56% alors que les déficits sont autour de 4% du PIB. Pourquoi y-a-t-il un écart de 10 points entre les dépenses et les recettes de l’Etat tout en ayant seulement 4% de déficit ? La réponse semble être l’inclusion des entreprises appartenant à l’Etat dans les dépenses publiques mais leur non inclusion (logique) dans le périmètre des prélèvements obligatoires. Selon les tableaux de l’INSEE, les recettes de l’Etat ont atteint 51,8% du PIB en 2012, 6,8 points de PIB de plus que les prélèvements obligatoires (à 45%).
Ce niveau semble assez cohérent
étant donné le chiffre d’affaires des grandes entreprises publiques : SNCF (33 milliards), EDF (40 en France), RATP (5 milliards), RFF (5 milliards), AdP (2,5 milliards), La Poste (21 milliards), France Télévisions et Radio France (4 milliards) et quelques autres participations au-délà de 50% (7,2 milliards), soit 117,7 milliards, environ 6% du PIB, sans compter les parts minoritaires dans GDF-Suez, Renault, Safran ou France Telecom. Si même le transport ferroviaire et la poste sont publics aux Etats-Unis, pour avoir une comparaison équitable, il faut sans doute retirer 4 à 5 points de PIB en France de dépenses publiques qui correspondent à un service rendu par le privé outre-Atlantique.
Au bout du bout, on peut estimer que l’écart réel de poids du service public entre la France et les Etats-Unis (en corrigeant du poids des dépenses privées d’éducation et de santé et du poids des entreprises publiques) est compris entre 1,5 et 3 points de PIB au lieu des 15 points indiqués par les statistiques brutes. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas d’économies à faire en France. Il y en a sans doute beaucoup, notamment dans les collectivités locales, qui communiquent beaucoup trop. Néanmoins, cela relativise les discours anti-Etat qui passent totalement à côté de biais statistiques majeurs.
Oui, la France dépense beaucoup pour son service public. Mais au final quand on compare notre niveau de dépenses avec celui des Etats-Unis, 80 à 90% de l’écart s’explique par des différences de périmètre du fait de la privatisation. Ce qui n’exclut pas de veiller à dépenser l’argent public sagement.