Air France : profits records et barbarie néolibérale
par Laurent Herblay
lundi 2 novembre 2015
La semaine dernière, à la surprise générale, étant donné l’état des négociations entre direction et salariés, Air France a annoncé avoir réalisé les plus gros profits trimestriels de son histoire. Ceci, et la réaction des marchés, négative, en dit très long sur l’état de nos sociétés.
Profits records, mais insuffisants !
Les chiffres donnent le tournis : au troisième trimestre 2015, Air France a réalisé un bénéfice d’exploitation de 898 millions d’euros, battant un record vieux de huit ans ! Tous les indicateurs semblent au vert : le chiffre d’affaire a progressé de 4,7%, à 7,4 milliards d’euros, soit une marge d’exploitation de 12,1%, qui augmente de plus de 50% en un an, hors effet de la grève des pilotes. Le bénéfice net frôle le demi-milliard d’euros… Cette avalanche de chiffres semblent plutôt donner raison aux syndicats tant ils questionnent la nécessité d’un nouveau plan d’austérité pour l’entreprise. Mais la direction rappelle que sur trois trimestres, la marge d’exploitation ne ressort qu’à 666 millions et le que le résultat net reste négatif, à -158 millions, même si la dette de l’entreprise a baissé de 20% en seulement un an.
Son raisonnement est que ces résultats sont le fruit de la baisse conjoncturelle du prix du pétrole et que les concurrents de l’entreprise font mieux, Lufthansa et IAG (British Airways et Iberia) ayant accumulé plus de 150% de marge de plus, du fait d’un déficit de compétitivité qu’il faudrait combler et qui justifierait le nouveau plan de la direction. Le problème d’Air France, ce serait que la baisse du coût par passage ne serait que de 0,5 à 0,7% cette année, contre 1 à 1,3% prévu initialement. De plus la pression concurrentielle serait au plus haut. D’ailleurs, la réaction des marchés appuie le discours de la direction puisque ce record de profits a été accueilli par une chute étonnante de près de 5% du titre Air France, et de plus de 8% pour Lufthansa, malgré de meilleurs résultats, mais après une forte hausse.
Transformer les hommes en loups
Il y a quelque chose de totalement fou à ce que ce déluge de profits ne comble pas les marchés, qui, ainsi que les dieux antiques, semblent avoir une faim sans limite. Bien sûr, Air France souffre d’une concurrence souvent déloyale des compagnies à bas coût, et leur main d’œuvre à bas coût, ou des compagnie du Golfe, largement subventionnées par leurs pays, et auxquelles nos dirigeants continuent pourtant de dérouler un tapis rouge incompréhensible et destructeur pour les compagnies nationales comme Air France. On peut comprendre que cette concurrence pousse à prendre des mesures fortes, mais les résultats du troisième trimestre semblent les rendre moins nécessaires. Mais dans notre monde, ce sont les actionnaires qui sont les plus importants et qui déterminent les choix des entreprises.
C’est bien ce capitalisme actionnaire dérégulé, vorace, sans limite, inhumain, qui pressure toujours plus les salariés, jusqu’aux pilotes, que l’on pouvait penser logiquement épargner par cette course sans fin au moins-disant social étant données leurs responsabilités. Ainsi le Monde, adorateur de ces jeux du cirque moderne, n’y voit rien à dire, même si les Décodeurs relativisent de manière bienvenue les présentations biaisées du Point sur les écarts de compétitivité. Un nouveau point bas a été atteint cette semaine avec l’extravagante proposition du DRH d’Air France, qui propose des contrats et des salaires différents, trois façons d’habiller la régression sociale proposée par actionnaires et direction : travailler plus et gagner autant, travailler encore plus et gagner un peu plus ou travailler autant et gagner moins.
Air France est symptomatique d’une époque où l’homme devient un loup pour l’homme, une époque où il est toujours possible de pressurer davantage les salariés, y compris une partie des plus capés. Et cela n’a rien à voir avec un pseudo libéralisme, mais plus à un jeu du cirque totalement déloyal permis par l’effacement des frontières, qui nous permettaient, avant, de choisir les règles des jeux que nous jouions.